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Prise de Veracruz par les Espagnols.

Pendant qu'à Londres les négociateurs des trois puissances, fidèles aux us et coutumes de la diplomatie, cherchaient le plus honnêtement du monde à se tromper mutuellement, et consumaient leurs veilles à étudier les moyens d'introduire dans la Convention certains mots à double sens qui permissent, plus tard, à chacune des parties contractantes d'interprêter l'œuvre commune dans le sens de ses vues particulières, à Paris, M. de Thouvenel, tout en reconnaissant qu'il n'était pas permis à une puissance étrangère de faire usage de sa force pour intervenir, malgré elle, dans les affaires intérieures d'une autre puissance indépendante et l'obliger à accepter telle ou telle forme de gouvernement, établissait cependant, je ne sais quelle distinction. subtile entre une intervention qui s'imposerait par la force au Mexique, intervention dont il était le premier à repousser l'idée, et une excitation indirecte, ayant pour but d'engager les Mexicains à profiter de la présence des troupes alliées dans leur pays pour secouer le joug de la tyrannie qui pesait sur eux (1); et Lord Russell, convaincu par des raisons aussi concluantes, admettait que,« dans le cas où les populations du Mexique, > fatiguées comme les grenouilles de la fable du régime dé»mocratique, réclameraient un roi, dût celui-ci ressembler » à un soliveau ou à une grue, il ne voyait pas de motif sé> rieux pour leur refuser le plaisir de cette fantaisie. »

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De son côté le gouvernement espagnol, sans s'expliquer plus catégoriquement que M. Thouvenel reprenait cependant en sous œuvre l'idée de la royauté, et insinuait discrètement à l'oreille de sir John Crampton, ministre du gouvernement

(1) Preuve manifeste de l'entente qui existait entre les vues du gouvernement espagnol et celles du gouvernement français.

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britannique à Madrid; « qu'il serait bon de profiter de l'im>> pression que devait immanquablement produire la pré» sence des forces alliées sur l'esprit des populations au Mexique, pour exercer sur elles une influence morale en » engageant les partis belligérants à déposer les armes et à » s'entendre pour l'installation d'un gouvernement qui offri» rait quelques garanties aux alliés, et donnerait au pays » une espérance, au moins, de tranquillité (1). »

De cette manière, lord Russell se trouvait élevé, par ses alliés eux-mêmes, à la qualité de médiateur. Mais comme il ne se décidait pas assez vite au gré des impatiences intéressées; comme aussi il convenait à certaines personnes d'enrayer l'affaire dans un chemin dont elles espéraient qu'elle ne pourrait par la suite s'écarter, ni à droite, ni à gauche, le gouvernement espagnol, d'un commun accord avec les cabinets de Paris et de Londres, rejeta l'offre que lui faisait, au nom de son gouvernement, le ministre plénipotentiaire des États-Unis, M. de Schurz, d'acquitter pendant un certain temps l'intérêt des sommes dues à l'Espagne, par le gouvernement du Mexique (2); et se reposant désormais sur le zèle bien connu des autorités de l'île de Cube, il attendit le résultat des événements qui se préparaient à la Havane, où la flotte réunie depuis près de trois mois sous les ordres de M. de Rubalcaba, n'attendait, de son côté, qu'un signal de M. Serrano, pour lever ses ancres et cingler sur Vera

cruz.

Cette flotte avait à son bord 5,600 hommes de toutes armes. Elle partit le 29 novembre 1861, un mois après la signature du traité de Londres, et arriva dans les eaux du Mexique, le 8 décembre suivant.

L'amiral espagnol trouva la forteresse d'Ulua, entièrement démantelée. Dans ses communications avec M. de La Llave, gouverneur constitutionnel de l'Etat de Veracruz, il déclara nettement à cet officier que la ville et la citadelle

(1) Le Livre bleu de l'Angleterre. Times, no du 29 mars 1862.

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Voir à ce sujet le New-York

(2) Voir à ce sujet la dépêche adressée au général Prim par M. Calderon Collantes, sous la date du 15 décembre 1864.

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de San Juan, resteraient entre ses mains en qualité de gages, jusqu'à ce que le gouvernement de la Reine se fût assuré › que, dans l'avenir, la nation espagnole serait traitée par » le Mexique avec toute la considération qui lui était due, » et que les conventions célébrées entre les deux gouverne>ments, seraient religieusement observées (1). » Il ajouta même que bien qu'il ne fît la sommation dont nous nous > occupons qu'au nom seul de l'Espagne, et en vertu des ins»tructions qui lui avaient été données, l'occupation, cepen»dant, de la place et de la forteresse, servirait également › de garantie pour les droits et les réclamations que les > gouvernements d'Angleterre et de France avaient à in»troduire contre le Mexique; » puis il prit paisiblement possession de la ville et du château, le 15 décembre au matin.

Disons-le franchement : cette sommation était prévue depuis l'arrivée de l'escadre espagnole au mouillage d'Anton Lizardo; tellement prévue que, dans l'attente des événements qui allaient se passer, le gouvernement mexicain avait ordonné à l'avance de démanteler la ville et le château; et pourtant elle produisit une sensation dont il serait impossible de se faire une idée si, pour en comprendre les motifs, on ne tenait compte en même temps de la façon insolite des procédés de l'amiral Rubalcaba.

En effet, le droit de guerre, selon l'expression si juste de Vatel (2), n'appartient aux nations qu'à titre de remède suprême contre l'injustice. C'est le résultat d'une malheureuse nécessité. Ce remède est si terrible dans ses effets, si funeste à l'humanité entière, et même si contraire aux véritables intérêts de celui qui l'emploie, que la loi naturelle ne l'autorise que dans les cas extrêmes, c'est-à-dire, quand il est moralement et physiquement démontré que tous les autres moyens d'obtenir justice sont insuffisants.

Il faut, c'est toujours Vatel qui parle, pour être autorisé à en appeler à la force des armes :

(1) Déclaration de l'amiral Joaquin Gutierrez de Rubalcaba, au gouverneur de l'Etat de Veracruz, en date du 14 décembre 1861. (2) Livre III, chap. IV, § 51,

1o Que nous ayons un juste motif de plainte ;

20 Que la puissance que nous attaquons nous ait refusé toute satisfaction légitime;

30 Enfin, que nous considérions auparavant avec la plus scrupuleuse attention s'il est véritablement utile à notre propre pays de soutenir notre droit par la force des armes.

Il faut plus encore. Comme il est possible, en dernier ressort, que la crainte d'une attaque de notre part fasse impression sur l'esprit de notre adversaire et le détermine à s'exécuter, nous devons à l'humanité et au respect que méritent la vie et la tranquillité de nos nationaux, de déclarer préalablement à la nation que nous voulons attaquer, ou à son chef, que nous allons enfin recourir aux derniers moyens et employer la force ouverte pour la contraindre à écouter la voix de la raison. C'est ce qui dans la langue du droit international, se nomme déclarer la guerre. L'état de guerre doit donc être notifié préalablement à la puissance ennemie, sans quoi les entreprises qu'on organise contre elle sont justement qualifiées d'actes de brigandage et de piraterie. Il doit être notifié aux neutres, afin qu'ils puissent éviter de se mettre en conflit avec les puissances belligérantes. Il doit être notifié à nos nationaux eux-mêmes, afin que, par ignorance, ils ne compromettent ni leurs biens, ni leur liberté, ni leur vie.

Enfin, il est nécessaire de fixer par un acte précis le commencement des hostilités, afin de faciliter le règlement des réclamations réciproques, lorsque la paix, en vue de laquelle toute guerre se soutient, aura été conclue.

Dans la circonstance qui nous occupe, aucune des formalités protectrices du droit des gens n'avait été observée à l'égard du Mexique. L'état de guerre existait, cela est vrai, mais il existait sans déclaration préalable de l'Espagne. Il existait, je le répète, mais seulement à la suite d'une intimation du commandant en chef de l'escadre espagnole au gouverneur de Veracruz, portant injonction de lui livrer la place et la forteresse dans le terme péremptoire de vingt-quatre heures, sous menace de rupture immédiate des hostilités (1), et

(1) Intimation de l'amiral Rubalcaba à M. de La Llave, en date du 14 décembre 1861.

c'était en violant d'une manière aussi audacieuse les lois internationales, que le gouvernement espagnol prétendait rappeler celui du Mexique au respect de ces mêmes lois.

Une pareille agression n'était pas seulement le résultat du fameux traité Mon-Almonte, c'était, bien plus encore, la conséquence des fausses idées répandues en Europe par les intéressés sur la situation intérieure de la République, ainsi qu'il est facile de s'en convaincre par les lignes suivantes, empruntées au journal la Patrie, no du 22 octobre 1861.

<< L'action collective des trois puissances, disait-il neuf jours avant » la signature de la Convention de Londres, aura pour objet la répa>> ration des outrages dont elles ont à se plaindre, et dans ce but >> elles occuperont les douanes de Veracruz et de Tampico. Mais si » l'état d'anarchie où se trouve la République obligeait les trois puis» sances à pénétrer jusqu'à la capitale; ou si, pour en terminer avec » leurs misérables tyrans et établir un gouvernement stable, les Mexi» cains se déclaraient en faveur d'un protectorat européen, alors l'An» gleterre, la France et l'Espagne contribueraient en commun à la » fondation de cette œuvre. »

C'est-à-dire, qu'à l'idée très-légitime, sans contredit, d'assurer le paiement futur de leurs conventions, se mêlait déjà dans l'esprit des puissances contractantes l'idée de convoquer le peuple mexicain, afin de lui imposer, sous la pression de leurs baïonnettes, leur protectorat d'abord, puis, si les circonstances le permettaient, le renversement de la République et son remplacement par une monarchie à laquelle on appellerait l'archiduc Maximilien d'Autriche, ou tout autre prince en disponibilité.

Ces espérances liberticides maintenues avec soin par les évêques et les réactionnaires mexicains qui se trouvaient à l'étranger, étaient partagées à l'intérieur par les anciens chefs du parti clérico-militaire; et pour qu'il ne reste aucun doute à cet égard, il me suffira de citer quelques phrases d'une correspondance saisie à Mexico dans la maison d'un de leurs coryphées, le sieur Muñoz-Ledo.

Dans ces lettres cyniques, écrites par Almonte, les conspirateurs supputaient entre eux, cinq mois avant l'attaque de Veracruz, le nombre de jours qui restaient encore à vivre à la malheureuse République, et le traître s'exprimait ainsi

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