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une protection plus efficace pour la personne et les propriétés des sujets anglais, espagnols et français résidant au Mexique, et l'exécution stricte de tous les traités célébrés entre les gouvernements d'Angleterre, d'Espagne et de France, d'une part, et la République mexicaine de l'autre, cet acte, dis-je, dont j'aurai bientôt à m'occuper d'une manière toute spéciale, n'était que le second acte d'une tragédie préparée depuis longtemps par MM. de Gabriac et Otway, alors ministres de France et d'Angleterre, et qui aurait eu son dénouement dès le mois de décembre 1858, si les amiraux Dunlop et Penaud, envoyés à Veracruz pour y présenter, pour y soutenir au besoin les réclamations de leurs nationaux, avaient consenti à servir les haines que nourrissaient ces deux ministres contre le gouvernement légitime de M. Juarez.

Alors, aussi bien qu'en 1861, il était question de faire respecter les conventions conclues entre le Mexique et les gouvernements européens, et de soutenir les plaintes des créanciers de la République contre l'irrégularité des paiements qui devaient leur être faits. Si même ma mémoire n'est point en défaut, M. de Gabriac, dès le 25 novembre 1858, avait expédié un ultimatum à M. Gutierrez Zamora, alors gouverneur de l'État de Veracruz, pour le sommer d'acquitter dans les trois jours qui suivraient la réception de sa missive, les termes échus des dividendes garantis par la douane de cette ville, 160,000 piastres, soit un peu plus de 800,000 francs, en le prévenant que, ce délai expiré, si les créanciers n'étaient point satisfaits, il remettrait l'affaire entre les mains de l'amiral Penaud, auquel il expédiait l'ordre de s'emparer de ce port, quitte à le bombarder si cela était nécessaire, et à le livrer ensuite à ses amis de Mexico.

M. Penaud, j'ai hâte de lui rendre cette justice, ne tint aucun compte de ces injonctions passionnées. Il voulut voir de ses propres yeux. Il s'enquit des faits qui s'étaient passés, et après avoir froidement étudié la situation des choses et des partis, il se prononça catégoriquement contre la guerre à outrance que faisait M. de Gabriac au gouvernement constitutionnel, en signant avec ce dernier un traité qui, s'il

laissait à désirer du côté de la modération, n'en restera pas moins dans l'histoire du Mexique, comme un témoignage manifeste du bon vouloir de son auteur.

Je dis de son bon vouloir, et c'était, je l'avoue franchement, tout ce qu'il était moralement possible d'attendre de son intervention.

Pour être juste, il aurait fallu que M. Penaud répondît à M. de Gabriac que du moment où M. Juarez n'était pour lui qu'un insurgé (1), c'était au gouvernement de Mexico, le seul reconnu par la France et l'Angleterre, que les ministres de ces deux puissances devaient présenter leurs réclamations. Mais pour agir ainsi, il aurait fallu avoir le courage de désapprouver hautement la conduite tenue par ces ministres, une année auparavant, et les deux amiraux, tout en la condamnant par leurs actes, n'osèrent pas aller au delà. Ils placèrent les deux gouvernements, celui de Mexico et celui de Vera-Cruz sur la même ligne, et ne pouvant atteindre le premier, ils exigèrent du second la stricte exécution des traités consentis par lui avant la perpétration du coup d'État.

Toutefois, il aurait été souverainement injuste, je dirai plus, déloyal, dans le cas où le gouvernement constitutionnel, épuisé par la guerre civile qu'il soutenait depuis plus d'une année, se serait trouvé dans l'impossibilité de faire face à l'arriéré de sa dette, de profiter de la présence des escadres, ainsi que le voulait M. de Gabriac, pour s'emparer de Vera-Cruz et livrer cette ville à la réaction. M. Dunlop le comprit aussi bien que M. Penaud, et voilà pourquoi, tout en constatant que le traité qu'ils signèrent en cette circonstance laissait beaucoup à désirer du côté de la modération, j'ajoute, cependant, que ce traité n'en restera pas moins dans l'histoire du Mexique comme un témoignage manifeste du bon vouloir de ceux qui l'ont négocié.

Ce traité assignait au payement de la convention française, une somme de 35 p. c., à prélever sur les produits

(1) C'est, comme on le voit, le langage tenu dernièrement au Corps législatif, par M. Rouher.

des douanes, provenant de tous les navires d'origine française.

Il assignait également pour le paiement de la convention anglaise, une somme de 51 p. c., à prélever sur les mêmes produits, provenant de tous les navires d'origine anglaise.

De plus, les frais de gérance, montant environ à 30 p. c., restaient encore à la charge du gouvernement mexicain, ce qui faisait que, sur les revenus de la douane provenant d'importation française, il ne lui restait, tous frais payés, que 35 p. c.; et sur celles qui provenaient des navires anglais, que 19 seulement.

35 p. c.. dans certains cas, 19 dans les autres, et voilà cependant le gouvernement dont les ministres de M. Bonaparte ont tant accusé la mauvaise foi!

M. Zamacona aurait pu ajouter bien d'autres choses encore en faveur de son malheureux pays. Malheureusement on ne songe jamais à tout. Au lieu de s'étendre sur leurs causes, il se contenta de parler de ses embarras du moment, et sir Charles, ignorant sans doute ce qui s'était passé avant son arrivée, lui répondit en véritable moraliste qu'un homme pouvait bien se justifier à ses propres yeux, d'avoir volé un pain, en se disant que la nécessité la plus impérieuse l'y avait contraint, mais que cet argument, au point de vue moral, ne pouvait justifier la violation de la loi, laquelle restait positive, et aussi privée de sentimentalisme que si le crime n'avait point eu d'excuse. « Si la faim de cet homme, disait-il, était si grande, il devait, avant tout, › supplier le boulanger de venir à son secours, et ne pas » s'emparer lui-même du pain dont il s'agit (1). »

La réponse à cet apologue était contenue tout entière dans l'article 8, ainsi conçu, des instructions données le 30 avril précédent, à M. A. de la Fuente en l'envoyant en Europe, pour y représenter le Mexique auprès des gouvernements de France et d'Angleterre.

« 8. Une autre des affaires les plus importantes pour le Mexique est la liquidation complète de sa dette. M. Fuente, en sa qualité d'ancien ministre des affaires étrangères et des finances, doit savoir

(1) Dépêche du 22 juillet 1864.

par lui-même que les exigences, en matière de réclamations, sont arrivées au point de mettre la nation dans l'impossibilité de remplir religieusement ses compromis, bien que, pour y faire honneur, elle ait été obligée de sacrifier, et elle ait en effet sacrifié la plus grande partie de ses revenus en grevant les douanes maritimes de telle sorte que ces produits, en ce moment, suffisent à peine au paiement des employés de cette administration. Dès lors M. Fuente comprendra combien il est important qu'il consacre tous ses soins, tout son esprit à établir la vérité suivante: tant que les réclamations continueront, comme elles le font à s'agglomérer, tant que les exigences, en fait de réclamations, seront aussi grandes, la possibilité du paiement sera moindre parce que l'on ne peut y faire face qu'en éternisant les dettes et en les exposant à toutes les éventualités de la fortune publique. Cette situation, véritable dans tous les temps, l'est encore davantage aujourd'hui que le gouvernement a besoin de plus grands moyens de conservation et surtout de l'élément efficace de l'argent, pour arriver à la pacification entière de la République, pacification dans laquelle les étrangers ne sont pas moins intéressés que les Mexicains, puisque la paix seule peut garantir tous les intérêts, et que ce n'est qu'à son ombre que l'on peut organiser l'administration en exploitant des éléments de richesses qui doivent activer l'industrie et le commerce et rendre plus facile l'accomplissement de toutes les obligations en matière de payement. M. Fuente doit donc mettre en œuvre tous les moyens que lui suggèreront son esprit pour obtenir, soit du gouvernement de l'empereur, soit des créanciers eux-mêmes, un moment de répit, en leur faisant comprendre que ce délai est indispensable à l'accomplissement des compromis que le pays a contractés, parce qu'il est évident que tant que le gouvernement ne possédera pas les ressources nécessaires à sa pacification complète, celle-ci sera retardée au grand préjudice des intéressés dont le payement doit forcément se ressentir du plus ou moins de moyens que le gouvernement aura à sa disposition pour rétablir et assurer l'ordre public. Dans ce but, M. Fuente pourra faire valoir l'attention scrupuleuse que le gouvernement légitime a mise à remplir ses engagements, même au milieu des nécessités sans cesse renaissantes de la dernière guerre qui, peutêtre, ne se serait pas autant prolongée si les créanciers de la nation avaient été moins exigeants. Le gouvernement ne veut pas qu'à l'avenir il y ait de nouveaux troubles ou de nouveaux motifs de plainte, et pour arriver à ce résultat il désire compter avec la coopération de ses créanciers (1). »

(1) Instructions de M. de la Fuente, en date du 30 avril 1864.

Mais, je le répète, on ne songe jamais à tout.

Toutefois, la porte était ouverte aux explications, M. Zamacona en profita, et s'emparant habilement de l'apologue pour revenir à la charge, il répondit : « S'il est permis de » se servir d'un pareil moyen pour expliquer la conduite » du gouvernement mexicain et justifier ses procédés, il » faudrait plutôt les comparer à celle d'un père de famille » chargé de dettes qui, n'ayant à sa disposition qu'une » faible somme, à peine suffisante pour apaiser la faim de » ses enfants, l'emploierait à acheter du pain, au lieu de >> satisfaire avec elle une partie de ce qu'il doit à ses créan» ciers (1). » Puis, faisant un appel chaleureux aux sentiments personnels de sir Charles, il lui demandait si, « dans » le cas où le représentant du gouvernement britannique » serait lui-même un membre de cette pauvre famille, il >> oserait qualifier aussi sévèrement la conduite du père » envers ses enfants; » et sir Charles, comme il était facile de le prévoir, oublia de répondre à une question aussi embarrassante.

Il est certain que le gouvernement du Mexique se trouvait alors dans une bien triste situation, et je n'hésite cependant point à dire que s'il n'avait eu à faire face qu'aux exigences de l'Angleterre, il aurait probablement obtenu du temps pour payer; quant à sir Charles qui avait à la fois à répondre aux doléances de M. Zamacona et aux réclamations des négociants anglais, il se conduisit dans toute cette affaire avec autant de condescendance que de précision, et il en sortit, ce qui était difficile à plus d'un titre, à la satisfaction de tout le monde.

(1) Réponse de M. Zamacona, en date du 25 juillet 1861.

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