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glantée pendant si longtemps, j'ai grand peur que parmi les plus nobles il n'y en ait quelques-uns dont les ancêtres aient été flétris de leur temps, et par leurs adversaires, des noms de brigands et de bandits que l'on se plaît tant de nos jours à prodiguer aux défenseurs de la nationalité du Mexique.

Quant à lord Russell, puisqu'aussi bien il s'agit en ce moment de lui, il disait, le 24 octobre 1861, à M. de la Fuente, ministre de la République accrédité près les cours de Saint-James et des Tuileries, qu'il n'avait point encore formulé les propositions qu'il devait soumettre à la France et à l'Espagne au sujet de l'intervention (1); et voici qu'à la date du 22 du même mois, M. Calderon Collantes, ministre d'État du gouvernement espagnol, répondait justement à ces propositions qui lui avaient été remises par le ministre anglais accrédité près du cabinet de Madrid. Depuis le jour où M. de Talleyrand a laissé, dit-on, tomber de ses lèvres cet adage singulier : « La parole a été donnée à l'homme pour déguiser sa pensée,» on a trouvé habile, surtout plus prudent, dans le cercle où vivent les sommités sociales, de s'abriter derrière des réticences qui, si nous en croyons le R.P. Escobar, au moyen d'une direction d'intention, consistent à dire le contraire des paroles que l'on a cependant prononcées. Dans le monde diplomatique, cette manière de s'exprimer s'appelle, selon le cas, finesse, ruse, artifice; mais, dans le dictionnaire, la seule autorité qu'un homme qui se respecte puisse invoquer, on donne à cet acte une tout autre signification.

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Quoi qu'il en soit, les renseignements offerts par M. Fuente avaient été repoussés par lord Russell, de la même manière et pour les mêmes motifs qui lui avaient déjà fait refuser la médiation américaine. Il retourna chez M. Adams pour lui demander s'il connaissait le dispositif de la proposition faite aux États-Unis, et celui-ci lui répondit qu'il en ignorait les termes aussi bien que l'esprit; qu'il ne savait pas même si les gouvernements de France et d'Espagne en avaient con

(1) Voir plus haut la dépêche de M. Fuente à M. Zamacona.

naissance, mais qu'en se rapportant à la dernière conversation qu'il avait eue avec lord Russell, il penchait cependant du côté de l'affirmative, puis il ajoute :

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<« Il y a pour moi une difficulté dont je ne puis me rendre » compte. Cette difficulté consiste dans la déclaration faite > par l'Espagne de ne pas attendre la réponse des États-Unis » au delà de la fin d'octobre. Lord Russell, la semaine der»nière (1), m'a parlé de l'envoi de ses propositions à Washington comme d'une chose qui devait avoir lieu prochai>>nement, mais qui n'est point encore faite. Or, il est impossible de savoir à cette époque la réponse du gouver>nement des États-Unis. Cette date fixée par l'Espagne, » comme le terme dernier de son attente, équivaut de sa » part à un refus de connaître et de prendre cette réponse › en considération. Si donc les deux autres puissances envoient également leurs flottes dans les eaux du Mexique, » ce ne peut être que dans le but de s'opposer à ses des» seins (2). >

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M. Adams se trompait dans ses suppositions. Pour parler plus clairement, il avait le tort de compter sur une promesse que lord Russell n'avait pas prise un seul instant au sérieux.

J'ai tenu à me rendre compte de ses fameuses propositions et je les ai cherchées dans le Blue-Book, dans les journaux de l'époque et dans la Correspondance transmise au congrès des Etats-Unis, par le président, pour lui faire connaître la situation des choses au Mexique.

Je n'ai rien trouvé à cet égard; rien, absolument rien, ni dans le Blue-Book, ni dans les journaux; mais voici ce que j'ai rencontré dans la Correspondance:

C'est d'abord une depêche de M. Adams à M. Seward, en date du 24 octobre 1861, no 62, dans laquelle le ministre américain, en rendant compte à son gouvernement de son entrevue avec M. Fuente, s'exprimait ainsi au sujet de ces propositions: I (M. Fuente) était anxieux de savoir de

(1) Du 43 au 20 du même mois.

(2) Dépêche de M. Fuente à M. Zamacona en date du 25 oct. 1861. -Très-réservée, no 4.

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> moi la nature des propositions faites aux Etats-Unis. » He seemed anxious to make inquiries of me as to the nature of >the proposition to be made to the United-States; » à quoi il ajoute Lord Russell a conservé vis-à-vis de lui le même silence qu'il avait gardé avec moi au sujet de ses projets. Lord Russell had been as silent to him in regard to his projects as he was to me.

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Puis une autre en date du 1er novembre 1861, no 66, dans laquelle il répond en ces termes à une note de M. Seward, en date du 10 octobre précédent, et portant le no 99: « Il me ▾ suffira de vous rappeler la situation où les choses ont été › laissées à la suite de ma conférence avec lord Russell, » pour vous convaincre qu'il m'était impossible de proposer › un moyen quelconque d'agir au nom du gouvernement des > Etats-Unis, ainsi que vous me le suggérez dans votre note › no 99. S. S. n'ayant pas jugé convenable de me faire connaître la nature du plan qu'elle était sur le point de sou» mettre à votre examen, par l'intermédiaire de Lord Lyons, il fallait que j'attendisse de l'apprendre par vous, ainsi › que l'accueil que lui avait fait le président. It will clearly appear from the representation there made of the state › in which the matter was left after my conference with lord Russell, that it is utterly out of my power to propose a course of action for the government of the United-States, as suggested » in your no 99. As his lordship did not think fit to make me acquainted with the nature of the plan he was about to submit » to your consideration through lord Lyons, I must wait to learn » it from you, as well as the reception which it has met with » from the president. »

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Et enfin, la réponse de M. Seward, en date de Washington, le 1er novembre 1861, no 128, réponse dans laquelle ce ministre s'exprime ainsi : « Monsieur, j'ai reçu votre dépê

che du 1er novembre, no 66. Elle traite de la question › mexicaine. Mais, jusqu'à présent, JE N'AI PAS REÇU LA NOTE » DE LORD LYONS, QUE VOUS ME FAISIEZ ESPÉRER. Au contraire, j'ai appris qu'une Convention (1) a été conclue entre

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(1) Celle du 31 octobre 1864.

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l'Espagne, la France et la Grande-Bretagne, etc... - Sir: » Your despatch of november 1, no 66, has been received. It » treats of the Mexican question. But thus for I have not re»ceived from lord Lyons the note on that subject which we were autorized to expect. On the contrary, I hear informally that a » Convention has been concluded between Spain, France and » Great Britain, etc.... »

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Maintenant concluons.

Il résulte du rapprochement de ces différentes pièces :

40 Que lord Russell s'était, en effet, engagé vis-à-vis de M. Adams, à envoyer au gouvernement des Etats Unis, par l'intermédiaire de lord Lyons, des propositions dont il avait cependant jugé convenable de lui cacher la nature.

20 Que celui-ci en avait fait part à M. Fuente, comme d'un espoir, bien faible, il est vrai, mais fondé toutefois sur la parole d'un ministre anglais, et d'autant plus précieux en ce moment qu'il n'en restait pas d'autre à la République.

30 Que lord Russell, satisfait sans doute de l'espèce de déférence que ses collègues de France et d'Espagne avaient montrée pour sa personne et ses opinions en le chargeant de formuler la minute du projet de Convention qu'ils allaient signer en commun, avait oublié immédiatement la promesse qu'il avait faite à M. Adams dans un moment d'abandon, et à laquelle il tenait d'autant moins que la sécession, victorieuse alors dans le Sud, promettait de délivrer à jamais l'Angleterre des craintes que lui inspirait la trop grande expansion de la puissance du Nord.

En conséquence, la convention, modifiée dans son essence, ainsi que nous l'avons vu, à la suite de la dépêche de M. Calderon Collantes, fut signée à Londres, le 31 octobre 1861. On en inséra une analyse à Paris, dans le Moniteur du 4 novembre, et le lendemain, 5, M. Fuente retourna chez M. Adams pour l'entretenir de ce grand événement. Ici, je lui abandonne de nouveau la parole:

« Aussitôt que j'eus pris connaissance, écrivait-il à M. Zamacona (1), du bulletin du Moniteur que je vous

(1) Dépêche de M. Fuente à M. Zamacona, datée de Londres, le 3 novembre 1861. Réservée, no 11.

adresse en même temps que cette dépêche, je me suis rendu chez M. Adams, je m'attendais à sa surprise à la nouvelle de la Convention célébrée entre l'Angleterre, la France et l'Espagne, avant que l'on eût reçu à Londres la réponse que lord Russell attendait du gouvernement de Washington, et je croyais également qu'il s'empresserait de demander des explications sur les causes de cette grande hâte aussi bien que sur les termes de la triple alliance établie par le traité de Londres.

» Je lui demandai donc tout d'abord s'il connaissait l'acte dont le Moniteur français avait publié la veille l'analyse sur la question du Mexique, à quoi il me répondit qu'il en avait été instruit, le matin même, par un journal anglais; puis, faisant allusion à une demande que je lui adressai, il me dit qu'il ne savait absolument rien des stipulations convenues entre les trois puissances, signataires de cet acte. J'appelai alors son attention sur ce que ce traité avait été conclu sans attendre la réponse du gouvernement américain, réponse à laquelle lord Russell, lui-même, avait cependant fait allusion dans la conférence qu'il avait eue récemment avec lui, à quoi je reçus pour réponse que le ministre anglais avait eu tout le temps de la recevoir, puisque son gouvernement, tout en ne lui disant pas un mot des propositions dont il s'agit, lui parlait pourtant de certaines notes expédiées de Londres à l'époque où avait eu lieu cette conférence. J'ai pris la liberté de lui faire observer que si, aujourd'hui même, il avait pu recevoir ces notes, il n'en était pas moins vrai que le 31 octobre, jour de la signature du traité, lord Russell ne pouvait pas encore connaître la résolution du gouvernement américain. Pour toute réponse, M. Adams m'a donné à lire, et il a mis dans son geste une certaine emphase, un journal de Londres dans lequel on disait que la circulaire de M. Seward, au sujet de la fortification des ports et des côtes de son pays était entièrement inutile, parce que l'expédition projetée par l'Angleterre, la France et l'Espagne, ne contenait aucune vue hostile contre l'Union américaine, et n'avait pas pour but de procurer aux nations alliées un long établissement dans la République. Après avoir lu ce passage, je lui dis que, malgré toutes ces protestations, le

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