Page images
PDF
EPUB

forces espagnoles, parce que le Mexique, constitué en République depuis quarante ans, repousserait la forme monarchique, et refuserait des institutions si différentes de celles qui l'ont régi jusqu'à notre époque.

» Le général Almonte m'a confessé de plus qu'il comptait sur l'appui des troupes françaises, et je ne lui ai pas caché combien je regrettais de voir le gouvernement français adopter au Mexique une politique si différente de celle que l'empereur avait suivie dans plusieurs occasions. Je lui ai même dit que, dans le cas pour moi peu probable, où les forces de la France se compromettraient dans une pareille entreprise, s'il leur arrivait un échec, je regretterais autant ce malheur que s'il m'arrivait à moi-même ou à mon pays. J'ai fini, par l'engager à ne pas persévérer dans une conduite où, s'il agissait seul, il trouverait infailliblement sa ruine, tandis que, s'il comptait sur l'appui de quelques-unes des forces alliées, il ferait naître dans le pays des susceptibilités qui pourraient compromettre l'avenir des négociations pendantes, dont la politique, toute conciliante, suivie jusqu'à ce jour par les commissaires alliés, espérait, non sans raison, obtenir un bon résultat. >>

Tout cela fut en vain. Les représentants français déclarèrent en termes clairs et explicites qu'ils étaient résolus à ne pas traiter avec le gouvernement de la République; que loin de retirer leur protection aux émigrés mexicains qui l'avaient invoquée, ils continueraient, au contraire, à la leur accorder, et pour justifier leurs procédés ils se retranchèrent derrière le crédit dont jouissait le sieur Almonte auprès de l'empe

reur.

<< La protection accordée au général Almonte répondit l'amiral Lagravière à une observation de sir Charles Wyke ayant pour but d'établir que cette protection était une véritable intervention dans les affaires intérieures du pays; la protection accordée au général Almonte ne diffère en rien de celle que la France accorde aux proscrits de tous les pays, elle n'implique par elle-même aucune intervention dans les affaires intérieures de la République, et, une fois concédée, il n'y a pas d'exemple qu'elle ait jamais été retirée. »

Alors le commissaire espagnol fit observer que cette protection s'accordait ordinairement aux vaincus dont l'existence était en péril, et non aux individus qui venaient tout exprès de l'étranger avec des intentions hostiles contre un

gouvernement établi, surtout contre un gouvernement avec lequel les alliés avaient déjà ouvert des négociations.

C'était là le point capital de la question pour le commissaire espagnol dont l'avis, sans cela, aurait été facilement combattu avec les arguments dont il s'était servi, un mois et demi auparavant, pour s'opposer au renvoi de Miramon; mais la différence des situations imposait naturellement la différence du langage, et l'amiral répondit sans faire aucune allusion à ce précédent :

-

« Que le général Almonte, de même que tout le monde en Europe, croyait la guerre inévitable, et que loin d'être animé de sentiments hostiles envers son pays, il arrivait au contraire avec une mission, on ne disait pas de qui, · pacifique et conciliatrice, afin de rétablir la concorde entre les différents partis; qu'il était digne, par ses antécédents, d'être écouté par ses compatriotes, et que c'était à lui, en rectifiant les erreurs répandues à ce sujet, qu'il appartenait de leur faire comprendre les intentions bienfaisantes des gouvernements européens à l'égard du Mexique; que ce général était le plus capable de remplir cette mission, tant à cause des emplois honorables qu'il avait si dignement remplis dans son pays, que par l'estime de l'empereur pour sa personne et l'influence dont il jouissait auprès de lui; que les raisons données par le comte de Reuss pour justifier son opinion relativement à l'impossibilité d'établir une monarchie au Mexique ne lui paraissaient pas concluantes; et que, du moment où il était prouvé que les institutions sous lesquelles le pays avait vécu depuis quarante ans, n'avaient produit que des révolutions et amené la situation déplorable où il était aujourd'hui, il était probable qu'un changement radical dans ces institutions serait reçu favorablement par tous les habitants de la République.

>>

Sir Charles Wyke fit encore observer qu'à son arrivée à Veracruz, le transfuge mexicain s'était donné publiquement comme le fondé de pouvoirs des trois gouvernements alliés, quand il était évident qu'il n'avait reçu aucune mission, ni de l'Angleterre, ni de l'Espagne, au nom desquelles, cependant, il prétendait interpréter à sa manière la Convention de Londres; et l'amiral se contenta de répondre « qu'il ne croyait pas que le général Almonte eût jamais manifesté de semblables prétentions. » Puis, sur une affirmation nouvelle du général Prim et du commodore Dunlop, M. de Sa

liguy, pour ne pas avoir à répondre à un fait qu'il lui était impossible de nier, se hâta de couper court à l'incident en passant à une autre question.

« Il dit que le but véritable de l'acte de Londres était d'obtenir satisfaction des outrages commis par le gouvernement mexicain contre les étrangers, et que le système de temporisation et de conciliation suivi jusqu'à ce jour était condamné par l'épreuve qu'on en avait faite, puisqu'il recevait à chaque instant des lettres dans lesquelles les signataires se plaignaient à lui de la lenteur des alliés et lui disaient que cette attitude avait eu pour conséquence naturelle d'augmenter l'audace du gouvernement mexicain;-que, quant à lui, il déclarait formellement qu'il ne traiterait jamais avec ce gouvernement, et qu'après avoir mûrement réfléchi sur la détermination qu'il convenait d'adopter, il croyait nécessaire de marcher immédiatement sur la capitale (1).

[ocr errors]

-Alors, le commissaire anglais demanda à M. de Saligny, s'il était vrai, comme on le répétait de tous côtés, qu'il n'attachât aucune valeur aux préliminaires de la Soledad?

-M. de Saligny répondit :

« Qu'il n'avait jamais eu la moindre confiance dans aucun des actes du gouvernement mexicain, et que cette opinion s'appliquait, non-seulement aux préliminaires dont on parlait, mais à toutes les Conventions qu'on pourrait dans la suite célébrer avec lui.....

[ocr errors]

Enfin, à cette interpellation du commodore Dunlop : Pourquoi, s'il n'avait, ainsi qu'il venait de le déclarer, aucune confiance dans la parole du gouvernement mexicain, il avait signé les préliminaires en question? Et pourquoi, après les avoir volontairement signés, il ne se croyait pas lié par sa signature ?...

[ocr errors][merged small]

» Qu'il ne devait compte à personne des motifs qui l'avaient engagé à signer ces préliminaires. »

Mais s'apercevant bientôt de l'effet que venaient de pro

(1) C'était justement le motif que les journaux officieux de Paris donnaient pour expliquer les renforts envoyés au Mexique et le départ de M. de Lorencez. Voir plus haut une citation à ce sujet de l'Esprit public.

duire ces paroles brutales, il ajouta d'un ton un peu radouci :

«Que néanmoins, si le gouvernement mexicain ne les avait pas lui-même enfreints de mille manières, il se scrait cru compromis par sa signature. »

Ici la discussion risquait de s'écarter de nouveau du but qu'on s'était proposé, car les représentants anglais allaient sommer M. de Saligny de fournir les preuves de ce qu'il avançait, quand M. Prim l'y ramena en faisant lire par son secrétaire une note dans laquelle le ministre des affaires étrangères de la République réclamait au nom de son gouvernement l'expulsion du général Almonte et de ses compagnons (1); et l'amiral Jurien répondit au nom des commissaires français qu'ils se refusaient l'un et l'autre, de la manière la plus positive, à cette demande.

Ce refus était prévu, cependant il fut désapprouvé par les plénipotentiaires des deux autres puissances, et l'amiral, pour donner un semblant de justice à ses raisons, déclara que, dans aucun pays, il n'avait vu inaugurer un système de terreur pareil à celui qui pesait en ce moment sur les populations du Mexique (2).

M. de Saligny, cela coule de source, appuya fortement l'opinion de son collègue, et sir Charles Wyke les combattit au contraire en déclarant que, dans son opinion, la grande majorité du peuple mexicain soutiendrait le gouvernement actuel, tandis qu'au contraire la monarchie rencontrerait peu de partisans.

M. Jurien répliqua que la partie intelligente et modérée de la nation était aussi la seule qui méritât les sympathies des puissances alliées, ce qui, en d'autres termes, signifiait que l'amiral entendait faire œuvre de parti; que cette fraction du tout mexicain désirait sincèrement le retour à l'ordre et à la tranquillité; qu'elle souhaitait surtout l'appui des alliés, et qu'elle prouverait elle-même ses sentiments le jour où,

(1) Voir cette note ci-dessus, à la page 197.

(2) Le brave amiral avait la mémoire courte. Il oubliait ce qui s'était passé, dix ans auparavant, dans son propre pays; ce qui s'y passait encore.

libre enfin de l'oppression qui pesait sur sa liberté, elle pourrait formuler hautement son opinion. Il termina, comme M. de Saligny, en disant qu'il fallait marcher immédiatement sur Mexico.

Celui-ci ajouta que ses compatriotes gémissaient sous la plus atroce tyrannie; qu'il avait reçu un grand nombre de pétitions dans lesquelles on lui demandait que les troupes. françaises marchassent sur la capitale, et que les pétitionnaires regardaient cette démarche comme la seule qui, en leur procurant un peu de sécurité pût les préserver d'une ruine complète.

Ces pétitions étaient vraies. Mais ce que M. de Saligny ne disait pas, ce que les représentants anglais ne pouvaient pas lui reprocher, car ils n'en savaient rien, c'est la manière dont s'y était prise la légation de France pour en obtenir les signatures.

Le fameux banquier Jecker, en dépit de ses opérations avec l'administration réactionnaire, d'aucuns même disaient à cause de ses opérations, avait été obligé de déposer son bilan huit mois avant la rentrée du gouvernement constitutionnel dans la capitale de la République.

[ocr errors]

Dans le passif de ce bilan, la population française de Mexico s'était malheureusement trouvée compromise pour une somme assez ronde, et M. de Saligny, ainsi que je l'ai expliqué plus haut, en avait profité pour poser ce dilemme aux intéressés : « Si l'intervention a lieu, M. Jecker sera » payé, et vous le serez également; dans le cas contraire, il » est probable que vous perdrez tout. Choisissez mainte> nant et les malheureux, placés ainsi entre les nécessités de leur situation et leur conscience qui leur disait que l'intervention serait une faute irréparable, après avoir déposé leurs demandes entre les mains de ce ministre, étaient obligés plus tard de signer encore tout ce qu'il lui convenait de présenter à leur signature.

:

Ces nouvelles demandes étaient transmises à M. de Saligny, au fur et à mesure de leur remplissage, par une façon d'expéditionnaire nommé Farine, qu'il avait laissé à Mexico; mais, je le répète, les commissaires anglais n'en savaient rien, et c'est pour cela que M. Dunlop, ne tenant

« PreviousContinue »