plongerait encore les peuples dans l'abîme des révolutions; quoiqu'elles fussent persuadées que la France entière, se ralliant autour de son souverain légitime, ferait rentrer dans le néant la tentative d'un délire criminel, les puissances s'engageaient à fournir les ressources nécessaires et à faire cause commune contre tous ceux qui entreprendraient de troubler la paix du monde. » Cette déclaration unanime ne pouvait plus laisser de doute sur les résolutions ultérieures qui seraient prises par les cabinets; on voulait arrêter la conjuration bonapartiste, s'il était temps encore, détruire les illusions et les mensonges sur le maintien de la paix, empêcher les bruits que Napoléon pouvait répandre d'un concours et d'une alliance avec un ou plusieurs cabinets; l'on déclarait hautement que si le gouvernement établi en 1814 était renversé, ce n'était pas contre quelques puissances isolées seulement que les bonapartistes auraient à combattre, mais contre toutes; ils auraient à lutter avec l'Europe sans répit et sans traité possible. Cependant les cabinets n'étaient pas sans avoir de vives appréhensions; cette inquiétude est parfaitement décrite dans une suite de dépêches de sir Charles Stewart, l'ambassadeur anglais à Vienne; sir Charles, frère de lord Castlereagh, le tient parfaitement au courant des moindres incidents du congrès. «Si j'avais été libre, dit-il, d'agir à ma volonté ou chargé de quelque responsabilité, j'aurais certainement expédié un courrier pour l'Angleterre aussitôt que la nouvelle du retour de Napoléon arriva dans cette capitale, afin de vous faire connaître la sensation que cet événement y a produite, ainsi que les conjectures auxquelles il a donné lieu, et l'effet probable qu'il aura sur les négociations encore pendantes au congrès. Toutefois, il est probable qu'avant le départ de cette lettre, la certitude de la destinée de cet homme extraordinaire mettra fin à plusieurs de mes hypothèses; mais je n'en persiste pas moins à croire qu'il ne sera pas sans intérêt pour vous d'apprendre ce qui se fait ici. L'aide de camp de lord Burghersh (le capitaine Aubin) arriva à Vienne le jour d'une fête à la cour. Ce fut lui qui le premier proclama cette importante nouvelle ; et Metternich en fut si alarmé, qu'il voulut la tenir secrète, ne fût-ce que pendant la soirée, afin de ne pas répandre une tristesse soudaine sur la représentation du théâtre de la cour. Mais comme la populace de la ville et les cabarets étaient en possession de la nouvelle, il reconnut bientôt qu'il lui était de toute impossibilité de la tenir cachée. Le même jour on tint une conférence qui eut, je crois, pour objet de décider quelques affaires relatives au roi de Saxe. On y discuta le grand événement, et j'appris qu'on avait conçu l'idée d'une conférence des huit puissances pour y faire une sorte de déclaration de guerre générale contre Buonaparte. Je ne sais pas si l'on pensa ensuite qu'il vaudrait mieux différer cette déclaration jusqu'à ce que l'on sût où se trouverait précisément l'ennemi, ou si l'on trouva imprudent de sonner le tocsin si promptement; mais on me dit qu'on avait abandonné cette idée, et que le duc de Wellington, Metternich et TOME I. 21 Talleyrand étaient partis hier pour continuer leurs -négociations avec le roi de Saxe, comme si rien n'était arrivé. Il serait difficile de vous décrire l'impression que la nouvelle a produite sur les personnes de la cour. Il y en a qui expriment en plaisantant leur surprise de ce que les Anglais l'aient laissé échapper de l'ile d'Elbe, dont la garde leur était confiée; d'autres s'en sont ouvertement réjouis comme d'un accident heureux qui mettrait fin à tous les différends; d'autres ont craint de voir une guerre civile se déclarer en France, et que la réapparition de Napoléon dans ce pays ne fût que l'avant-coureur de nouveaux massacres et d'une nouvelle conflagration; d'autres enfin ont conjecturé que Bonaparte avait fait cause commune avec Murat pour recouvrer le royaume d'Italie. Il est trop vrai cependant que l'expédition en apparence aventureuse de l'ile d'Elbe cause partout une terreur que les plus grands efforts ne sauraient cacher. J'apprends que tous les grands hommes ont rien lisant la dépêche de lord Burghersh; mais je crois que le sourire n'a pas tardé à faire place aux plus vives alarmes. Lord Wellington n'a pas vu l'empereur avant le bal et le spectacle de la cour; le duc, m'a-t-on dit, est très-mécontent des expressions de l'empereur de Russie. Mais on a cru que c'était le moment d'oublier tout ressentiment particulier, et de se rallier contre l'ennemi commun. L'empereur a déclaré que, si le Phénix allait renaître de ses cendres en Europe, nous devions tous, quels que fussent nos différends, nous réunir plus fermement que jamais contre tous les efforts que tenterait Napoléon, et qu'il fallait faire la plus grande diligence pour terminer au plus tôt possible toutes les négociations relatives au traité de Paris. Lorsque l'empereur s'approcha de Talleyrand, et plaisanta sur l'oiseau qui s'était échappé de sa cage, ce qui n'aurait pas eu lieu, disait-il, si la France avait payé les sommes stipulées par le traité, on dit que Talleyrand demanda en riant si S. M. I. voudrait payer en mars se qu'elle ne devait qu'au mois de mai.. Il me semble que Talleyrand s'est montré particuliè→ rement joyeux depuis la nouvelle. Je ne connais point les sentiments de La Besnardière, le bras droit de la chancellerie française; et quant à M. Dalberg, il était malade. Je pense que tous redoutent le parti opposé au gouvernement en France. Ce parti est divisé, il est vrai, mais Buonaparte est peut-être assez adroit pour le réunir. L'impératrice Marie-Louise a été profondé-: ment émue, et a déclaré qu'il fallait que Napoléon fût frénétique pour compromettre ainsi les intérêts de son fils, sans espérance certaine de succès (1). Ses domestiques, en apprenant cette nouvelle, se sont livrés aux plus extravagantes démonstrations de joie. »> Le lendemain nouvelle dépêche de sir Ch. Stewart sur les plans formés à Vienne : « Quant à la marche (1) On ne peut nier que la mission du congrès n'eût pour objet de pacifier l'Europe. Or, du moment qu'il fut avéré que Bonaparte cherchait, de l'ile d'Elbe, à remuer l'Italie, toutes les puissances pensèrent qu'il était dangereux de laisser Parme en patrimoine à son fils; mais ce pays fut conservé à Marie-Louise. que Napoléon a suivie, ou aux plans qu'il a formés, on fait là-dessus une foule de conjectures; on croit que, s'il agit de concert avec Murat, Naples sera le point où de grandes forces pourraient être assemblées en peu de temps; mais est-il probable que Murat veuille s'unir avec lui maintenant? Ce serait une véritable folie, et Murat a certainemeut une bien meilleure chance en restant fidèle à l'Autriche, qui est favorablement disposée pour lui, et aux autres puissances, qui le laissent jouir paisiblement de sa couronne, que s'il les forçait à se déclarer contre lui; il faut ajouter à cela l'incertitude sur le motif qui a pu engager Napoléon à reparaître sur la scène, et la nécessité pour le roi de Naples d'obéir en tout à la direction de son ancien maitre. Il serait impossible de croire que Murat eût voulu le séduire, et le livrer après qu'il serait tombé en son pouvoir, afin de s'affermir luimême sur son trône; ce serait une trop grande trahison; il en est cependant qui aiment mieux admettre un pareil fait que de croire que Murat ait consenti à faire cause commune en Italie avec Napoléon. Les Autrichiens sont naturellement alarmés à l'idée de voir la guerre ravager de nouveau l'Italie, et cependant bien des personnes disaient que si Bonaparte y débarquait, cette circonstance leur fournirait le meilleur prétexte pour se débarrasser de leur engagement avec Murat, à qui l'empereur a donné une promesse autographe de le maintenir sur le trône. Après les spéculations sur l'Italie, la conjecture plus répandue, c'est que Napoléon serait retourné en France; tout |