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France et de l'Angleterre ne pouvaient, sans rendre leurs gouvernements complices de cette insulte, accepter la solidarité d'un acte entièrement espagnol et directement en opposition avec les engagements pris à la face du monde par les puissances intervenantes.

Dans l'un et l'autre cas, la responsabilité de cette attaque appartenait seulement au gouvernement espagnol, dont un représentant commençait les opérations par une perfidie, dans le but, sans doute, de précipiter les alliés dans les hasards d'une aventure dont son pays, grâce aux intelligences qu'il avait conservées avec les réactionnaires de l'intérieur, devait seul, croyait-il, recueillir plus tard les bénéfices.

Je crois, en conséquence, que l'amiral espagnol Rubalcaba, se rendit alors coupable d'un véritable acte de piraterie, et j'ai lieu de penser que les commandants anglais et français des frégates la Foudre et le Jason, mouillées toutes deux à Sacrificios, partageaient à cet égard ma manière de voir, car ils déclinèrent l'un et l'autre la proposition qui leur fut adressée de réunir leurs forces à celles de l'Espagne, afin de s'emparer en commun de ce gage important, sous prétexte, le premier qu'en l'absence d'ordres formels, il ne pouvait assumer sur lui la responsabilité d'un acte pareil (1), et le second que les instructions de son gouvernement ne lui permettaient pas de prendre une attitude pareille vis-à-vis du Mexique (2). Je pourrais encore, si je le voulais, justifier l'opinion que je viens d'émettre en invoquant la destitution du général Gasset, commandant en chef des troupes embarquées à bord de l'escadre espagnole, et les déclarations rétrospectives de cet officier (3); mais je crois en avoir dit

(1) Réponse de M. de Challier, commandant de la frégate française la Foudre, en date du 14 décembre 1861, à une communication de l'amiral Rubalcaba, datée du même jour.

(2) Réponse de M. E.-F. Boon Donots, commandant des forces navales anglaises dans le golfe du Mexique, en date du 15 décembre 1861, à la communication du même Rubalcaba.

(3) Le général Gasset fut renvoyé à la Havane par le général Prim, immédiatement après l'arrivée de celui-ci à Veracruz, et il prétendit se justifier en rejetant tous les torts sur le gouverneur général de l'île de Cube, dont il s'était contenté d'exécuter les ordres.

assez pour faire connaître toute l'iniquité de cette étrange manière de faire la guerre, et, pour ne pas perdre le fil des événements, je vais abandonner un instant la Convention. pour dire l'effet que produisit en Europe la nouvelle de l'occupation de Veracruz par les forces espagnoles.

XI

Continuation du même sujet.

Premiers bruits

de monarchie.

Cette nouvelle arriva en Europe vers le commencement du mois de janvier 1862. Elle amena entre les gouvernements des puissances alliées un échange de notes aigres douces que je ne saurais passer sous silence, et dont j'emprunte, pour ce motif, les extraits suivants au Globe de Londres, no du 12 février de la même année.

Ce fut d'abord une note de lord J. Russell à M. Isturitz, note qu'il m'a été impossible de me procurer, mais dans laquelle, à ce qu'il paraît, le noble lord manifestait en termes aussi énergiques que le permet le langage diplomatique, l'étonnement qu'il avait éprouvé en apprenant cette nouvelle; puis la réponse du ministre espagnol, pour excuser, tant bien que mal, cette violation flagrante des engagements contenus dans la Convention de Londres, en alléguant piteusement que l'ordre de suspendre le départ de l'expédition, envoyé par la voie de New-York, dans l'espérance qu'il arriverait plutôt à sa destination, n'était parvenu à la Havane que vers le milieu de décembre (1).

Alors le gouvernement français, désireux de mettre à profit la faute que venait de commettre celui de Madrid en abandonnant la direction d'une affaire aussi grave au zèle, pour le moins indiscret, du gouverneur général de la Havane, chargea son ambassadeur à Londres, M. de Flahault, de voir lord Russell et de le prévenir que la précipitation du général Serrano à commencer les opérations avant l'arrivée des forces combinées de France et d'Angleterre, étant de nature à accroître les difficultés de l'expédition, il avait lui, Flahault,

(1) Note de M. Isturitz au comte Russell, en date du 18 janvier

l'ordre d'annoncer au ministre anglais, que le gouvernement français allait augmenter de 3 à 4,000 hommes le chiffre des forces qu'il avait déjà envoyées au Mexique (1); et le ministre anglais, convaincu par le passé qu'il y avait en effet urgence, adressa la dépêche suivante à lord Cowley, ambassadeur du gouvernement anglais à Paris, pour le prévenir que, tout en regrettant cette mesure, il ne voyait cependant aucune objection à faire contre les arguments invoqués près de lui pour en démontrer la nécessité.

Le comte Russell au comte Cowley. Extrait.

Ministère des affaires étrangères, 20 janvier.

<<< J'ai vu hier le comte Flahault. S. E. m'a informé qu'elle avait l'ordre de m'annoncer que le gouvernement français jugeait nécessaire d'envoyer de nouvelles forces de débarquement au Mexique; votre dépêche du 17 courant m'avait déjà préparé à recevoir cette communication: Le comte Flahault a ajouté que la précipitation du général Serrano à commencer les opérations sans attendre les forces de la France et de l'Angleterre, était de nature à accroître les difficultés de l'expédition.

» Il paraissait maintenant inévitable, disait-il, que les troupes alliées s'avançassent dans l'intérieur du Mexique (2), et non-seulement la force convenue antérieurement serait insuffisante pour cela, mais l'opération elle-même devrait prendre un caractère tel que l'empereur ne pourrait pas permettre que l'armée française se trouvât dans une position d'infériorité vis-à-vis de l'armée espagnole, ni que celle-ci courût le risque d'être compromise (3).

>> En conséquence, S. M. I. a résolu d'envoyer un renfort de 3 à 4,000 hommes au Mexique. J'ai dit au comte Flahault que je regrettais beaucoup cette mesure. Je n'avais pas d'objection à faire au nom du gouvernement de S. M. contre la validité de l'argument que les

(1) Ces forces, ainsi que nous le verrons ci-après, s'élevaient à 2,610 hommes de toutes armes.

(2) Elles ne devaient donc point dans le principe s'y avancer. L'aveu est clair, mais pourquoi le contraire était-il maintenant inévitable? C'est ce que le ministre anglais a oublié de dire.

(3) Pourquoi le caractère de l'intervention était-il changé? Que s'était-il passé depuis la signature de la Convention, pour que le comte Russell acceptât ce changement?

forces de la France ne devaient pas être inférieures à celles de l'Espagne, je devais seulement faire observer qu'il ne serait pas possible au gouvernement de la Reine de détacher une plus grande quantité de troupes pour les opérations de terre, que le nombre de soldats de marine déjà envoyés sur la côte du Mexique (1).

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Ainsi donc, il n'y avait point encore trois mois que la Convention était signée, et déjà, pour parler le langage technique du comte Russell, l'opération était changée. Ce n'étaient plus seulement les ports et les forteresses du littoral que l'on devait occuper; c'était à l'intérieur qu'on voulait avancer, sans même dire pourquoi, contrairement au texte formel de la convention; et le négociateur anglais au lieu de protester au nom de sa bonne foi dont on se jouait avec si peu de façon, s'inclinait au contraire devant cette triple injonction Il est inevitable que les troupes alliées s'avancent dans l'intérieur du Mexique..... L'opération doit prendre un autre caractère..... L'Empereur ne peut pas permettre que. l'armée française se trouve dans une position d'infériorité vis-àvis de l'armée espagnole..... et se contentait de répondre qu'il regrettait beaucoup cette mesure.

Trois jours après, il adressa un billet au ministre espagnol, pour lui donner l'absolution, au nom du gouvernement anglais, de la conduite suivie dans cette affaire par le gouverneur général de l'île de Cube (2); et pour parer autant que possible, aux complications que pourraient faire naître dans l'avenir les passions du général Serrano ou de tout autre, il envoya au ministre anglais accrédité près la Cour de Madrid, avec ordre de la lire au maréchal O'Donnell et à M. Calderon Collantes, une autre note dans laquelle il indiquait, avec une rare précision, les conséquences que devait entraîner la politique qu'a depuis suivie le cabinet des Tuileries. Cependant, lord Russell se trompait; non sur le fait en lui-même, mais sur les auteurs d'un

(1) 800 hommes.

(2) Note du comte Russell à M. Isturitz, en date du 23 janvier 1862.

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