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Je n'en finirais pas avec cet homme sur lequel je ne me suis arrêté si longtemps que parce que ses actes m'ont rappelé ceux des traîtres qui prétendaient, eux aussi, en 1792, livrer la France aux horreurs d'une invasion, et je sens qu'il faut abréger. J'ajouterai seulement que par trois fois, les 27, 29 et 30 du mois de mars 1862, sir Charles Wyke, ministre au Mexique du seul gouvernement dont les agents fussent, jusqu'à un certain point, responsables de leur conduite devant l'opinion de leur pays, s'est adressé à ce gouvernement pour lui faire part des exigences de M. de Saligny en faveur du susdit Almonte et lui soumettre son opinion accompagnée de celle du commissaire espagnol, et que lord Russell lui a transmis sa réponse le 21 avril suivant, c'est-à-dire 15 jours au moins avant d'avoir reçu la nouvelle de la rupture arrivée, le 9 du même mois, à Orizaba.

Voici cette réponse; je la donne en entier, et je laisse au lecteur le soin de comparer la doctrine du gouvernement anglais sur la matière, avec celle qui a été soutenue par M. Billault devant le Corps législatif.

Le comte Russell à sir Charles Wyke.

>> Monsieur,

« Foreign-Office, 24 avril 1862.

>> Vous devez être anxieux de connaître l'opinion du gouvernement de S. M. sur la situation des affaires au Mexique, situation dont vous m'entretenez dans vos dépêches des 27, 29 et 30 du mois dernier. Je me réserve de m'étendre plus tard sur les importantes questions qui font l'objet de ces dépêches, et me limiterai, dans celle-ci, à vous indiquer ce que le gouvernement de la reine y a trouvé de plus urgent, avec la solution qu'il a jugé convenable de donner à chacune d'elles.

» Voici ces questions :

4o» M. de Saligny a-t-il eu raison de permettre à des émigrés mexicains, tels que le général Almonte et le P. Miranda, de pénétrer à l'intérieur sous la protection du pavillon français, ou bien, le général Prim et le représentant de S. M. Britannique ont-ils eu raison de protester contre cet acte?

20» Le général Prim a-t-il eu raison, pour le cas où le commis

saire français persisterait dans ses exigences, de se décider à retirer ses troupes du territoire mexicain?

3o» Dans le cas également où le commissaire français persisterait dans ses exigences, la Convention du 31 octobre doit-elle être considérée comme rompue ou seulement comme suspendue?

» Voici les réponses du gouvernement de S. M. aux questions qui lui sont posées :

1o » Dans son opinion, le général Prim et le représentant de la reine étaient parfaitement fondés à protester contre le permis donné par M. Dubois de Saligny au général Almonte et au P. Miranda pour pénétrer dans l'intérieur du Mexique sous la protection du pavillon français.

2o» Dans son opinion, le général Prim a eu grandement raison de se décider à retirer ses troupes pour le cas où le représentant français persisterait dans ses exigences.

3o » L'opinion du gouvernement de S. M. est que, dans le cas où le représentant de la France persisterait dans ses exigences, la Convention du 31 octobre ne devrait pas pour cela être considérée comme rompue ou terminée, mais seulement comme suspendue.

» Cette dernière réponse servira de règle à votre conduite future relativement à l'occupation de Veracruz et à votre position personnelle. En ce qui concerne la ville de Veracruz, le gouvernement de la reine pense que l'occupation de cette place, au nom des alliés, doit continuer jusqu'à ce qu'on ait envoyé de nouvelles instructions aux commissaires des trois puissances. D'ici à peu de temps, il pourrait y avoir un changement dans la politique française à l'égard du Mexique, ou même une modification spontanée du gouvernement mexicain, et, dans l'un ou l'autre cas, la Convention de Londres pourrait se remettre en vigueur.

» Quant à votre position personnelle, si la Convention de Londres était définitivement rompue, vous vous retireriez aux Bermudes, où vous attendriez de nouvelles instructions.

>>> Je suis, etc.

» (Signé) RUSSELL. »

Ainsi la rupture de la Convention de Londres était un fait prévu à l'avance, un fait dont la portée ne dépassait pas celle d'un événement ordinaire, et malgré tout ce qui s'est passé depuis, je m'étonne encore aujourd'hui de la grande colère de certains journaux de Paris à propos de cet incident. Les motifs en avaient été annoncés dix jours à l'avance par le commissaire anglais à son gouvernement; et celui-ci

en avait reconnu la possibilité quinze jours avant d'avoir reçu la nouvelle de ce qui s'était passé à Orizaba. Le mal ne provenait donc pas des commissaires, mais des négociateurs qui, au lieu de lier à leur œuvre la volonté de tous les agents subalternes en déclarant d'une manière précise et catégorique que toutes les mesures à prendre seraient discutées préalablement entre les commissaires, puis acceptées ou rejetées à la majorité des voix, l'avaient, au contraire, livrée à leur discrétion en soumettant les intérêts généraux qu'ils avaient en vue, aux passions, si même je ne dis aux caprices, de ceux qui seraient chargés de la mettre à exécution. De là les emportements de M. Billault, et les reproches de la presse semi-officielle contre la conduite des représentants de l'Angleterre et de l'Espagne, emportements et reproches dont il serait difficile de comprendre les motifs si, derrière le vide des expressions, on ne voyait poindre le désappointement de n'avoir pu entraîner les alliés dans ce plan, si savamment conçu, d'une monarchie autrichienne. M. Billault, pour ne pas avouer que le gouvernement impérial s'était trompé, est allé jusqu'à nier cette même qualité de gouvernement à un pouvoir issu, quoi qu'il en ait dit, du suffrage universel. Nier est chose facile; mais cette manière d'argumenter dans une cause personnelle n'a jamais rien prouvé. D'ailleurs, le ministre de France avait publiquement reconnu ce gouvernement, le 18 mars 1861. Il avait plus ou moins traité avec lui, ce qui permet de croire qu'il lui supposait alors tous les titres qui constituent un véritable gouvernement, et je ne vois pas comment il pouvait avoir perdu depuis les titres en vertu desquels il avait été reconnu par M. de Saligny.

XVII

Conférence d'Orizaba.

La mésintelligence entre les commissaires des trois puissances alliées s'était introduite, ainsi que nous l'avons vu, dès le lendemain de leur réunion, à la suite du refus de M. de Saligny de communiquer à ses collègues d'Angleterre et d'Espagne, des renseignements précis au sujet de la créance introduite au nom de la France contre le Mexique. Depuis lors, cette mésintelligence avait paru un instant se calmer, mais l'arrivée du général Almonte, ses prétentions, et plus que tout cela, peut-être, les attentions dont il était l'objet de la part des commissaires impériaux, avaient tellement indisposé les représentants des deux autres puissances, qu'il était désormais impossible aux commissaires alliés de poursuivre en commun le but de l'expédition. Chacun d'eux le comprenait, le désirait peut-être, mais personne n'avait encore osé l'avouer franchement. Cependant, il fallait sortir de cette étrange situation avant le 15 avril, jour fixé pour l'ouverture des négociations avec les plénipotentiaires mexicains. Les commissaires le comprirent, ils se réunirent dans ce but, le 9 du mois susdit, à Orizaba, et le soir même la rupture, latente jusque-là, était un fait accepté par tous.

La lutte s'engagea entre les commissaires des gouvernements d'Angleterre et d'Espagne, d'une part, et les commissaires du gouvernement français, de l'autre. Les premiers firent tout ce qu'ils purent pour convaincre les seconds de la nécessité où l'on était de ne rien changer à la politique suivie jusqu'à ce jour, et de se maintenir fermement dans la voie adoptée en commun dès le début de l'entreprise.

Le général Prim, surtout, s'attacha à démontrer cette nécessité; et comme il avait été tout à la fois l'initiateur et l'exécuteur de cette politique qu'on pourrait presqu'appeler

réparatrice, il fit tous ses efforts pour y rallier de nouveau ses collègues.

Il leur démontra d'une manière nette et précise que la Convention de Londres n'autorisait pas l'attitude prise, depuis l'arrivée du général Almonte, par les commissaires du gouvernement français; que les alliés n'avaient pas le droit d'imposer aux Mexicains une forme de gouvernement qui ne serait pas de leur goût; que prétendre le faire dans le sens indiqué depuis peu par M. de Saligny, c'était non-seulement abandonner la pensée primitive de l'expédition, mais violer les préliminaires conclus avec le gouvernement de la République; et que, pour rester fidèles à ces préliminaires, il ne fallait pas seulement se maintenir dans les termes de la Convention, mais s'abstenir rigoureusement de protéger les enfants perdus d'un pays qui venaient conspirer, à l'ombre des drapeaux alliés, contre l'ordre de choses actuellement existant.

<< Tout allait bien, dit-il, et nous pouvions espérer d'obtenir, sans » effusion de sang, les satisfactions stipulées dans la Convention de » Londres, quand, par malheur, l'arrivée du général Almonte, en >> compagnie de quelques autres transfuges, a suffi pour mettre la » discorde entre les commissaires. »

Alors il raconta, pour l'édification de ses collègues, comment ce personnage, dans une entrevue qu'ils eurent ensemble quelques jours après son arrivée, lui avait dévoilé ses plans, et le commodore Dunlop confirma de point en point ce récit, en ajoutant que le sieur Almonte lui avait fait une ouverture dans le même sens.

>> Dans une visite, dit encore M. Prim, que me fit le général Almonte peu de jours après son arrivée, il m'a déclaré franchement qu'il comptait sur l'appui des trois puissances alliées pour opérer un changement radical dans le gouvernement du Mexique, y remplacer la République par la monarchie et appeler au trône l'archiduc Maximilien d'Autriche. Puis, il a ajouté qu'il avait des motifs pour croire que son projet serait favorablement accueilli par les Mexicains euxmêmes, et qu'avant deux mois, il serait peut-être réalisé.

» Je lui ai répondu — c'est toujours M. Prim qui parle — que mon opinion à cet égard était diamétralement opposée à la sienne, et que, pour l'exécution de ce plan, il ne devait pas compter sur l'appui des

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