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M. Martineau a dit que le seul moyen-étoit d'obliger les membres qui sont de plusieurs comités à opter.

Il est scandaleux, s'est écrié M. Garat, de nous voir violer si fréquemment le réglement que nous avons adopté à Versailles, & qui défend aux membres de l'assemblée d'être de plusieurs comités à la fois.

Comment pouvons-nous chercher à épurer les assemblées administratives, tandis que nous ne donnons pas l'exemple, tandis que les brigues, les intrigues regnent au milieu de nous, distribuent les places? On a murmuré. Il n'y a que ceux à qui s'adresse ce que je dis en ce moment qui peuvent murmurer & le trouver mauvais. Pour moi, personne ne me fera de pareil reproche.

M. de Bonnay a demandé le renvoi de cette motion au comité de constitution, & il a observé en même tems que plusieurs comités se rapprochoient tellement, qu'ils rentroient les uns dans les autres par exemple, les comités de finance de liquidation, qu'il n'y avoit pas d'inconvénient à être employé en même-tems,

Je ne suis d'aucun comité, a dit M. de Tracy', parce que je suis jaloux de ma liberté ; mais je veux aussi conserver celle de donner ma voix

pour tel comité à celui qui me paroîtra le plus capable d'y prendre place, sans examiner s'il est déjà de tel autre. Ce n'est pas de-là que vient l'embarras momentané où nous nous trouvons, mais plutôt de l'excès de notre zele. Les forces de l'homme n'ont qu'une mesure donnée, & je trouve que les séances prolongées & multipliées, la correspondance à entretenir, la nécessité de s'instruire sur chaque matiere pour ceux qui ne sont pas venus ici avec des magasins, tout cela remplit de reste la journée, qui n'est toujours que de 24 heures; je ne vois pas comment on peut vaquer aux comités, sans laisser quelques autres occupations en arriere.

M. Voydel a rappellé que depuis le réglement en question, l'assemblée avoit consacré le principe que chaque membre avoit la liberté de nommer pour un comité tel autre membre qu'il voudroit.

Enfin, la discussion sur cette matiere a été fermée. M. l'abbé Grégoire propcsoit déjà, pour amendement, que ceux qui sont entrés dans les comités pour n'y pas travailler, soient obligés de donner leur démission, lorsque l'assemblée a encore une fois décidé de passer à l'ordre du jour ; & M. Duport a continué la lecture de son plan sur l'organisation du pouvoir judiciaire. Les applau

dissemens réitérés ont interrompu cette lecture de trois heures, en comptant les deux heures qui ont été employées à cet effet. La nature de cette feuille ne me permet qu'une analyse très-sommaire. La pierre fondamentale du plan de M. Duport, est la distinction entre le fait & le droit. Le juge qui constatera les faits qui en feront la preuve, sera connu sous le nom de juré ; le souverain (le peuple) se réservera, dans la personne du juré, l'exercice d'un de ses pouvoirs ; & cette fonction sera donc infiniment auguste & respectable; le juge qui viendra, après les preuves faites, appliquer la loi, sera connu sous le nom de juge; mais il sera infiniment respecté, honoré, sans être craint. La balance de la justice sera inaltérable dans ses mains. Les juges ne connoîtront point leurs justiciables; ceux-ci seront même dans l'impossibilité de tenter auprès de ceux-là aucun moyen de corruption. Point de tribunaux. sédentaires; la justice ira chercher le justiciable, les juges seront ambulans. Cette institution, que l'empire de l'habitude fait paroître extraordinaire, n'est pas neuve; elle a existé dans l'empire françois, avant qu'il plût à Philippe-le-Bel de rendre stables les cours de parlemens. Peut-être pourroiton avancer qu'elle est absolument conforme aux vrais principes d'un peuple libre, & que toute

institution contraire est une tyrannie, & uné transgression formelle à la loi. Pour prouver ce que j'avance, il suffit de mettre sous les yeux cette vérité éternelle : les rois sont nés & faits pour les peuples.

Tirez de cette majeure toutes les conséquences qui en découlent naturellement, & vous verrez que si le chef est né pour le bonheur de tous, nécessairement ses agens sont-ils faits pour contribuer le plus possible au bonheur du plus grand nombre. Donc deux ou trois juges doivent plutôt se déplacer pour rendre au peuple la justice, que d'obliger 50, 100 justiciables, quelquefois davintage à venir chercher à grands frais la justice. que l'ordre social leur doit. Ces juges ambulans tiendront des assises publiques, leur jugement entraînera d'autant moins de délai que la preuve des faits sera faite au préalable par des jurés, tant au civil qu'au criminel. De grands juges reviseront les jugemens des juges d'assises. Le nombre de ces grands juges, pour toute la France se monteroit à 48, dont 8 seroient chargés par le corps législatif de juger les affaires, dont il trouveroit à propos de leur attribuer la connoissance. Le reste seroit employé aux jugemens de révision. Un solliciteur ou officier public seroit l'intermédiaire entre les jurés & les

juges; il y en auroit un à chaque tribunal ambulant. Les juges de paix auroient lieu; mais leurs fonctions se borneroient seulement à l'arbritrage, & ils ne connoîtroient nullement du contentieux. Par-là on éloigneroit des campagnes tout ce qui peut alimenter la chicane; on y réintégreroit la simplicité des mœurs, en écartant à jamais de leur sein tous ces vils instrumentaires de la justice, les sergens, les huissiers & leur noire sequelle, fléau le plus terrible dont les campagnes puissent être frappées. Au surplus la rédaction de ce plan, pleine d'intérêt & de sensibilité, respire cette saine philosophie dont l'humanité est la base. Mais peut-être ce plan est-il trop simple pour des peuples nourris dans les abus & bercés de préjugés, trop vertueux pour être adopté chez une grande nation que l'aisance, la satiété même des plaisirs ont écarté des voies de la nature. Si nous sortions encore des forêts de la Germanie, ou si nous nous contentions encore de nos chasses pour vivre, il pourroit plutôt nous convenir; mais chez une nation où les coutumes se heurtent, se contrarient à chaque pas, où les glauses, les commentaires ont fait de la loi un cahos impénétrable, où mille à douze cents volumes de loix du digeste, d'ordonnances, font de notre droit

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