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1861 par le ministre des affaires étrangères pour faire connaître la nature des griefs du gouvernement impérial contre le Mexique, il est clair que le plus important, à ses yeux, provenait de la loi du 17 juillet précédent, à la suite de laquelle le paiement des conventions étrangères avait été suspendu pendant deux années. Le dernier paragraphe de cette note, relatif aux violences commises contre la personne des résidents français, ne venait évidemment que comme appoint à la plainte principale; et si j'en excepte l'affaire du vice consul de Tépic, pour laquelle il avait été payé à la famille de cet agent une forte indemnité (1), ce qui fait que son nom n'aurait pas dû figurer dans cette nomenclature, je crois que M. de Thouvenel aurait été bien embarrassé s'il lui avait fallu citer le nom d'un seul de nos compatriotes qui, pour se soustraire aux violences du parti libéral, eût été obligé, comme il le prétendait, de chercher son salut dans la fuite, après le pillage et l'incendie de ses propriétés. Ces faits ont pu se passer, je suis loin de le nier : mais c'était sous l'administration réputée paternelle des réactionnaires; et je ne comprends pas comment les attentats commis par les hommes dont les représentants officiels de la France et de l'Angleterre violant en cette occasion les usages et les principes du droit international - s'étaient hâtés de reconnaître l'autorité, pouvaient servir, après leur chute, de texte d'accusation contre le gouvernement que cette reconnaissance avait réduit à la triste nécessité de lutter, pendant trois ans, pour rétablir dans la République l'empire des lois foulées aux pieds d'une manière si audacieuse par les chevaliers porte-glaive du clergé mexicain.

Ces motifs n'étaient donc pas sérieux. C'étaient des prétextes en l'air; de grands mots jetés avec fracas aux quatre coins de la publicité pour égarer l'opinion en lui dissimulant le vide des véritables motifs de l'expédition; mais ce n'était rien de plus. Le gouvernement français voyait avec peine le maintien de la magistrature de M. Juarez, et vou

(4) On lui avait accordé 25,000 piastres, quelque chose comme fr. 132,500.

lait à tout prix s'en débarrasser : voilà tout le secret de sa grande colère. Il la voyait avec peine, non pour le mal que le président avait pu lui faire, il ne le connaissait pas; non pour celui qu'il avait fait, disait-on, à nos compatriotes, la conduite tenue, quelques années auparavant par le susdit gouvernement à l'occasion de l'assassinat du consul de France à Djeddah, prouverait, au besoin, qu'entre gens qui se respectent on ne s'émeut pas pour si peu; mais parce qu'en sa qualité de président de la République mexicaine, il représentait, sans s'en douter, le droit triomphant d'un coup d'Etat, tandis qu'au contraire, il représentait, lui, le triomphe d'un coup d'État sur le droit.

Puis étaient venus les motifs secondaires; ceux pourtant sur lesquels on avait l'air d'appuyer le plus le désir, entr'autres, de faire quelque chose qui pût être agréable au pape et au clergé, en ramenant au Mexique les évêques qui en avaient été chassés pour avoir livré à Miramon les vases et les ornements sacrés de leurs églises, afin d'entretenir avec leur prix les horreurs de la guerre civile; l'idée, peut-être bien un peu chimérique dans un siècle aussi matérialiste que le nôtre, d'organiser une sorte de croisade des peuples de race latine, et de se mettre à sa tête pour résister à l'invasion qui porte les idées de la race anglo-saxonne sur tous les points du monde; enfin, l'espoir, non moins chimérique d'en terminer une bonne fois avec les transes qu'inspirent à la vieille Europe les prospérités toujours croissantes de la grande République, en reconnaissant les États révoltés du Sud, et en célébrant avec eux des traités en faveur de je ne sais quelle façon d'empire restauré dans la patrie de Moctezuma. Tout cela, je le reconnais, a bien pu avoir son importance relative sur la décision du gouvernement français ; mais, je le répète, on ne discute pas de nos jours de semblables aberrations, je me contente de les signaler, et j'aborde, sans plus de préambules, les rancunes de l'Espagne.

Celle-ci se plaignait, à tort ou à raison, je n'examine point en ce moment je constate, du renvoi de M. Pacheco, et exigeait, pour satisfaction, la nomination d'un envoyé ad hoc qui irait à Madrid présenter à l'ancienne métropole

les excuses très-humbles de sa fille repentante. - Quelque chose, en un mot, dans le genre de l'humiliation imposée, en 1684, au doge de Gênes, Imperiali Lascari, par l'orgueil de l'homme que ses flatteurs ont surnommé le Grand roi.

Elle se plaignait en outre de la protestation faite par le gouvernement de M. Juarez contre le traité Mon-Almonte (1); et en demandait la reconnaissance explicite au moyen du paiement immédiat des sommes échues de la convention espagnole, à partir du jour où le paiement de cette convention avait été suspendu, sous l'administration de M. Comonfort, ou bien, si la République le préférait ainsi, une somme nette de 10,000,000 de réaux, soit 2,400,000 francs.

Enfin, elle se plaignait des attentats commis contre des sujets espagnols, et demandait une indemnité pour la capture, pendant la guerre civile, d'un bâtiment marchand, la Concepcion; avec menaces, pour le cas où le gouvernement mexicain ne s'humilierait pas devant ses injonctions, de s'emparer tout de suite de Vera-Cruz et de Tampico.

Il aurait été facile de répondre à la première de ces plaintes, j'ai presque dit de ces exigences, que M. Pacheco, ainsi que l'a reconnu, devant les Cortès, M. Calderon Collantes, avait été expulsé uniquement à cause de la conduite qu'il avait tenue, et que cette expulsion, toute personnelle, ne pouvait avoir donné lieu à aucune offense envers le gouvernement espagnol avec lequel celui de Mexico désirait entretenir les relations les plus cordiales.

Cependant, il y a plus. Avant son départ de la capitale, M. Pacheco avait reçu la visite de M. Gonzalez Ortega, pour lui demander une entrevue de la part du nouveau ministre des affaires étrangères, M. Francisco Zarco, mais il s'était refusé à toute explication. Il s'était contenté de répondre à M. Gonzalez Ortega ces paroles fatidiques: « IL » EST TROP TARD! Le rapport dans lequel j'informe le gou» vernement de la Reine de l'attentat commis contre ma » personne est parti c'est au gouvernement seul qu'il

(1) Voir ce traité dans les Ephémérides de la réaction.

a

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appartient de décider; quant à moi, je n'ai rien à • dire (1). »

Plus tard encore, c'est toujours M. Calderon Collantes qui l'a déclaré, le gouvernement espagnol avait reçu de celui du Mexique une note par laquelle M. Zarco déclarait de la manière la plus formelle que le gouvernement de son pays n'avait jamais eu l'intention de faire la moindre insulte à celui de la Reine, ni à la nation espagnole. En conséquence, il demandait qu'on acceptât loyalement ses explications, et priait le cabinet O'Donnell de traiter avec celui de la République. Cependant, M. Calderon Collantes ajoutait que le gouvernement espagnol n'avait pas même daigné répondre à M. Zarco.

Enfin, car je ne voudrais rien oublier, le ministre espagnol convenait encore que M. Antonio de la Fuente, alors ministre de la République à Paris, avait reçu de son gouvernement l'ordre de se mettre en rapport avec celui de Madrid pour terminer les difficultés pendantes entre l'Espagne et le Mexique, et de soumettre la question Pacheco à l'arbitrage du gouvernement français; mais que l'Espagne avait décliné cet arbitrage sous prétexte que la compensation ne lui paraissait pas suffisante.

De quoi donc pouvait se plaindre le gouvernement espagnol puisque, après lui avoir déclaré plusieurs fois que le renvoi de M. Pacheco était un fait entièrement personnel, un fait qui ne s'adressait en rien à la nation espagnole avec laquelle le Mexique, au contraire, désirait, pour l'avenir, nouer les relations qui auraient toujours dû exister entre la métropole et son ancienne colonie, le gouvernement mexicain offrait de terminer, par un traité, les différends qui existaient entre les deux pays, et de soumettre la question du renvoi de M. Pacheco à l'arbitrage du gouvernement impérial?

Le gouvernement espagnol s'irritait justement, ce qui ne veut pas toujours dire avec justice, loin de là! de toutes les démarches que faisait le Mexique pour arriver à la consta

(1) Ce fait a été raconté en plein Sénat espagnol par M. Calderon Collantes, dans sa réponse à M. Pacheco.

tation de sa mauvaise foi. Le renvoi de M. Pacheco était un prétexte, et pas davantage, derrière lequel s'abritait, comme dans un retranchement, la mauvaise humeur des enfants dégénérés de Pélage. Mais au ton plus que cavalier dont le ministre d'Etat s'était servi devant le sénat, pour caractériser la conduite de cet ambassadeur, il était facile de voir qu'il n'attachait à cet acte du gouvernement mexicain aucune valeur sérieuse, et que son refus d'entrer en arrangement provenait uniquement de l'impossibilité où il était de faire accepter par la République le traité connu sous le nom de Mon Almonte.

Reconnaître, en effet, la validité de ce prétendu traité, ce n'était pas seulement passer sous les fourches caudines de l'Espagne dont le négociateur, M. Mon, dans un moment de pudeur qui l'honore, avait lui-même condamné les exigences en stipulant que cet acte ne pourrait jamais servir de base ni de précédent, dans des cas de même nature pour obtenir de semblables concessions (1): c'était admettre implicitement que M. Almonte avait eu le droit de le signer au nom de la République, et déclarer en même temps que, pendant la lutte qui venait de se terminer, l'administration sortie du coup d'Etat avait été le seul gouvernement légitime du pays. En un mot, c'était obliger le gouvernement constitutionnel à renier lui-même le principe en vertu duquel il avait été investi du pouvoir suprême, et c'était devant cette exigence tenace du gouvernement espagnol que toutes les avances de M. Zarco devaient trébucher et se briser.

L'indemnité réclamée en faveur des propriétaires du navire la Concepcion, se rattachait au même ordre d'idées et, sur ce terrain encore, le gouvernement espagnol savait à l'avance qu'il lui serait impossible de s'entendre avec celui du Mexique.

En effet, ce bâtiment avait été capturé au mois de mars 1860, pendant le second siége de Veracruz par Miramon. Il était chargé de munitions de guerre pour le compte de l'insurrection, et les barils de poudre qui se trouvaient à

(1) Traité Mon-Almonte, art. ive.

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