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avoir le silence des adversaires dans les faits allégués contre eux : si ces allégations leur ont été connues; s'ils en ont fait assez de cas pour daigner y répondre; si les livres étoient assez communs pour que les nôtres leur parvinssent; si nous avons été d'assez bonne foi donner cours aux leurs parmi nous, et pour y laisser leurs plus fortes objections telles qu'ils les avoient faites!

pour

Tous ces monuments reconnus pour incontestables, il faut passer ensuite aux preuves de la mission de leurs auteurs; il faut bien savoir les lois des sorts, les probabilités éventives, pour juger quelle prédiction ne peut s'accomplir sans miracle; le génie des langues originales pour distinguer ce qui est prédiction dans ces langues, et ce qui n'est que figure oratoire; quels faits sont dans l'ordre de la nature, et quels autres faits n'y sont pas; pour dire jusqu'à quel point un homme adroit peut fasciner les yeux des simples, peut étonner même les gens éclairés; chercher de quelle espéce doit être un prodige, et quelle authenticité il doit avoir, non seulement pour être cru, mais pour qu'on soit punissable d'en douter; comparer les preuves des vrais et des faux prodiges, et trouver les règles sûres pour les discerner; dire enfin pourquoi Dieu choisit, pour attester sa parole, des moyens qui ont eux-mêmes si grand besoin d'attestation, comme s'il se jouoit de la crédulité des hommes, et qu'il évitât à dessein les vrais moyens de les persuader.

Supposons que la majesté divine daigne s'abaisser assez pour rendre un homme l'organe de ses volontés

sacrées; est-il raisonnable, est-il juste d'exiger que tout le genre humain obéisse à la voix de ce ministre sans le lui faire connoître pour tel? Y a-t-il de l'équité à ne lui donner, pour toutes lettres de créance, que quelques signes particuliers faits devant peu de gens obscurs, et dont tout le reste des hommes ne saura jamais rien que par ouï-dire? Par tous les pays du monde, si l'on tenoit pour vrais tous les prodiges que le peuple et les simples disent avoir vus, chaque secte seroit la bonne; il y auroit plus de prodiges que d'événements naturels; et le plus grand de tous les miracles seroit que, là où il y a des fanatiques persécutés, il n'y eût point de miracles. C'est l'ordre inaltérable de la nature qui montre le mieux la sage main qui la régit; s'il arrivoit beaucoup d'exceptions, je ne saurois plus qu'en penser; et pour moi, je crois trop en Dieu pour croire à tant de miracles si peu dignes de lui.

Qu'un homme vienne nous tenir ce langage: Mortels, je vous annonce la volonté du Très-Haut; reconnoissez à ma voix celui qui m'envoie; j'ordonne au soleil de changer sa course, aux étoiles de former un autre arrangement, aux montagnes de s'aplanir, aux flots de s'élever, à la terre de prendre un autre aspect. A ces merveilles, qui ne reconnoîtra pas à l'instant le maître de la nature? Elle n'obéit point aux imposteurs; leurs miracles se font dans des carrefours, dans des déserts, dans des chambres; et c'est là qu'ils ont bon marché d'un petit nombre de spectateurs déjà disposés à tout croire. Qui est-ce qui m'osera dire combien il faut de témoins oculaires pour rendre un pro

dige digne de foi? Si vos miracles, faits pour prouver votre doctrine, ont eux-mêmes besoin d'étre prouvés, de quoi servent-ils? autant valoit n'en point faire.

Reste enfin l'examen le plus important dans la doctrine annoncée; car, puisque ceux, qui disent que Dieu fait ici-bas des miracles prétendent que le diable les imite quelquefois, avec les prodiges les mieux attestés, nous ne sommes pas plus avancés qu'auparavant; et, puisque les magiciens de Pharaon osoient, en présence même de Moïse, faire les mêmes signes qu'il faisoit par l'ordre exprès de Dieu, pourquoi, dans son absence, n'eussent-ils pas, aux mêmes titres, prétendu la même autorité? Ainsi donc, après avoir prouvé la doctrine par le miracle, il faut ver le miracle par la doctrine, de peur de prendre

prou

'Cela est formel en mille endroits de l'Écriture, et entre autres dans le Deuteronome, chapitre XIII, où il est dit que si un prophète annonçant des dieux étrangers confirme ses dicours par des prodiges, et que ce qu'il prédit arrive, loin d'y avoir aucun égard on doit mettre ce prophète à mort. Quand donc les païens mettoient à mort les apôtres leur annonçant un dieu étranger et prouvant leur mission par des prédictions et des miracles, je ne vois pas ce qu'on avoit à leur objecter de solide, qu'ils ne pussent à l'instant rétorquer contre nous. Or, que faire en pareil cas? Une seule chose revenir au raisonnement, et laisser là les miracles. Mieux eût valu n'y pas recourir. C'est là du bon sens le plus simple, qu'on n'obscurcit qu'à force de distinctions tout au moins très subtiles.. Des subtilités dans le christianisme! Mais Jésus-Christ a donc eu tort de promettre le royaume des cieux aux simples; il a donc eu tort de commencer le plus beau de ses discours par féliciter les pauvres d'esprit, s'il faut tant d'esprit pour entendre sa doctrine et pour apprendre à croire en lui. Quand vous m'aurez prouvé que je dois me soumettre, tout ira fort bien mais pour me prouver cela mettez-vous à ma portée; mesurez vos raisonnements à la

ÉMILE. 2.

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l'œuvre du démon pour l'œuvre de Dieu. Que pensezvous de ce dialéle. *

Cette doctrine, venant de Dieu, doit porter le sacré caractère de la Divinité; non seulement elle doit nous éclaircir les idées confuses que le raisonnement en trace dans notre esprit, mais elle doit aussi nous proposer un culte, une morale, et des maximes convenables aux attributs par lesquels seuls nous concevons son essence. Si donc elle ne nous apprenoit que des choses absurdes et sans raison, si elle ne nous inspiroit que des sentiments d'aversion pour nos semblables et de frayeur pour nous-mêmes, si elle ne nous peignoit qu'un Dieu colère, jaloux, vengeur, partial, haïssant les hommes, un Dieu de la guerre et des combats, toujours prêt à détruire et foudroyer, toujours parlant de tourments, de peines, et se vantant de punir même les innocents, mon cœur ne seroit point attiré vers ce Dieu terrible, et je me garderois de quitter la religion naturelle pour embrasser celle-là; car vous voyez bien qu'il faudroit nécessairement opter. Votre Dieu n'est pas le nôtre, dirois-je à ses sectateurs. Celui qui commence par se choisir

capacité d'un pauvre d'esprit, ou je ne reconnois plus en vous le vraí disciple de votre maître, et ce n'est pas sa doctrine que vous

m'annoncez.

* On appelle ainsi en logique l'argument par lequel on fait voir le cercle vicieux résultant d'un raisonnement qui se réduit à prouver une chose incertaine et obscure par une autre entachée des mêmes défauts, puis cette seconde par la première. Le dialèle est l'argument favori des sceptiques ou pyrrhoniens, et le plus formidable, dit Bayle, de tous ceux qu'ils emploient contre les dogmatiques.

un seul peuple et proscrire le reste du genre humain n'est pas le père commun des hommes; celui qui destine au supplice éternel le plus grand nombre de ses créatures n'est pas le Dieu clément et bon que ma

raison m'a montré.

A l'égard des dogmes, elle me dit qu'ils doivent être clairs, lumineux, frappants par leur évidence. Si la religion naturelle est insuffisante, c'est c'est par l'obscurité qu'elle laisse dans les grandes vérités qu'elle nous enseigne c'est à la révélation de nous enseigner ces vérités d'une manière sensible à l'esprit de l'homme, de les mettre à sa portée, de les lui faire concevoir, afin qu'il les croie. La foi s'assure et s'affermit par l'entendement; la meilleure de toutes les religions est infailliblement la plus claire : celui qui charge de mystères, de contradictions, le culte qu'il me prêche, m'apprend par cela même à m'en défier. Le Dieu que j'adore n'est point un Dieu de ténébres, il ne m'a point doué d'un entendement pour m'en interdire l'usage: me dire de soumettre ma raison, c'est outrager son auteur. Le ministre de la vérité ne tyrannise point ma raison, il l'éclaire.

Nous avons mis à part toute autorité humaine; et, sans elle, je ne saurois voir comment un homme en peut convaincre un autre en lui prêchant une doctrine déraisonnable. Mettons un moment ces deux hommes aux prises, et cherchons ce qu'ils pourront se dire dans cette âpreté de langage ordinaire aux deux partis. L'INSPIRÉ.

La raison vous apprend que le tout est plus grand que sa partie; mais moi je vous apprends, de la

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