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» envers le gouvernement de l'Empereur sous la protection duquel ces » saintes femmes sont placées dans le monde entier.

>> Si donc vous ne retirez immédiatement vos soldats dont la pré» sence ne peut se justifier par aucune bonne raison, je vous adresse » aujourd'hui même une protestation, et renonce à nouer aucune espèce » de relation avec un gouvernement pour qui je suis forcé de recon»> naître qu'il n'y a plus rien de sacré.

Je vous renouvelle, etc......

» Signé A. DE SALIGNY.

» A Monsieur Francisco Zarco, etc... »

J'ignore si, dans la pratique des perquisitions qui se firent en cette circonstance, il y eut réellement, ainsi que le prétendait M. de Saligny, des insultes adressées à la supérieure ou aux autres sœurs; mais j'en doute fort car, poussé comme bien d'autres par la curiosité, je me trouvais dans cet établissement le 17 février 1861, et je me rappelle parfaitement avoir assisté à la découverte de l'argent caché sous la niche no 17 du panthéon. J'ai vu de mes deux yeux sept à huit religieuses au moins, causer à plusieurs reprises, soit avec le général Valle, soit avec le colonel Gonzalez, soit avec les autres personnes chargées de diriger les recherches, et je n'ai rien entendu, pendant tout le temps que j'y suis resté, qui pût justifier cette accusation banale d'outrages incroyables dont M. de Saligny ne fournissait aucune preuve.

Il me semble donc qu'avant de faire tant de bruit pour une chose d'administration toute intérieure dont il n'avait pas le droit de se mêler; avant surtout de menacer le gouvernement mexicain de rompre, chose stupide puisqu'il n'avait point encore noué de relations officielles avec lui, le ministre de France aurait dû commencer par lui présenter les lettres de créance qui l'accréditaient auprès de lui en qualité de ministre plénipotentiaire du gouvernement français, car tant qu'il n'avait pas présenté ces lettres afin de constater officiellement sa qualité, il était clair que M. de Saligny, ministre ou non, n'était et ne pouvait être considéré par le gouvernement du pays que comme un simple citoyen. Jusque-là, il n'avait pas plus le droit, légalement parlant bien entendu, d'intervenir en faveur des Sœurs de

Charité, que tel ou tel autre individu, et ses menaces de départ étaient souverainement déplacées.

Il y a plus, même après l'échange des discours officiels, discours auxquels je n'attache pas plus d'importance qu'ils n'en méritent, loin de là, M. de Saligny aurait encore eu à faire connaître en vertu de quelle stipulation spéciale passée entre la France et le Mexique, le gouvernement mexicain avait abandonné son droit légitime de surveillance sur l'établissement des Sœurs de Charité, pour le placer sous la protection d'un ministre étranger; car si l'on admettait la doctrine posée en cette circonstance par M. de Saligny, sans en avoir préalablement calculé toutes les conséquences, à savoir, que la communauté mère de ces » établissements étant française et établie à Paris, il avait » reçu l'ordre de les prendre sous sa protection particulière, » il faudrait admettre que les congrégations religieuses, autorisées par les gouvernements à s'établir dans tels ou tels pays, perdent, par le seul fait d'appartenir à telle ou telle famille de moines, leur nationalité première pour adopter celle du fondateur de l'ordre; et alors le roi de Naples, quand il y avait de par le monde un royaume de Naples, aurait été le protecteur naturel en France des Bénédictins et des Franciscains, par le motif très-simple que le premier de ces ordres religieux, a eu pour fondateur, au vie siècle, saint Benoit de Nursia qui en établit le siége principal an Mont-Cassin, dans le royaume de Naples, et que le second a été fondé en 1208 à Portiuncula, également près de Naples, par saint François d'Assise. Or, une pareille prétention aurait été à bon droit réputée absurde par le gouvernement au nom duquel M. de Saligny voulait l'imposer au Mexique, et à moins de nier à ce dernier pays, uniquement parce qu'il était faible, la part de souveraineté à laquelle il avait droit en qualité de puissance indépendante, je ne vois pas comment le susdit Saligny pouvait y réclamer en faveur de la France, une protection et une surveillance que, dans des circonstances exactement semblables, le gouvernement français n'aurait certainement pas reconnues au gouvernement napolitain.

Mais on avait hâte d'en terminer avec des subtilités sans

cesse renaissantes, qui ne faisaient qu'entretenir la résistance du parti réactionnaire en lui laissant espérer que jamais le successeur de M. de Gabriac ne reconnaîtrait le gouvernement constitutionnel. Au lieu de maintenir avec fermeté le droit de surveillance du gouvernement sur une communauté d'origine toute mexicaine, qui n'avait pu s'établir dans le pays sans son consentement exprès, on proposa au ministre de France de s'en rapporter à la décision de son propre gouvernement, et cette grosse difficulté se trouvant ainsi aplanie, M. de Saligny consentit enfin à présenter ses lettres de créance, le 18 mars 1861. Il y avait plus de trois mois que Miramon avait disparu de la scène, et 67 jours bien comptés depuis le retour de M. Juarez dans la capitale.

Depuis lors, M. de Saligny n'a point été heureux dans ses rapports avec les habitants du pays.

Un jour, il s'est permis, en pleine place publique, d'insulter tout ce qui était mexicain, et sans l'intervention du gouverneur du district, il aurait eu une affaire particulière avec le chef de la police, M. Garcia de Leon.

Une autre fois, il s'est figuré qu'on voulait l'assassiner, il a remué ciel et terre pour ne rien prouver du tout, et ne sachant comment sortir d'une impasse où il ne ramassait que du ridicule, il s'est plaint au gouvernement des caricatures qui paraissaient contre lui dans les petits journaux.

Il est vrai qu'il avait toujours la face empourprée d'un homme qui est ivre, et c'est à cette circonstance qu'il faut attribuer les dessins dans lesquels on le représentait avec une bouteille de cognac à la main.

Mais de toutes ses mésaventures, la plus triste à mes yeux, celle qui a dû, par dessus tout, lui être sensible, c'est l'accusation portée contre lui par Mme Muñoz-Ledo, dont le mari, ancien ministre de Miramon, était un des personnages les plus gravement compromis de la dernière administration.

Celui-ci, pour des motifs faciles à comprendre, avait jugé convenable de prendre la fuite avant l'entrée des libéraux dans la capitale. Sa femme avait proposé son hôtel à M. de Saligny qui s'y était immédiatement installé, et pour ne pas être retardée par les embarras d'un déménagement, elle

avait laissé son linge et la plus grande partie des effets à son usage personnel dans de grandes armoires dont elle avait remis les clefs à son locataire.

Quatre mois après, elle voulut les ravoir. Elle envoya pour cela un fondé de pouvoirs, et prétendit, à son retour, avoir été victime d'un vol dont elle formula les détails dans la pièce ci-jointe, remise par les soins de M. de Saligny luimême, entre les mains du gouvernement libéral.

PLAINTE DE MADAME MUNOZ-LEDO.

Madame Clara Garro de Muñoz-Ledo prévient M. de Saligny qu'en recevant de l'interventeur, D. Manuel Perez, le linge et les vêtements à l'usage personnel de la famille qui lui ont été remis avec quelques autres meubles et quelques autres objets par ordre même de M. de Saligny, elle a constaté tout d'abord qu'il lui manquait ce qui suit: 15 douzaines de gants de chevreau, légitimes Jouvin ;

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Ces objets étaient placés dans les armoires d'une salle dont elle avait laissé les clés à M. de Saligny sur sa propre demande. Par conséquent, on doit supposer qu'ils en ont été enlevés ou placés dans un autre lieu avec son autorisation.

Elle n'a pas retrouvé non plus une boîte recouverte de peau, contenant un Atlas général de la République relié en velours, et enrichi d'ornements en or, en argent et en émail; bijou précieux qui se trouvait dans le tiroir d'un lavabo placé dans la garde-robe contiguë à la chambre qui donne sur la rue, et dont elle avait conservé la clé. En conséquence, elle a dû être enlevée en fracturant la serrure de ce meuble, ou en la forçant d'une autre manière.

Mexico, 14 mai 1861.

Signé MUNOZ-Ledo.

La réponse de M. de Saligny, toute entière de sa main, est datée du même jour. Elle est écrite sur papier libre et ne porte pas de signature. La voici, telle qu'elle est conservée dans les archives du gouvernement mexicain.

«Le ministre de France en permettant à Mme Muñoz-Ledo de laisser les effets à son usage personnel dans les armoires qui garnissent la maison de la rue Vergara (permission dont, par parenthèse, Mme Muñoz-Ledo a étrangement abusé en se refusant obstinément, pendant plus de 4 mois, à retirer ces objets) le ministre de France a toujours ignoré ce que contenaient les armoires dont Mme Muñoz-Ledo avait naturellement conservé les clés; comme il ignore ce qui a été retiré desdites armoires par les personnes chargées par Mme Muñoz-Ledo d'en faire l'ouverture.

» L'assertion de Mme Muñoz-Ledo qu'elle aurait laissé au ministre de France la clé d'une armoire contenant ses robes, chemises, etc., renferme à la fois un non sens et un mensonge qui se réfutent d'euxmêmes.

>> En ce qui touche l'Atlas mentionné par Mme Muñoz-Ledo, tout ce que sait le ministre de France c'est que, peu après son arrivée dans le pays, il a entendu parler d'un Atlas qui aurait été fait, dans le temps, par les soins et aux frais du gouvernement mexicain, pour être offert à S. M. l'empereur des Français. Cet Atlas avait disparu et l'on accusait tout haut M. Muñoz-Ledo de l'avoir soustrait.

» L'accusation aussi stupide qu'ignoble d'avoir forcé et fracturé une armoire est trop méprisable, et par sa nature même et par la source d'où elle émane, pour que le ministre de France s'abaisse à y répondre. Il se bornera à remettre la note de Mme Muñoz-Ledo au gouvernement pour que celui-ci agisse selon qu'il le jugera convenable.

» Le ministre de France convaincu qu'on ne peut que se salir au contact de certaines gens, ne veut avoir aucun rapport avec la famille Muñoz-Ledo.

» Mexico, 14 mai 1861. »

Il ne m'appartient pas de me prononcer sur la valeur, je dirai plus, sur la moralité de ces deux accusations. Je constate seulement que Mme Muñoz-Ledo, femme d'un exministre de M. Miramon, accusait M. de Saligny, ministre du gouvernement français, de lui avoir volé un Atlas de la République, relié en velours, avec ornements en or, en argent et en émail, en fracturant le tiroir d'un lavabo, et que M. de Saligny, tout en reconnaissant l'existence du susdit Atlas, accusait à son tour M. Muñoz-Ledo de l'avoir volé. La question reste pendante entre eux et je continue la suite de ma narration.

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