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ment, et les véritables patriotes qui, voyant qu'il n'y avait pas d'espoir de rendre le Mexique ce qu'il doit être, sans adopter les principes de la liberté la plus grande, commencèrent à jeter les bases d'un gouvernement libéral et populaire, destiné à mettre un terme aux usurpations du clergé dont l'ambition, conduite par des motifs uniquement personnels, était toujours en opposition avec le bien du pays.

Le résultat d'une pareille lutte ne pouvait pas être un seul instant douteux, surtout si l'on veut prendre en considération le pouvoir, l'influence et les ressources dont disposait un des antagonistes.

Chaque fois que le parti libéral, favorisé par les hasards. du scrutin, parvenait à faire nommer un gouvernement national, je veux dire un gouvernement qui ne consentait pas à se faire le très-humble serviteur des prêtres, mais qui voulait faire des lois en faveur de l'immigration étrangère, de l'ouverture des routes, de la construction des chemins de fer, de l'exercice libre et public de toutes les religions, de la liberté de la presse, de la réduction des droits d'importation, etc., etc..., en faveur, pour tout dire, du développement normal de toutes les richesses naturelles et des vastes ressources du pays, vite le clergé organisait un pronunciamiento contre ce gouvernement et se servait de ses immenses richesses pour le payer; de son influence néfaste pour en assurer le succès. De cette manière, les hommes à coups d'Etats et les majordomes de l'Eglise avaient seuls qualité pour écrire la Charte politique de l'endroit, et ce pays si beau, si favorisé par la nature et par le soleil, ne connaissait, en fait d'ordre, que des dispositions arbitraires, fausses, opposées aux tendances naturelles de ses populations, par conséquent violentes, par conséquent instables.

Un ordre factice construit ainsi par le jeu des ambitions cléricales, qui opprimait les sympathies les plus saintes, les plus vivaces du peuple, devait être miné sans cesse par la conjuration des forces sur lesquelles il pesait. C'était donc la guerre civile en permanence, la guerre civile toujours latente ou patente, c'est-à-dire, le désordre servant de base à un ordre de choses arbitraire.

Et pourtant ce désordre doublé de force, c'est ce que les

ministres de M. Bonaparte, en compagnie de tous les sacristains du Mexique et des assassins de Tacubaya osaient appeler l'ordre public et les garanties.

Le maintien de cet ordre faux, compressif, arbitraire, exigeait, année commune, le maintien d'une armée de 20,000 hommes au moins, et dévorait annuellement aussi une somme de 10,950,000 piastres, soit, en chiffres ronds, plus de 55,000,000 francs, pour l'imposer par la force aux populations qui le rejetaient.

Dans les temps difficiles comme ceux que la République a eu à traverser pendant les années 1858, 1859 et 1860, ce n'étaient pas seulement 40,000, c'étaient plus de 60,000 hommes qu'il fallait compter, en prenant les forces des deux côtés, et plus de 33 millions de piastres, soit 165,000,000 de francs qu'il absorbait seulement pour ses frais généraux.

Ces soixante mille hommes enrégimentés pour la tuerie, le service des robes noires et les plus grands avantages du sabre, étaient, en force et en activité, l'élite des populations laborieuses. Ils perdaient, à ne point produire, autant pour le moins qu'ils dépensaient en s'exerçant à détruire. C'étaient donc plus de 330,000,000 de francs, c'est-à-dire, au taux sensiblement réduit pour le pays de 6 p. c., la rente d'un capital de 5,300,000,000 de francs que l'agriculture, l'industrie, le commerce, la propriété et le travail sacrifiaient annuellement depuis près de quarante ans au Mexique, pour le maintien de l'ordre selon les intérêts du goupillon, les prétentions du sabre et les aspirations des agioteurs.

D'où il suit que c'était précisément parce que l'ordre, à la façon des prêtres et de l'armée, avait contre lui toutes les populations du pays, qu'il fallait chaque année 55,000,000 de francs au moins, et quelquefois jusqu'à 330,000,000, pour l'entretenir et l'imposer par la force à ces populations.

L'armée, cependant, il faut bien qu'on le sache, n'est point un corps de janissaires, une cohorte de prétoriens, ainsi que paraissent malheureusement tentés de le croire, tous ceux qui, par aventure, ont le droit de se promener avec un grand sabre suspendu à leur côté. C'est le fruit de l'impôt du sang, une force vive tirée au sein même de la

nation, qui fait toujours une avec elle, et qui, dans aucun cas, ne peut, sans félonie, être employée à son détriment.

Qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas, peu importe! le soldat n'est et ne doit être qu'un citoyen temporairement armé, sorti des rangs du peuple pour défendre la patrie commune contre les attaques de l'étranger, et qui, son temps de service terminé, doit y rentrer, quelque soit son grade, par le licenciement ou par la retraite. Il n'est à la solde d'aucun roi, d'aucun despote, d'aucun prétendant, mais à celle de la patrie, et s'il est tenu de servir son pays, il ne saurait, dans aucun cas, faire une classe à part.

Quant au clergé, puisqu'à toute force il nous faut encore revenir à lui, le clergé avait fait son entrée au Mexique, dès l'année 1521, côte à côte avec Fernand Cortez, un crucifix d'une main, un pistolet de l'autre, assassinant pour la plus grande gloire de Dieu tous les indiens, mâles ou femelles, assez malheureux pour ne pas comprendre que, dans certaines circonstances, un était logiquement égal à trois, tandis que, dans d'autres, trois ne sauraient jamais faire qu'un.

Sa conduite privée était alors si scandaleuse, que Cortez lui-même, dans une de ses lettres à Charles-Quint, s'était vu contraint de le supplier de lui envoyer d'Espagne des réguliers aux lieu et place des séculiers (1), dout le luxe, » disait-il, dépassait tout ce qu'on pouvait imaginer, et dont > les exactions, pour enrichir leurs bâtards, causaient un > scandale permanent au milieu des indiens nouvellement >> convertis. >>

Depuis lors la superstition, en consolidant leur pouvoir, n'a fait qu'augmenter le mal, et si nous en croyons l'abbé Domenech, un témoin que les intéressés n'oseront certainement pas refuser, puisqu'il est prêtre comme eux, il paraît que dans l'intérieur du Mexique, plusieurs curés auxquels il s'est adressé, ne lui ont refusé l'hospitalité que pour lui interdire la vue de leurs cousines, de leurs nièces et de la nombreuse progéniture qu'ils avaient obtenue des unes ou des autres.

Le peuple, dit-il, dans un passage trop précieux pour ne

(1) C'est-à-dire des moines aux lieu et place des prêtres.

pas être cité tout au long (1), le peuple trouve cela assez naturel et ne plaisante sur la conduite de ses pasteurs que lorsqu'ils ne se contentent pas d'une seule femme.

Une fois, un de ses amis demandait à la maîtresse d'un curé comment elle ne craignait pas d'aller en enfer en vivant maritalement avec un homme qui disait la messe tous les jours? Monsieur, lui répondit-elle en colère, apprenez que je suis une honnête femme, et que je ne vivrais pas avec M. le curé, si nous n'étions pas mariés légitimement.

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< En effet, poursuit l'abbé Domenech, dans l'État de Oajaca, il aurait peut-être pu dire dans le Mexique tout » entier, - il y a des prêtres qui se marient publiquement » pour ne scandaliser personne, et bien que le célibat du › prêtre soit une institution purement ecclésiastique, je ne »sais comment ces messieurs s'arrangent pour contracter » des unions légitimes. »

Une femme qu'il interrogeait un jour sur ces singulières unions, lui répondit avec autant de franchise que de candeur: « Mes compatriotes préfèrent vivre avec les prêtres qu'avec les laïques, parce qu'elles sont mieux entretenues, >> et les pauvres créatures sont si malheureuses qu'elles › cherchent de préférence une maison où elles soient sûres » de trouver toujours de bons vêtements et du pain (2). »

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Malgré cela, c'est toujours l'abbé Domenech qui parle, le prêtre et sa femme ne sont pas déshonorés. On les respecte même, s'ils font bon ménage.

Un marchand, dit-il encore, fatigué d'attendre le prix d'une robe qu'il avait vendue à la femme d'un prêtre, s'avisa un jour d'aller lui en demander le montant, ajoutant que si elle ne le payait pas, il allait la faire appeler devant le juge; mais elle, sans s'émouvoir, lui rappela qu'elle appartenait à la mitre sacrée, c'est-à-dire qu'en se prostituant à un prêtre elle avait acquis le droit de partager avec lui tous les priviléges dont il jouissait (3), et le marchand fut obligé de se contenter de cette réponse.

(1) Le Mexique tel qu'il est, par l'abbé Domenech, p. 129 et 130. (2) Idem, p. 130.

(3) Avant la promulgation de la loi du 22 novembre 1856, appelée

Quelques évêques, poursuit l'abbé, gémissent de cette situation, mais ils ont bien de la peine à la changer. D'autres l'encouragent sans s'en douter, par leur bonhomie. Je me souviens qu'un de ces prélats, passant un jour dans un village près de sa ville épiscopale, le curé lui dit :

<< Monseigneur, ayez la bonté de bénir mes enfants et leurs mères. »

Le bon évêque les bénit, il y en avait plein la chambre. Un autre fit mieux encore, il baptisa l'enfant d'un de ses curés.

Et tout cela se termine par une phrase qui sent le protestantisme d'une lieue: Un clergé pareil peut-il faire des saints (1)?

Pour ma part, je ne le pense pas; mais ce dont je suis persuadé, c'est qu'une pareille polygamie de la part de gens qui ont fait vœu de continence et qui ont jeté le masque, ne pouvait se maintenir qu'à l'ombre des priviléges particuliers dont ils s'étaient emparés.

y

Les prêtres, en leur qualité de prêtres, jouissaient donc de certaines prérogatives qui leur étaient personnelles. Ces prérogatives, générales comme celles de l'armée, se subdivisaient, comme ces dernières, en autant de branches qu'il avait de rameaux dans le corps du clergé; et si l'on veut se faire une idée à peu près juste de ce qu'ils pouvaient être, il faut d'abord se pénétrer de l'influence qu'ils exerçaient sur toutes les affaires publiques, puis de la vaste accumulation de richesses qu'ils étaient parvenus à extorquer, par tous les moyens que l'avarice peut suggérer, soit aux Espagnols, soit aux indigènes.

En 1827, époque où fut fait le premier recensement officiel, ils possédaient dans la République 150 couvents, sans compter un nombre infini d'églises paroissiales. Ils recevaient, au moyen de cette exaction de nature juive qu'on nommait la dîme, le dixième de tous les revenus du pays,

aussi loi Juarez, du nom de son auteur, un des priviléges du clergé était de ne jamais répondre devant un juge laïque; il fallait le citer devant un juge ecclésiastique.

(1) Le Mexique tel qu'il est, p. 134.

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