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compte que des conséquences que pouvait avoir la mesure que proposaient les représentants de la France, se contenta de lui répondre que les Français résidant à Mexico verraient cette marche avec déplaisir.

Sir Charles Wyke ajouta que, quant à lui, il savait par expérience combien parmi ceux qui régissaient les affaires du Mexique, il y avait de personnes distinguées, appartenant au parti modéré; et que la conduite observée jusqu'ici par les commissaires alliés était la seule qui lui parût digne, la seule qui lui parût convenable.

L'amiral répliqua qu'il n'éprouvait aucune sympathie pour un gouvernement à qui on avait offert la paix et la réconciliation des partis, et qui avait répondu à cette offre en ordonnant des supplices (1).

Enfin, les commissaires des gouvernements d'Angleterre et d'Espagne déclarèrent qu'après avoir entendu les plénipotentiaires français dans leurs dires, ils ne trouvaient aucun motif qui pût justifier leur résolution de rompre avec le gou

·(1) L'amiral Jurien faisait ici allusion à la mort du général Robles Pezuela.

M. Robles, compromis au premier chef par sa conduite dans les événements qui s'étaient passés depuis trois ans, s'était tenu caché pendant plusieurs mois, après la prise de Mexico, dans l'hôtel même de M. de Saligny. De là, il s'était rendu à Guanaguato, où il vivait tranquillement sous la protection de M. Doblado, gouverneur constitutionnel de cet État. Quand M. Doblado fut nommé ministre des affaires étrangères, Robles obtint de lui l'autorisation de revenir à Mexico, sous la condition expresse de s'y tenir tranquille. Malheureusement, il se mit en relation avec Almonte et le P. Miranda, et, pour en terminer avec ses intrigues, on lui ordonna de se rendre, sur parole, à Sombrerete, dans l'État de Zacatecas. Robles promit d'obéir, mais au lieu de prendre la route du Nord pour se rendre à sa destination, il prit celle de l'Ouest qui conduisait au camp des alliés, en compagnie d'un autre transfuge, le colonel Taboada, bien connu des anciens hôtes de la rue de Clichy. Ce dernier parvint au camp français. Quant à Robles, il fut arrêté près d'Orizaba, traduit en jugement pour crime de trahison, condamné et passé par les armes, le 23 mars 1862, dans le village de San Andres Chalchicomula.

vernement mexicain; qu'ils ne pouvaient approuver ni signer la réponse que les susdits plénipotentiaires voulaient faire à la note de M. Doblado; et que, dans le cas où ils continueraient à s'opposer au rembarquement du sieur Almonte et de ses compagnons, ou s'ils se refusaient à prendre part aux conférences qui devaient s'ouvrir six jours plus tard, dans cette même ville d'Orizaba, avec les plénipotentiaires du gouvernement local, ils se retireraient, eux, du territoire du Mexique avec leurs troupes, et regarderaient la conduite des commissaires français comme une violation de l'acte de Londres et des préliminaires de la Soledad.

Ainsi se termina la conférence. On s'étonnera peut-être que des agents subalternes, comme les commissaires, aient osé déchirer entre eux l'œuvre collective de leurs gouvernements respectifs, avant d'avoir reçu des ordres à cet égard mais la surprise cessera si l'on considère que ces gouvernements étaient eux-mêmes divisés sur la manière de rendre l'intervention effective; et qu'obligés, pour avoir au moins l'air d'être d'accord, de se faire mutuellement des concessions plus spécieuses que réelles, ils s'étaient toujours refusés à préciser le but de l'expédition, et avaient laissé à leurs agents le soin d'interpréter la Convention dans le sens le plus conforme aux vues secrètes de chacune des parties

contractantes.

XVIII

M. de Saligny fait déclarer la guerre au gouvernement mexicain. Du droit de paix et de celui de guerre. Celle du Mexique est contraire aux véritables intérêts de la France.

Après ce que j'ai dit dans les deux derniers chapitres, je ne m'étendrai pas davantage sur les raisons inventées par M. de Saligny, pour expliquer à ses collègues son changement de front. Je ne dirai rien non plus de l'apologie des mêmes faits présentée au Corps législatif, par M. Billault, dans la séance du 27 juin 1862. Ce ministre est mort depuis: que la postérité lui soit légère! Mais la majorité qui accueillit alors avec tant de bienveillance l'énoncé des motifs qui avaient pour but de justifier devant elle le renversement de l'autorité légitime de M. Juarez, ne se doutait probablement pas qu'elle applaudissait à une édition revue, corrigée et beaucoup augmentée des doctrines émises en 1813, 14 et 15 par les souverains alliés, pour justifier l'invasion de notre propre pays (1).

Après des exemples pareils, on pouvait, non sans quelque raison, espérer qu'un enseignement donné depuis si peu de temps ne serait pas perdu pour les hommes de notre époque, et que, sous l'empire d'un Bonaparte, on ne verrait pas le gouvernement français exhumer contre un gouvernement étranger les reproches inventés par la coalition contre le chef de sa race (2). Mais puisqu'il en est autrement, puis

(1) « Français ! La victoire a conduit les armées alliées sur vos frontières, elles vont la franchir. Nous ne faisons pas la guerre à la France. >>

Déclaration du prince de Schwartzenberg, en date du 24 décembre 1813.

(2) Les puissances déclarent que Napoléon Bonaparte s'est placé

qu'en plein XIXe siècle le droit n'existe encore que pour les forts, et que la patrie, cette chose trois fois sainte pour nous, les déshérités, n'est qu'un mot vide de sens pour les repus de tous les régimes; puisqu'en un mot, le décret de M. Juarez, en date du 25 janvier 1862, qui a déclaré traîtres à la patrie tous les Mexicains qui se réuniraient aux envahisseurs de leur pays (1) a excité, qui le croirait? des élans si vertueux d'indignation sur les bancs de la majorité, je ne laisserai pas passer une pareille doctrine sans protester au nom du sang versé par les miens pour la défense du territoire envahi; et je me permettrai de dire à cette majorité qui n'a rien appris mais qui a tout oublié, que les dispositions des décrets des 23 février et 5 mars 1814, rendus chez nous par le chef du premier empire, dans des circonstances identiques à celles où se trouvait M. Juarez quand il a publié le sien, n'ont rien à reprocher à celles du décret du 25 janvier 1862. Des deux côtés la situation était la même; partant le droit à la résistance était également le même et, à moins de flétrir les décrets des 23 février et 5 mars 1814 du nom de monuments sanguinaires du despotisme impérial (2), ce que personne ne s'est encore permis, ce que personne ne se permettra probablement jamais, on conviendra que, pour avoir mérité l'indignation de M. Billault et de la majorité, le décret du 25 janvier 1862, sur les peines à infliger aux traîtres et à la trahison, ne dépassait en rien ceux du premier empire.

Je n'en dirai pas davantage sur ce sujet. Mais si je me résigne si facilement au silence sur une question qui s'impose toute seule je ne saurais me taire de même à l'égard de l'acte par lequel cinq agents subalternes, et les com

hors des relations civiles et sociales, et que, comme ennemi et perturbateur du repos du monde, il s'est livré à la vindicte publique. » Déclaration des souverains alliés, en date du 13 mars 1815.

(1) C'est en vertu de ce décret que le général Robles a été fusillé, et c'est à l'occasion de sa mort que se passait la scène dont il est question.

(2) Expressions dont s'est servi M. Billault, pour désigner le décret de M. Juarez.

missaires alliés n'étaient pas davantage, ont osé déchirer entre eux l'œuvre collective de leurs gouvernements. Cette œuvre n'était exclusivement ni anglaise, ni espagnole, ni française; elle était à la fois tout cela, et quoi qu'en aient dit les gouvernements d'Angleterre et d'Espagne pour colorer la conduite de leurs plénipotentiaires au Mexique, il n'en est pas moins vrai que leur action était liée à celle de la France. En d'autres termes, la Convention de Londres devait avoir tout prévu. Ce n'est qu'à cette condition qu'il peut être permis de la considérer comme un acte sérieux. Tout devait donc y avoir été discuté à l'avance, et ce que l'expédition devait être, et ce qu'elle ne devait pas être. Les trois puissances, en la signant, avaient pris à la face du monde un engagement collectif qui, à son tour, était devenu en quelque sorte la garantie de la puissance qu'elles allaient attaquer, et nul n'avait le droit d'y introduire un changement, si minime qu'il fût; par conséquent, nul n'avait le droit de permettre à ses alliés de toucher à l'esprit qui en avait dicté les conditions.

Je dis que cet arrangement était devenu en quelque sorte la garantie du Mexique, et pour peu qu'on daigne se reporter aux préliminaires de la Convention, cette vérité, banale selon moi à force d'être vraie, ne saurait laisser le moindre doute à personne. Toutefois, comme il s'agit de convaincre et non de poser des affirmations, je vais expliquer catégoriquement ma pensée.

L'article 3 du projet de Convention (1), on doit s'en souvenir, après avoir déclaré « que les alliés s'engageaient » mutuellement à ne pas distraire les forces dont ils allaient » faire usage, pour les employer à un objet, quel qu'il fût, » différent de ceux qui étaient spécifiés dans le préambule » de l'acte dont ils s'occupaient, » établissait en outre qu'ils s'interdisaient SPÉCIALEMENT le droit d'intervenir dans les affaires intérieures de la République.

Depuis, lord Russell avait consenti à la suppression de cet article fâcheux, « afin, disait M. Billault au Corps légis

(4) Voir ce projet à la page 82.

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