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Mon ami, il faut tâcher de reprendre courage. Tout cela ne vaut pas deux • cens ducats qu'on nous a promis à notre retour. Stradella continuoit de tenir l'Affemblée dans le raviffement. Hortenfia elle-même applaudiffoit; & les deux affaflins paroiffoient de moment en moment plus accablés; fi l'on peut le dire, fous la puiffante magie du Mufi

.cien,

Il fortoit de l'Eglife, & traverfoit un détour peu éclairé. Un de ces fcélérats court à lui; &, jetant à fes pieds fon poignard, fuivi de fon complice, auquel la même action échappe, îl's'écrie : Stradella, tu l'emportes! Mon camarade & moi nous étions venus exprès ici pour te percer le cœur, nous l'avions promis; nous n'avons pu nous réfoudre à ce meurtre. Les charmes de ta voix nous ont changés en tes admirateurs; hous -faifons plus que de t'épargner, nous te confeillons de quitter Rome, & de te dérober au reffentiment d'un homme qui ne refpire que ta perte.

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Ils n'avoient pas prononcé ces derniers mots, qu'ils étoient difparus. Hortenfia, ainfi que le Muficien, étoient demeurés immobiles. Revenus de leur étonne.

ment, l'un & l'autre frémiffent du danger qu'ils ont couru. Hortenfia trembloit pour fon Amant, & celui-ci ne craignoit que pour fa Maitrelle.

Ils profitent du confeil des deux Emiffaires du Sénateur, fe réfugient à Turin, vont fe jeter aux pieds de la Ducheffe de Savoie, & lui racontent ingénuement le péril où eft expófée leur vie, & la caufe qui l'a fufcité. La verite a un caractère intéreffant. La Ducheffe eft touchée de ce récit fincère. Le cœur d'une femme eft rarement fermé à l'indulgence, quand la fenfibilité eft la fource des erreurs dont on lui fait l'aveu. Les deux Amans réuffirent à trouver grace aux yeux de la Princeffe. D'abord, pour les fouftraire à l'activité de la vengeance Italienne, elle plaça Hortenfia dans un Couvent, & donna un logement, dans fon Palais, à Stradella, avec le titre de fon premier Muficien.

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Le peu de fuccès d'un complot fi bien médité, n'avoit pas refroidi l'animofité du Sénateur. Il n'exiftoit que pour faifir l'occafion de frapper les deux victimes qui lui étoient échappées; & il étoit parvenu à communiquer fon reffentiment implacable au père d'Hortenfia. Ce vieil

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lard dénaturé,avoit fait ferment d'être le Bourreau de fa propre fille, fi jamais elle tomboit dans fes mains. Il n'écoutoit plus la voix du fang; il ne fe laiffoit conduire que par le noble Vénitien, dont le tems. & l'éloignement ne faifoient qu'enflammer la jaloufie & la foif de fe venger.

La Ducheffe, qui n'avoit nulle idée des transports de l'amour outrage, croyoit qu'il devoit être un terme à cette perfécution fi ardente. Elle imagina donc qu'elle pouvoir goûter, fans crainte, le plaifir de faire deux heureux. Elle maria le Muficien & fa Maîtreffe, qui ne favoient comment témoigner leur reconnoiffance à leur Bienfaitrice. Ils étoient à fes genoux, les arrofoient de larmes. Mes amis, leur dit la Ducheffe, en les relevant, vous avez commis de très-grandes fautes; mais il ne faut plus parler que du pardon & du bonheur qui vous attendent; je me flatte que Montelo & le Sénateur fe laifferont fléchir : j'emploierai mon credit pour opérer cette reconciliation trop différée.

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Quelque fut le rang où étoit élevée la Princeffe, elle ne put obtenir aucune réponse aux follicitations qu'on fit en fon nom. Cependant Stradella & Hortenfia,

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l'abri de fon Trône, s'abandonnoient à une douce fécurité. Combien de fois ils fe redifoient: que pourrions-nous envier dans l'Univers? Nous nous aimons, nous nous aimerons toujours; fous les glaces de l'âge, nos cœurs conferveront le feu de l'amour. Puiffions-nous ne pas furvivre l'un à l'autre, expirer enfemble, & avoir le même tombeau! Nos cendres, il n'en faut point douter, cherche ront encore à fe réunir.

Il eft donc décidé que l'homme, dans la plénitude du bonheur, ouvre fon cœur à l'inquiétude de nouveaux defirs. Les deux époux,comblés des bontés d'une Souveraine, le modèle de la bienfaifance, carellés, fêtés de toute fa Cour, demandent la permiffion d'aller, pour quelques jours, vifiter le Port de Genes. La Ducheffe, qui fe piquoit de ne leur rien refufer, leur accorde, non fans quelque regret, cette permiffion ardemment follicitée : elle leur fait donner la parole qu'ils reviendront bien-tôt; leur prodigue encore de nouvelles marques de fa libéralité, & les voit avec peine s'éloigner de Tutin.

Ils font arrivés à Gênes. Je ne fais dit Hortenfia à fon marí, je me fens atteinte d'une fecrette langueur, dont

j'ignore la caufe. Qu'aurois-je pourtant à craindre? La Ducheffe nous protège, & tu m'aimes. Il eft bien fingulier, repart Stradella, que j'éprouve la même mélancolie... Hortenfia, lève les yeux fur ton Epoux, fur ton Amant, & tous ces nuages fe diffiperont.

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Ils étoient couchés, & commençoient à fe livrer au fommeil : ils en font retirés par le bruit que formoient plufieurs per-, fonnes qui avoient déjà gagné leur antichambre ils font faifis de frayeur, une foible lampe les éclairoit. Quel fpectacle les frappe! Quatre hommes armés de poignards étincelans. Hortenfia s'écrie: mon père, c'est vous! Ah! mon père épargnez Stradella, & donnez-moi la mort. C'est en vain que tu réclames ma pitié pour lui, répond Montéïo, c'est fon cœur que je vais percer. Le Sénateur étoit au nombre des meurtriers: ils fe jettent tous deux fur le Muficien, qui s'efforçoit de fe défendre, ou plutôt de fauver fa femme, qu'il couvroit de tout fon corps Cet infortuné eft immolé fous mille coups, par ces deux barbares ; & le Sénateur, tout fouillé de fon fang, égorge Hortenfia, qui, en expirant nommoit encore fon père & fon mari.

Par M. d'Arnaud.

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