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peuple aimait cependant, en dépit de son manque de foi. Ce rêve de monarchie, cet appareil fantastique de majesté, tout s'évanouit en un instant comme la fumée à travers les airs, et l'année ne s'était point écoulée que déjà il ne restait au parjure que le souvenir de sa trahison.

Iturbide essaya, mais inutilement, de colorer aux yeux des masses son usurpation de motifs plausibles. SantaAnna, alors colonel du 8e d'infanterie, et qui, naguère, avait été un des plus plats adulateurs du despote, se réunit aux généraux Guerrero et Bravo, et tous trois ils le contraignirent à rappeler le congrès qu'il avait chassé une année auparavant. Le congrès, à son tour, annula l'élection de cet empereur coup d'Etat, lui ordonna de quitter pour toujours le territoire de la République, et le gratifia, par un sentiment de générosité qui l'honore, d'une pension de 25,000 piastres, soit 123,000 fr. par an.

Cet empire élevé si facilement par l'armée le lendemain de sa victoire, et renversé moins d'une année après avec autant de facilité par ceux-là mêmes qui l'avaient élevé, surprendra sans doute ceux qui ne sont point au fait des habitudes et des choses de ce pays; mais pour peu qu'on réfléchisse à son passé, il est peut-être plus facile encore de se rendre compte de la chute de l'empire que de son élévation.

La monarchie, en effet, a besoin de s'appuyer sur la tra- ! dition et le Mexique, il faut bien en convenir, ne possède en tradition, ni habitude, ni éléments monarchiques.

Depuis la conquête jusqu'en 1821, il avait été gouverné, cela est vrai, par la cour d'Espagne, mais les Mexicains ne connaissaient la majesté royale que par la figure du roi apposée sur les pragmatiques et les cédules. Puis la cour d'Espagne exerçait son autorité non seulement par les vice-rois, mais par les audiences (1) et les Ayuntamientos (2). La plupart des vice-rois, soit qu'ils ne voulussent pas éveiller de soupçons à la cour, soit qu'ils désirassent économiser sur leur traitement, afin de se constituer un beau

(1) On appelait ainsi l'administration de toute une province. (2) Municipalités.

revenu à leur retour en Europe, vivaient sans faste, expédiaient les affaires avec un seul secrétaire, et se montraient aussi modestes que bienveillants dans leur conduite privée.

Leur autorité était monarchique si l'on veut, mais elle était en quelque sorte équilibrée par celle de l'Ayuntamiento; et l'ayuntamiento, suivant l'analogie des anciennes. communautés espagnoles détruites par Charles-Quint, représentait réellement et positivement le principe populaire.

Pour peu que l'on connaisse l'histoire, il est facile de se rendre compte de ce que devaient être dans leur temps des hommes comme Fernand Cortez et Nuño de Guzman. Et pourtant l'ayuntamiento les priva de l'usage de l'eau, leur imposa une amende et les réprimanda, parce que dans les moulins qu'ils possédaient près de la ville, ils avaient transgressé les lois qu'avait imposées la municipalité. Les procès-verbaux du chapître de Mexico fourmillent de cas où l'Ayuntamiento de cette ville en a défendu le peuple contre les usurpations des vice-rois eux-mêmes, des moines et des membres du clergé. C'est-à-dire, que sur cette terre que les défenseurs à gages de l'expédition représentaient chaque jour à la France comme étant essentiellement monarchique, le principe républicain triomphait dès le temps où la tyrannie, par suite des mœurs de l'époque, aurait dû plus facilement l'étouffer.

Puis la monarchie engendre la noblesse et je me demande où sont les Montmorency, les Rohan, les Coucy du Mexique.

La noblesse, au temps des vice-rois, se composait, dans sa plus grande partie, des descendants des premiers conquérants, et pour dire toute la vérité, les prouesses de ceux-ci, quelque grandes qu'elles nous paraissent à la distance qui nous sépare d'eux, n'avaient rien de bien extraordinaire au fond. Ils avaient combattu contre des tribus divisées, ignorantes dans l'art militaire, privées d'armes à feu, et si l'on a tant exalté leurs entreprises, c'est plutôt en souvenir des avantages qu'ils ont procurés à leur mère patrie, qu'à cause des dangers personnels auxquels ils se sont exposés.

Et pourtant ce n'est pas encore tout. Bien qu'elle fût à

peine d'hier, et qu'un grand nombre de ses membres eussent acquis leurs titres moyennant finance, cette noblesse a déjà perdu son prestige et se confond chaque jour de plus en plus dans la foule. Les marquis de Salinas, de Salvatierra et de San Juan de Rayas, les comtes de Casa de Heras Soto, de Tula et de Regla, ont signé en compagnie des hommes les plus obscurs l'acte d'indépendance de leur pays. J'ai personnellement connu le descendant des marquis de San Cristóbal et celui des comtes de Santiago. Le premier était de mon temps gouverneur de Mexico, le second occupait avec autant de dignité que de modestie un simple siége municipal, et quant aux fils du marquis de Guadalupe, ils étaient tout simplement officiers dans la garde nationale...

Où donc dans tout cela est la cour? où donc est l'opinion dont devait s'entourer en 1821 le général Iturbide, et dont 40 ans plus tard aurait encore dû s'entourer l'archiduc Maximilien pour établir leur gouvernement imaginaire, si ce n'est dans l'esprit de quelques visionnaires attardés dont la montre n'a pas marché depuis le temps de la domination espagnole? De quel droit les Almonte et les Hidalgo sont-ils allés à Vienne, mettre en vente la nation, comme s'il eût été question d'une marchandise qui leur appartenait? A quel titre, en vertu de quels pouvoirs se sont-ils conduits ainsi? Et parce qu'ils l'ont fait, parce que quelques individus ont publié sur le Mexique des articles anonymes pleins de calomnies et de faussetés; parce que même 215 prétendus notables, sans capacité ni mandat, ont adjugé l'empire, sous la pression du général Forey, à celui qui était désigné à l'avance, peut-on dire pour cela que la nation ait été réellement consultée?

Il y a plus, les mœurs, je dirai même le caractère des habitants du Mexique s'opposent à l'établissement du régime monarchique. On y jouit d'une véritable égalité. Celui qui est aujourd'hui général, dépose demain les armes et rentre. dans la vie privée. Les ministres occupent et désoccupent leurs postes, puis rentrent chez eux, sans autre distinction que celle qu'ils ont su mériter par leur caractère; la carrière de tous les hommes publics est connue, comme la fortune de tous les riches, et tel que l'on a connu capitaine,

commerçant, avocat, simple particulier, s'élève soudain par le hasard, par son mérite ou par d'autres causes, au rang de général, ou dans la magistrature, puis, son mandat terminé, il rentre dans les rangs du peuple, d'où il était sorti, et c'est à peine si, de temps à autre, on entend encore pro

noncer son nom.

Et pourtant, malgré toutes ces causes qui auraient dû exercer une influence décisive sur les destinées du pays, le gouvernement du Mexique, il faut bien l'avouer, quoique classé dans la catégorie des gouvernements républicains, a été plus ou moins libéral, plus ou moins réactionnaire, selon que les tendances des individus qui occupaient le fauteuil présidentiel étaient plus ou moins portées vers la dictature; et ce n'est qu'à partir de 1858, c'est-à-dire, de la magistrature de M. Juarez, que l'administration en est devenue franchement républicaine.

Mais réactionnaire ne veut pas dire monarchique. Il y a entre ces deux termes la distance d'un monde, surtout dans un pays comme le Mexique, où l'on était réactionnaire ou libéral, selon que l'on acceptait plus ou moins l'omnipotence de la sacristie, et c'est probablement pour ne point avoir tenu compte de la différence qui existe entre ces deux mots que le chef du gouvernement français s'est précipité si follement dans les hasards d'une aventure si contraire au génie de la France, si nuisible à ses intérêts, et dont il ne pouvait, en aucun cas, recueillir que de la honte.

II

Causes principales de l'anarchie qui a régné jusqu'à ce jour au Mexique.

Quand, en 1810, les premiers patriotes mexicains procla mèrent l'indépendance de leur patrie et arrachèrent leur pays au joug humiliant de l'Espagne, les prêtres s'alarmèrent tout d'abord d'un mouvement dans lequel leur parti n'était pour rien, et qui, s'il réussissait, devait avoir pour conséquence de mettre en péril leurs nombreux priviléges, leurs immenses richesses, et leur influence sans contrôle. Ils s'opposèrent donc à la révolution, et je dois ajouter que les Espagnols demeurèrent triomphants tant que le clergé consentit à faire cause commune avec eux.

Mais, pendant que cela se passait dans la colonie, de graves changements avaient lieu dans la mère-patrie. Les Cortès espagnoles, poussées malgré elles par les idées qu'avait jetées sur le monde la révolution française, avaient sanctionné plusieurs décrets diminuant d'une manière sérieuse les priviléges personnels du clergé de la Péninsule, et avaient publié des lois ayant pour but d'arriver progressivement au désamortissement complet de son immense propriété. Alors, celui du Mexique changea de manière de voir, et sur les hommes et sur les choses de son pays. Il s'aperçut tout à coup de ce qu'il aurait à perdre si les lois décrétées. par les Cortès espagnoles recevaient leur effet au Mexique, et comprenant qu'il lui serait très-facile, au milieu de la crise, d'organiser un gouvernement dévoué à ses intérêts personnels, ne vivant que par lui et pour lui, il résolut d'adopter la cause de l'indépendance. Ce fut alors seulement que cette cause triompha.

Depuis, il s'est établi une lutte de jour en jour plus marquée, par conséquent plus forte, entre le clergé qui voulait conserver le contrôle dont il s'était emparé sur le gouverne

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