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son bord portaient tous le timbre de l'arsenal royal de la Havane. C'était, il faut en convenir, une preuve nouvelle de l'entente du gouvernement espagnol avec l'insurrection; mais c'était encore plus une difficulté insurmontable car, en admettant comme juste le principe de l'indemnité réclamée en faveur des propriétaires de ce bâtiment, l'administration de M. Juarez aurait reconnu ipso facto que le cabinet de Madrid avait eu le droit de traiter avec Miramon, et cette seule reconnaissance aurait été la condamnation manifeste de la constitution du pays et du gouvernement qui en émanait.

Dès lors, de tous les motifs allégués par le gouvernement espagnol pour expliquer ses haines contre le Mexique, il ne restait, en réalité, que la faute commise par lui en reconnaissant les autorités émanées du plan de Tacubaya (1). Cette première faute l'avait conduit à une seconde en traitant avec des autorités illégitimes; puis à une troisième, en permettant l'embarquement, à bord de la Concepcion, de poudres et de munitions de guerre tirées de son arsenal naval de la Havane; et plus tard, pour dégager sa responsabilité de ces fautes, il voulait à tout prix porter la guerre dans un pays qui, par trois fois, lui avait offert toutes les satisfactions compatibles avec l'honneur national.

Avant de tirer l'épée d'une manière aussi résolue, le gouvernement espagnol aurait dû se souvenir qu'en 1833, la reine Isabelle, appelée au trône en vertu du testament de son père, le roi Ferdinand VII, et cela au mépris de la loi salique établie par Philippe V,- s'était trouvée vis-à-vis de son oncle, le prétendant D. Carlos, dans une situation exactement semblable à celle où se trouvait, en 1858, M. Juarez, vis-à-vis des auteurs et des défenseurs du d'État. Je ne voudrais certes rien dire qui pût blesser en rien l'amourpropre du peuple espagnol; mais puisque son gouvernement me force à lui rappeler des événements qu'il paraît avoir oubliés, je demanderai aux hommes d'État de la péninsule

coup

(1) Ainsi nommées parce que les conspirateurs de 1857 s'étaient réunis dans ce village, sous la présidence de l'un deux, le général Zuloaga.

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ce qu'ils eussent pensé d'un autre gouvernement qui, non content de reconnaître le prétendant et de signer avec lui un ou plusieurs traités contraires aux intérêts de l'Espagne, lui aurait encore fourni des munitions de guerre pour entretenir la guerre civile, et aurait prétendu, après la fuite de cet intrus, imposer à la reine Isabelle la reconnaissance des traités célébrés avec son adversaire, et le paiement des munitions délivrées dans le but de la renverser?

Telle était cependant la situation où se trouvait alors le gouvernement espagnol vis-à-vis de la République, et cela, non par le concours de circonstances fortuites, malheureuses, indépendantes de sa volonté, mais par une suite non interrompue d'actes réfléchis qui établissaient, de la manière la plus évidente, son mauvais vouloir à l'égard des hommes qui représentaient l'opinion libérale au Mexique. Pour elle comme pour le gouvernement impérial, il ne reste, en dépit de toute la rhétorique déployée à cette occasion par les feuilles ministérielles, officielles et officieuses, qu'une querelle sans motifs avouables, sans causes sérieuses; et pour dernier mobile, j'ai honte de le dire, une question de gros sous; toujours une question de gros sous! La discussion une fois placée sur ce terrain, il fallait, à tout prix, enlever la soumission volontaire ou forcée du gouvernement mexicain; et comme chacun le comprenait ainsi, les représentants des trois puissances intéressées se réunirent à Londres, au mois d'octobre 1861, pour s'entendre sur les moyens à employer afin d'obtenir ce résultat.

VIII

Convention du 31 octobre 1861.

Le 27 juin 1861, feu M. Billault, en son vivant ministre d'Etat du gouvernement impérial, répondant à un discours prononcé la veille par M. Jules Favre, sur la question du Mexique, voulut bien reconnaître, peut-être un peu malgré lui, « que dans le projet primitif de la convention de Lon› dres, il n'était pas question de l'éventualité d'une guerre » dans l'intérieur du pays, mais que l'action devait se limiter » au littoral. »

M. Billauit ne disait en cela qu'une partie de la vérité. Pour être juste, il aurait dû reconnaître, ainsi que le fit plus tard lord John Russell, au meeting de Blairgowrie, que la convention du 31 octobre, elle-même, n'avait point donné ce droit aux parties contractantes, et que, si le gouvernement impérial avait passé outre, c'est qu'à ses yeux cette convention n'était, en réalité, qu'un prétexte donné au pays pour couvrir l'envoi des forces destinées à renverser au Mexique la forme républicaine, et à la remplacer par un empire organisé sous la pression des baïonnettes de la France, en faveur de l'archiduc Maximilien d'Autriche, ou, à son refus, d'un prince quelconque pour le moment en disponibilité.

De cette manière, la question aurait été nettement posée; la situation franchement dessinée et puisqu'en plein dixneuvième siècle on ne rougissait pas de s'incliner devant les prétentions anti-sociales des forts, la Chambre, mise en demeure de se prononcer sur une question d'intérêt purement matériel, aurait décidé si l'offense dont le gouvernement se plaignait, était proportionnée à la vengeance qu'il voulait en tirer; et si, pour parler le langage de lord Stanley, l'expédition militaire, qu'on voulait entreprendre » à grands frais, n'aurait pas pour résultat de taxer notre

a

» commerce, au profit de créanciers, dont la plupart étaient » pour nous, des étrangers. »

Malheureusement, il n'en a point été ainsi. Le ministre impérial a préféré garder le silence : ce n'est point assez, il a volontairement trompé le pays sur le but que se proposait le gouvernement. Puis les événements ont suivi leur cours naturel: l'expédition a eu lieu, l'armée française est entrée dans Mexico le 10 juin 1863, et l'empire qu'on niait avec tant de ténacité, le 27 juin 1861, y a été proclamé le 12 juillet, c'est-à-dire 32 jours après l'entrée de l'armée, en présence de MM. Forey et Saligny, par une réunion de 215 individus, sans mandat de leurs concitoyens, cela est vrai, mais convoqués par des traîtres, sous la pression des baïonnettes du vainqueur, afin de donner un vernis de légalité à des mesures arrêtées en Europe plusieurs mois avant le commencement de l'intervention, entre les grands dignitaires du gouvernement français et les agents tarés des vieux partis réactionnaires.

Dans cette situation, il me semble qu'il importe, pour apprécier sainement la moralité de certains faits qui se sont passés depuis, de mettre en regard l'un de l'autre le texte original du projet de Convention et la Convention elle-même; et de faire suivre ces deux pièces de l'exposé des motifs qui ont amené les changements dont j'indiquerai la nature en les plaçant à la suite de la Convention.

Projet primitif de la
Convention.

S. M. etc.....

se considérant obligées par la violation de toutes les lois et l'abominable conduite des autorités de la République mexicaine, d'exiger de celle-ci protection pour les personnes et les propriétés de leurs sujets, ainsi

Convention du 31 octobre 1861.

S. M. la Reine du RoyaumeUni de la Grande-Bretagne et d'Irlande, S. M. la Reine d'Espagne et S. M. l'Empereur des Français, se trouvant placées par la conduite arbitraire et vexatoire des autorités de la République du Mexique dans la nécessité d'exiger de ces autorités une protection plus efficace pour les personnes et les propriétés de

que l'exécution de tous les traités célébrés entre LL. MM. et ladite République, ont résolu d'établir entre elles une Convention afin de combiner leurs moyens d'action à l'égard du but précité, et ont nommé à cet effet, en qualité de leurs plénipotentiaires, savoir :

S. M. la Reine du RoyaumeUni, etc.....

S. M. la Reine d'Espagne, etc...

Et S. M. l'Empereur des Français, etc....

Lesquels, après s'être mutuel

leurs sujets, ainsi que l'exécution des obligations contractées envers elles par la République du Mexique, se sont entendues pour conclure entre elles une Convention dans le but de combiner leur action commune, et, à cet effet, ont nommé pour leurs plénipotentiaires, savoir:

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S. M. la Reine du RoyaumeUni de la Grande-Bretagne et d'Irlande, le Très Honorable Jean, Comte Russell, Vicomte Amberley de Amberley et Ardsalla, Pair du Royaume-Uni, conseiller de S. M. Britannique en son conseil privé, principal secrétaire d'État de S. M. pour les affaires étrangères.

S. M. la Reine d'Espagne, Don Xavier de Isturitz y Montero, chevalier de l'Ordre insigne de la Toison-d'Or, grand'croix de l'Ordre royal et distingué de Charles III et de l'Ordre impérial de la Légion-d'Honneur de France, chevalier des Ordres de la Conception de Villaviciosa et du Christ de Portugal, sénateur du royaume, ancien président du Conseil des ministres, premier secrétaire d'État de S. M. Catholique et son envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire près S. M. Britannique,

Et S. M. l'Empereur des Français, S. E. le comte de Flahault de la Billarderie, sénateur, grand'croix de la Légion-d'Honneur, ambassadeur extraordinaire de S. M. Impériale près S. M. Britannique.

Lesquels, après s'être mutuel

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