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événement qui devait le placer dans la nécessité d'opter entre l'abandon, non sans quelque HONTE de l'entreprise le mot est écrit tout au long dans sa dépêche, et l'extension de la mesure prise contre le Mexique au delà des limites et de l'esprit de la triple alliance. En un mot, il redoutait l'ambition de l'Espagne, et ce fut de Paris que partît le coup qui devait le faire reculer.

Voici cette importante dépêche :

Le comte Russell à sir J. Cramplon.

MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, le 19 janvier 1862.

<< Monsieur,

» Quoique le gouvernement de la reine ait la conviction, depuis les explications qui lui ont été fournies par M. Isturitz, que le gouvernement de S. M. C. a donné l'ordre à ses commandants à la Havane de se conformer au texte des Conventions conclues par lui avec S. M. la reine d'Angleterre et S. M. l'Empereur des Français, néanmoins, la conduite du maréchal Serrano est de nature à inspirer encore quelques craintes.

» Le départ de l'expédition de la Havane et l'occupation militaire de Veracruz, pour ne rien dire du ton de la proclamation faite au nom du gouvernement espagnol, prouvent que toute expédition combinée à une grande distance de l'Europe est subordonnée à la discrétion et à la prudence des commandants et des agents diplomatiques qui l'entreprennent et la dirigent. Je désire que V. S. lise au maréchal O'Donnell et à M. Calderon Collantes, le préambule et l'article de notre Convention qui définissent clairement le genre d'intervention que nous appuyons et celui que nous ne devons pas appuyer.

>> Vous leur ferez remarquer que les forces alliées ne doivent point être employées à priver les Mexicains du droit qui leur appartient incontestablement de choisir la forme du gouvernement qui leur convient.

>> Si les Mexicains veulent constituer un nouveau gouvernement de nature à rétablir l'ordre et à conserver des relations amicales avec les puissances étrangères, le gouvernement de la reine sera charmé de saluer la formation et d'appuyer la consolidation de ce gouvernement.

» Si, au contraire, les troupes des puissances étrangères doivent

» servir à installer un gouvernement qui répugnerait aux sentiments >> des peuples du Mexique et à l'appuyer de leurs baïonnettes, le » gouvernement de la Reine est persuadé que la discorde et le désap» pointement seraient les seuls résultats de cette tentative. Dans ce » cas, les gouvernements alliés n'auraient qu'à choisir entre une >> retraite honteuse et l'extension de leur intervention au delà des » limites et de l'objet de la triple Convention signée à Londres.

» Vous expliquerez au maréchal O'Donnell que cette appréhension » de notre part ne vient pas de ce que nous conservons des soup» çons sur la bonne foi du gouvernement de S. M. C., mais unique» ment de ce que, à notre sens, les chefs de l'expédition, agissant » à une grande distance, doivent être soigneusement surveillés, » de peur qu'ils ne comprometient leurs gouvernements par des pro» cédés injustifiables.

» Vous lirez cette dépêche à M. Calderon Collantes.

» Signé, RUSSELL. »

A la même époque le bruit se répandit aux quatre coins cardinaux de Paris, que M. de Lorencez, envoyé au Mexique avec les renforts dont il est parlé dans la dépêche du comte Russell à l'ambassadeur britannique près la cour des Tuileries, avait reçu l'ordre exprès de ne tenir aucun compte des engagements pris avant son arrivée, par les commissaires alliés avec le gouvernement mexicain, et de préparer le pays à l'érection d'un trône sur lequel devait s'asseoir une altesse romanesque, selon l'expression de Jules Favre, quoique allemande, et qui, dans l'almanach de Gotha, portait le nom de Maximilien d'Autriche. Ces bruits étaient répandus dans les journaux et colportés par les officiers de l'expédition. Lord Cowley les crut assez graves pour en faire l'objet d'une explication avec M. de Thouvenel, et la dépêche qu'il adressa à son gouvernement à l'occasion de ces bruits prouve que S. E. n'était pas de première force en diplomatie (1).

La vérité, celle du moins qui a été confessée par M. Billault, le 26 juin suivant, en présence du Corps législatif, c'est que, tout en déclarant, devant Dieu et devant les

(1) Dépêche de lord Cowley au comte Russell, en date du 25 janvier 1862.

hommes, qu'on ne songeait pas à intervenir dans les affaires intérieures de la République, on voulait cependant renverser à tout prix le gouvernement de M. Juarez; et, chose triste à dire, on ne savait pas, ou plutôt on n'osait pas avouer de quelle manière on voulait le remplacer.

Aujourd'hui, tout est dit sur l'expédition, et les événements se sont eux-mêmes chargés de convaincre les plus incrédules. Je n'examinerai donc pas jusqu'à quel point il pouvait être permis au gouvernement français de renverser la République au Mexique pour la remplacer par une aventure impériale, et de faire dire ensuite, par un avocat nommé d'office, à l'assemblée des représentants de la France, qu'on ne voulait intervenir en rien dans les affaires de ce malheureux pays. Ce sont là des discussions purement logomachiques, dont la subtilité m'échappe, et que j'abandonne de grand cœur aux politiques profonds qui ont l'habitude de perdre leur temps à chercher les moyens de couper un cheveu en quatre. Je veux seulement protester au nom du passé, au nom de la mission de la France, et cela dit, je poursuis le cours des événements.

Certes, il fallait s'être assuré d'avance de tout ce qu'une majorité complaisante peut supporter de non-sens pour oser soutenir une pareille doctrine devant les membres du Corps législatif. De là, sans doute, la différence qu'on remarque entre la conduite de M. Billault et celle du comte Russell. Celui-ci avait peut-être, dans plus d'une occasion, fait luimême des déclarations semblables, et il savait, par l'histoire du passé, combien peu elles avaient pesé dans la balance de ses déterminations ultérieures. Il n'avait de parti arrêté ni pour, ni contre la monarchie, seulement les intérêts de son pays lui conseillaient de ne rien tenter de tout ce qui pourrait prolonger la lutte, et comme son opinion, en l'absence de tout motif personnel, était en tout et pour tout subordonnée à ces intérêts, il écrivit à son représentant au Mexique, sir Charles Wyke. que dans le cas où le peuple mexicain, par un mouvement spontané, voudrait placer l'archiduc sur le trône de Moctezuma, il était libre de se passer cette fantaisie; mais que l'Angleterre ne pouvait en aucun cas prendre part à une intervention qui aurait pour

but de lui imposer un gouvernement contraire à sa volonté; ce qui signifiait, en d'autres termes, qu'aux yeux de lord Russell, l'Angleterre se trouverait, par ce seul fait, exonérée des engagements contenus dans la Convention de Londres.

Voici cette dépêche que je crois utile d'enregistrer in extenso, ainsi que celle qui vient après, parce qu'elles permettent au lecteur de se créer une opinion personnelle sur la situation où se trouvaient les choses au début de l'intervention.

Le comte Russell à sir Charles Wyke.

>> Monsieur,

« Foreign-Office, 27 janvier 1862.

>> J'ai reçu vos dépêches datées des 18 et 28 novembre, et je les ai mises sous les yeux de la Reine. Depuis que je vous ai écrit, l'empereur des Français s'est décidé à envoyer 3,000 hommes de plus à Veracruz.

>> On suppose que ces forces marcheront sur Mexicó avec les troupes françaises et espagnoles qui sont déjà au Mexique. On dit même que l'archiduc Maximilien sera invité par un grand nombre de Mexicains à monter sur le trône de ce pays, et que le peuple sera joyeux de ce changement apporté dans la forme de son gouverne

ment.

>> J'ai peu de choses à ajouter à mes premières instructions à ce sujet. Si le peuple mexicain, par un mouvement spontané et simultané, place l'archiduc Maximilien d'Autriche sur le trône du Mexique, nous n'avons pas à l'en empêcher; nous n'avons pas d'intérêt à le faire. » Mais nous ne pouvons prendre part à une intervention armée dans ce but. Les Mexicains doivent consulter leurs propres intérêts.

» J'ajouterai à mes premières instructions, relativement aux amiraux qui commandent dans l'Atlantique et dans le Pacifique, que vous ne ferez aucune objection à ce qu'ils retirent les troupes de Veracruz, quand viendra la mauvaise saison.

» Vous ne ferez pas non plus d'objections aux mesures qui pourraient être prises de concert, entre le plus ancien officier de marine à Veracruz et l'amiral Maitland, pour l'occupation ou le blocus de l'un ou de tous les ports du Mexique, sur le Pacifique, qu'il sera nécessaire de bloquer ou d'occuper pour l'exécution de la Convention. Il s'agit surtout d'Acapulco, de Mazatlan et de San-Blas.

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De son côté, M. Wyke, dans une autre dépêche datée de Veracruz, le 29 décembre 1861, antérieure, par conséquent, de huit jours à l'arrivée des escadres combinées de France et d'Angleterre dans les eaux de cette ville, racontait à lord Russell l'effet produit au Mexique par la nouvelle de la formidable coalition qui se préparait contre lui, et annonçait en ces termes les espérances que faisait naître l'entrée de M. Manuel Doblado au ministère des affaires étrangères.

Sir Charles Wyke au comte Russell.

» Milord,

<< Veracruz, 29 décembre 1861.

>> La nation mexicaine est très-effrayée de la formidable coalition des trois puissances. Je la trouve disposée à accorder ce que nous demandons légitimement, avant que le sang ne soit versé et que les passions n'aient été excitées, afin de n'avoir, en cas de guerre, qu'à se battre contre les forces de l'Espagne.

» Le rejet, par le Congrès, de la Convention conclue entre le gouvernement mexicain et la légation britannique (1), a eu pour effet de renverser le dernier cabinet, et la crise qui s'en est suivie s'est terminée par la nomination du général Doblado au ministère des affaires étrangères. Celui-ci n'a consenti à former un ministère qu'à la condition d'être investi par le Congrès de pleins pouvoirs qui l'autorisent à terminer, de la manière qui lui paraîtrait la plus avantageuse au pays, la question en litige avec les trois puissances. Après les avoir obtenus, il a ajourné l'assemblée jusqu'au mois d'avril prochain, et maintenant il demeure libre de traiter avec les alliés.

>> C'est un homme de talent et d'une influence telle dans le pays, que les chefs réactionnaires commencent à déposer les armes et à donner leur adhésion à son gouvernement, car il s'occupe à former un cabinet des hommes les plus capables qu'il pourra trouver, sans avoir égard à leurs opinions politiques. Son premier acte a été de m'engager à ne point quitter la capitale, car il était, m'a-t-il dit,

(1) M. Wyke parle ici d'un arrangement particulier conclu entre lui et M. Zamacona, alors ministre des affaires étrangères, arrangement qui, dans tous les cas, n'aurait point été approuvé par son gouvernement, parce qu'il aurait mis fin, dès le début de l'expédition, à la triple alliance, ce que le gouvernement anglais ne voulait, ni ne désirait.

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