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leur admiration pour les pantalons rouges et les grands sabres de l'armée. Toute leur ambition, bien innocente à première vue, se limitait à voir ondoyer les turbans des zouaves sur la place du gouvernement, et quelque légitime que pût paraître un semblable orgueil, je n'y vois pas encore un motif suffisant pour décider la France à prodiguer tant d'or et tant de sang, afin de leur procurer cette satisfaction. La quatrième, enfin, la plus respectable à mes yeux, comprenait ceux qui n'avaient d'intérêt ni pour ni contre l'intervention, et ne considéraient l'action de la France qu'au point de vue de ses traditions politiques et de la mission qui lui a été confiée pour le plus grand avantage de l'humanité.

Pour ceux là, il était mathématiquement démontré que tant que la science n'aurait pas eu raison des aristocraties de toutes couleurs accoutumées, depuis l'enfance du monde, à vivre du plus pur de la substance des peuples qu'elles ont parqués, comme autant de troupeaux, dans des limites factices, la France, sentinelle avancée de la civilisation, aura pour mission de traduire dans les faits les tendances de l'humanité entière vers un avenir meilleur; de dégager l'inconnue cachée sous les langes de chaque problème nouveau ; - de présenter, en un mot, aux peuples qui la consulteront, le résultat d'une expérience acquise au prix du plus précieux de son sang. Les despotes le savent depuis longtemps, et c'est là ce qui explique pourquoi, à la voix de l'Angleterre, dont l'orgueilleuse oligarchie se voyait menacée par le torrent des idées du siècle, six fois en vingt-cinq ans, les souverains de l'Europe absolutiste se sont coalisés contre nous et ont réuni leurs esclaves pour écraser cette révolution, fille légitime de la philosophie du dix-huitième siècle, dont le siége, ils le savent bien, est et ne peut être qu'à Paris.

Je le dis en toute sincérité, non par esprit stérile d'opposition, mais parce que cela est vrai, matériellement vrai, l'expédition du Mexique n'était pas seulement injuste, elle était de plus une faute, car elle allait en opposition directe avec les véritables intérêts de notre pays. M. de Saligny lui-même, dominé par une vérité qui s'imposait à lui comme

à tout le monde (1), avait été obligé de reconnaître qu'il n'y avait au Mexique de haine ni contre la France ni contre nos compatriotes; et dans le commencement de l'expédition, les Mexicains se sont refusés longtemps à croire que les Français pussent être leurs ennemis. Le plus simple bon sens indiquait qu'il fallait profiter de ces bonnes dispositions et des embarras alors pendants des États-Unis pour substituer en ce pays l'influence française à l'influence américaine dont l'extension rapide préoccupait, non sans raison, le patriotisme de ceux qui craignaient d'assister impuissants à l'absorption de leur patrie par la race plus jeune et beaucoup plus vigoureuse des hommes du Nord; et s'il se fût placé sur ce terrain, M. de Saligny aurait obtenu du gouvernement toutes les concessions qu'il aurait pu désirer.

Mais dominé par ses préventions, aveuglé par des haines d'autant plus à craindre qu'elles étaient assurées d'avance de l'impunité, d'autres disent lié par des compromis dont on retrouve les traces dans la correspondance interceptée de M. Jecker (2), M. de Saligny, après avoir publiquement reconnu le gouvernement libéral, avait préféré convertir la légation de France en foyer permanent de conspiration contre ce même gouvernement; si bien que l'expédition de MM. Lorencez et Forey, quels que fussent d'ailleurs les motifs ostensibles dont on ait cru devoir se couvrir pour en expliquer la nécessité, n'était après tout que la conséquence rigoureuse de l'attitude hostile prise dès le principe par le ministre du gouvernement impérial contre des hommes

(1) Voir la dépêche déjà citée du général Prim à M. Calderon Collantes, en date du 27 janvier 1862, et la lettre de M. de Saligny au général Serrano, gouverneur général de la Havane, en date du 22 novembre 1861, remise aux Cortès par le gouvernement espagnol. (2) Lettre de son frère, en date de Paris, le 7 novembre 1862. On y lit le passage suivant:

« M. de Gabriac est triste. Il espérait être nommé chef du cabinet » de son ami Drouyn. Hélas! il s'est trompé. Agissez de telle sorte » que M. de Saligny fasse tout ce qu'il pourra auprès de Forey pour »> notre cause, et non en vue de la récompense qu'on lui destine. » S. M. l'aime et apprécie ses services, etc... »

dont le plus grand crime à ses yeux, était de ne point avoir désespéré de la régénération de leur pays.

Je me résume.

Dans tous les pays où le peuple a conservé une portion, si minime qu'elle soit, de souveraineté, le droit de paix et de guerre appartient à ses représentants, non au pouvoir exécutif, qui n'est et ne peut être, son nom seul l'indique assez, que l'exécuteur passif des volontés de la nation. Cette vérité, je le confesse, ne s'accorde guère avec l'omnipotence des gouvernements. Pourtant, elle est logique; tellement logique que l'empire lui-même, en dépit de ses nécessités absolutistes, n'a jamais osé renouveler cette singulière déclaration de Louis XIV au Parlement de Paris: L'État, c'est moi! Aujourd'hui, l'État se compose du pays tout entier, depuis le plus infime de ses membres, souverain absolu dans les comices électoraux, jusqu'à l'hôte fortuné des Tuileries. Chacun sent que cette souveraineté, si elle était trop hardiment niée, pourrait bien être un jour réclamée de nouveau avec les arguments qui ont prévalu, en 1789, en 1830 en 1848; et voilà pourquoi, tout en usant et abusant du pouvoir dont il s'est emparé, chacun sait comment, l'empereur, puisqu'aussi bien empereur il y a, se pare encore devant les niais du grand nom de 89, et permet à son ministre de l'instruction publique de le nommer l'homme le plus libéral de son empire.

Quant à l'expédition du Mexique, il n'y a jamais eu qu'une voix dans le monde entier pour en condamner les tendances et en craindre les résultats. Seul, le gouvernement impérial a été d'un avis contraire, et si je voulais interroger mes souvenirs, je pourrais retrouver le jour où il a dit que cette expédition serait la plus belle page de son règne. Je ne le chicanerai pas là-dessus; mais, au nombre des jeunes soldats dévorés par la conscription sous le premier empire, on peut voir aujourd'hui ce que coûte à la patrie commune la gloire éphémère de ces dieux d'argile qu'on nomme des souverains; et, pour ne point sortir de la question mexicaine, je me contenterai de répondre que plus la page qui avait trait au Mexique devait être belle, si cette expédition avait pu aboutir, plus aussi elle aurait coûté à la France. A ce compte, l'empire

seul pouvait y gagner; et la question alors n'était plus une question française, mais une question purement bonapartiste. C'est peut-être aussi pour cela qu'elle blessait si profondément les intérêts du Mexique, de la France et de l'humanité entière.

XIX

Dénonciation de la rupture des préliminaires. — M. de Lorencez attaque Orizaba. Pronunciamiento

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de cette ville en faveur d'Almonte. Marche sur Puebla. Échec de l'armée française.

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Quoi qu'il en soit des considérations contenues dans le chapitre qui précède, la rupture des préliminaires était désormais un fait de plus dans cette question si fertile déjà en incidents de tous genres; et ce fait, en dévoilant les véritables motifs de l'envoi de M. de Lorencez au Mexique, venait briser d'une manière bien pénible les espérances de tous ceux qui comptaient sur le bon accord des commissaires alliés pour rétablir le calme et la tranquillité dans le pays.

Des trois puissances réunies à Londres pour signer la Convention du 31 octobre, les deux premières, l'Angleterre et l'Espagne, abandonnaient publiquement la troisième; et l'empire, débarrassé par cet isolement de tout ce qui aurait pu le gêner, allait enfin pouvoir donner à son action l'allure qui lui conviendrait le mieux.

Toutefois, avant de se séparer définitivement, les commissaires comprirent qu'ils avaient un dernier acte à dresser en commun; et, le soir même, ils adressèrent un message au gouvernement mexicain pour lui faire savoir « qu'ils » s'étaient trouvés dans l'impossibilité de se mettre d'accord sur » l'interprétation à donner, dans les circonstances où ils se » trouvaient, à la Convention du 31 octobre 1861 (1). »

Le même jour, MM Lagravière et Saligny lui firent passer de leur côté une note isolée, et comme cette note sert naturellement d'introduction aux événements qui se sont déroulés depuis, je vais la reproduire en entier.

(1) Dernière note collective des commissaires alliés au gouvernement mexicain, en date, à Orizaba, du 9 avril 1862.

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