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et bien que cet impôt eût été aboli, en 1833, par le gouvernement, ils ne continuèrent pas moins à le prélever sur les simples.

Ils possédaient, en outre, pour 300,000,000 de piastres, soit 1,500,000,000 de francs, de propriétés particulières, et n'étaient point encore satisfaits.

Dans la seule ville de Mexico, ils étaient propriétaires de 500 maisons, estimées ensemble d'une valeur de 80,000,000 de piastres, soit 400,000,000 de francs, et le montant de leur portefeuille, porté en 1805 à la somme de 44,000,000 de piastres soit 220,000,000 de francs s'élevait encore à la moitié de cette somme, même après les nombreuses saisies auxquelles il avait été soumis pendant les dernières années du gouvernement espagnol.

Le clergé possédait donc à lui seul tout un tiers de la fortune mobilière et immobilière de la République. Il gouvernait à la fois les consciences et les volontés: les consciences, par la confession et la crainte des flammes éternelles; les volontés, par l'appât des intérêts égoïstes et peureux; et ce fut à ces deux raisons extrêmes qu'il eut recours, en 1857, pour grouper dans une même haine contre les lois des 25 juin et 22 novembre 1856, les scrupules plus que naïfs du président Comonfort, et les appétits sans cesse renaissants des chefs de l'armée.

La première de ces lois, nommée aussi loi Lerdo, du nom de son auteur, le citoyen Miguel Lerdo de Tejada, avait pour but de venir en aide à la propriété en faisant passer les biens de main-morte dans la circulation; tandis que l'autre, connue également sous le nom de loi Juarez, parce qu'elle était plus particulièrement l'œuvre du président actuel, alors ministre de la justice, supprimait toutes les juridictions particulières dont j'ai parlé plus haut, pour soumettre les membres jusqu'alors privilégiés de l'armée et dù clergé aux règles invariables du droit commun.

Du reste, il n'y avait eu aucune spoliation.

Dans le second cas, il ne pouvait pas y en avoir, puisque ce n'était, après tout, que la réforme d'un abus : et quant au premier, voici comment les choses auraient dû se passer sans l'intervention du coup d'État du 17 décembre 1857 :

Le droit de propriété des chapitres et des couvents avait été reconnu formellement par l'article 1er de la loi du 25 juin. Mais comme il s'agissait de faire passer cette propriété dans la circulation, il avait été décidé que le revenu de chaque immeuble serait capitalisé en prenant pour base d'estimation la vente dudit immeuble estimée comme si elle eût été la représentation d'une somme prêtée à 6 p. c. d'intérêt par an, et pour indemniser les anciens ayants droit, on avait ajouté que ce capital serait remboursé une fois pour toutes et par annuités aux chapitres et aux couvents par les locataires principaux substitués, dans l'économie de la nouvelle loi, aux droits désormais périmés des anciens proprié. taires.

Ce n'est pas tout encore.

Les propriétés du clergé, ainsi que je l'ai expliqué plus haut, se divisaient en deux classes composées, l'une des capitaux hypothéqués sur des propriétés particulières, rurales ou urbaines, l'autre des propriétés foncières situées en grande partie dans les villes.

De ces deux espèces de propriétés, une partie provenait de la munificence de l'État ou des ayuntamientos (1); l'autre, de donations arrachées par les ecclésiastiques, séculiers et réguliers, à la faiblesse des moribonds; et dans ce dernier cas, le plus important sans nul doute, chaque legs imposait certaines conditions dont les donataires ne pouvaient s'affranchir sans perdre immédiatement les bénéfices de la donation entière.

Or, il était publiquement notoire que, depuis bien longtemps, les chapitres et les moines ne tenaient aucun compte des conditions imposées par les testateurs.

Un gouvernement moins honnête, moins scrupuleux, je serais presque tenté de dire moins débonnaire, aurait donc pu, en plus d'un cas, disputer au clergé une portion plus ou moins grande de ses propriétés; et s'il l'eût fait, il aurait certainement trouvé dans les tribunaux nommés sous l'influence des idées nouvelles des juges disposés à accueillir ses prétentions.

(1) Municipalités.

Cependant il n'en fit rien. Il sacrifia généreusement, dans l'espoir d'obtenir la paix, tous les droits qu'il aurait pu revendiquer si facilement; et le clergé, loin de se montrer reconnaissant, n'eut point honte de spéculer sur une bonté qui lui paraissait une faiblesse d'autant plus surprenante qu'au moment dont je parle les libéraux pouvaient tout oser. Il refusa de se prêter à une transaction qui, tout en lui laissant la valeur intégrale de ses biens, lui enlevait, avec la propriété foncière, la force dont il avait jusqu'alors abusé pour maintenir les populations sous le joug abrutissant de la sacristie, et lança toutes ses foudres à la tête de ceux qui pourraient être tentés de profiter de la loi nouvellement promulguée par le gouvernement.

Ce n'était cependant pas la première fois que le parti dominant se permettait de porter la main sur l'arche, trois fois sainte aux yeux du clergé, de la propriété de l'Église. Sans entrer ici dans le détail des exactions sans nombre commises par les Espagnols pendant les dernières années. de leur séjour dans la République, il était publiquement notoire que, depuis 1833, il n'était point arrivé de changement au Mexique sans que le parti vainqueur, libéral ou réactionnaire, n'eût essayé d'entamer d'une manière quelconque ces revenus jusqu'alors réputés sacrés. La seule différence qu'il y avait entre eux, c'est que, quand les libéraux étaient au pouvoir, ils étaient combattus dans toutes leurs aspirations d'avenir par les réactionnaires; tandis qu'au contraire, quand ceux-ci dominaient, ils pouvaient trancher impunément dans le vif en s'abritant derrière les nécessités de veiller à la sûreté commune.

Cette fois, les robes noires jouaient leur va-tout. Il leur fallait renverser à tout prix une révolution qui les menaçait dans ce qu'ils avaient de plus cher, dans leurs biens et dans leurs priviléges, ou se résigner à subir la loi commune.

Se résigner, le clergé ne le pouvait pas. C'eût été de sa part une véritable abdication; pis qu'une abdication, un suicide; et si le clergé n'abdique jamais, il se suicide encore moins. Nous en avons pour garant celui de France, au moment de la Révolution de 1789, et, de nos jours, celui de Rome.

Restait la lutte. Mais comment triompher avec les armes spirituelles, les seules dont il disposait, contre les canons du gouvernement? Il intrigua, selon son habitude, un peu d'un côté, un peu de l'autre, et parvint, je ne dirai pas à lier à sa cause, ces gens-là ne se battent jamais sans se faire grassement payer, mais à soudoyer les dévouements, faméliques de quelques condottieris subalternes qui, comme Zuloaga, avaient gagné leurs épaulettes dans un tripot, ou bien comme Miramon, en se prononçant alternativement contre tous les gouvernements qui avaient administré les affaires de leur pays.

La protestation partit à la fois de l'armée et du clergé.

De l'armée, sous prétexte de punir la révolution d'avoir aboli les priviléges de la soldatesque et rendu les officiers, sans distinction de grade, justiciables, comme les autres citoyens, de la loi commune.

Du clergé, pour les motifs énoncés plus haut.

Les deux corps réunirent leurs haines pour exercer une pression sur l'esprit honnête, mais indécis, du président Comonfort, et le 17 du mois de décembre 1857, c'est-à-dire, 16 jours seulement après avoir prêté son serment, celui-ci, renversant la constitution qu'il venait de jurer, précipita son pays dans les horreurs d'une lutte qui devait aboutir à l'intervention.

III

Conséquences du coup d'État du 17 décembre 1857.

M. Comonfort dont, par deux fois déjà, j'ai eu l'occasion de parler, était un des principaux initiateurs d'un mouvement connu au Mexique sous le nom de mouvement d'Ayutla, et avait ainsi coopéré, en 1855, à l'expulsion du général Santa-Anna, dernier représentant du principe absurde des pronunciamientos.

Je dis qu'il était un des principaux initiateurs, et non le principal, parce que, après la fuite du dictateur, 4 octobre 1855, le général Alvarez, gouverneur constitutionnel de l'État de Guerrero, avait été nommé, d'un commun accord, président provisoire, et chargé, en cette qualité, de l'administration de la République, jusqu'à la promulgation de la nouvelle constitution. Mais ne pouvant, vu son grand âge, veiller lui-même avec tout le soin désirable sur le dépôt qui lui avait été confié, il s'était donné un substitut dans la personne de M. Comonfort et celui-ci, nommé définitivement président de la République dans les comices du peuple, avait prêté son serment le 1er décembre 1837, 16 jours seulement, comme je l'ai dit, avant de se lancer dans les hasards du coup d'Etat.

Cette défection, toute désagréable qu'elle fût, ne changeait cependant rien à la. situation du pouvoir. Elle avait été, je ne dirai pas prévue, mais reconnue possible par la charte de 1857 elle-même, et si les royalistes ont parfois raison de dire le roi est mort, vive le roi! je ne vois pas trop pourquoi le gouvernement d'une République chômerait par suite de la trahison de son président.

En effet, l'article 103 de la Constitution dont il s'agit, avait décidé, le cas échéant, que l'auteur d'un aussi grave

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