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et qui agit sur eux, cette action réciproque n'est pas douteuse; mais ma volonté est indépendante de mes sens; je consens ou je résiste, je succombe ou je suis vainqueur, et je sens parfaitement en moi-même quand je fais ce que j'ai voulu faire, ou quand je ne fais que céder à mes passions. J'ai toujours la puissance de vouloir, non la force d'exécuter. Quand je me livre aux tentations, j'agis selon l'impulsion des objets externes. Quand je me reproche cette foiblesse, je n'écoute que ma volonté; je suis esclave par mes vices, et libre par mes remords; le sentiment de ma liberté ne s'efface en moi que quand je me déprave, et que j'empêche enfin la voix de l'ame de s'élever contre la loi du corps.

Je ne connois la volonté que par le sentiment de la mienne, et l'entendement ne m'est pas mieux connu. Quand on me demande quelle est la cause qui détermine ma volonté, je demande à mon tour quelle est la cause qui détermine mon jugement: car il est clair que ces deux causes n'en font qu'une; et si l'on comprend bien que l'homme est actif dans ses jugements, que son entendement n'est que le pouvoir de comparer et de juger, on verra que sa liberté n'est qu'un pouvoir semblable, ou dérivé de celui-là; il choisit le bon comme il a jugé le vrai; s'il juge faux il choisit mal. Quelle est donc la cause qui détermine sa volonté ? C'est son jugement. Et quelle est la cause qui détermine son jugement? C'est sa faculté intelligente, c'est sa puissance de juger; la cause déterminante est en lui-même. Passé cela, je n'entends plus rien.

Sans doute je ne suis ne suis pas libre de ne pas vouloir

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mon propre bien, je ne suis pas libre de vouloir mon
mal; mais ma liberté consiste en cela même que je ne
puis vouloir
que ce qui m'est convenable, ou que j'es-
time tel, sans que rien d'étranger à moi me détermine.
S'ensuit-il que je ne sois pas mon maître, parceque je
ne suis
pas le maître d'être un autre que moi?

Le principe de toute action est dans la volonté d'un être libre; on ne sauroit remonter au-delà. Ce n'est pas le mot de liberté qui ne signifie rien, c'est celui de nécessité. Supposer quelque acte, quelque effet qui ne dérive pas d'un principe actif, c'est vraiment supposer des effets sans cause, c'est tomber dans le cercle vicieux. Ou il n'y a point de première impulsion, ou toute première impulsion n'a nulle cause antérieure, et il n'y a point de véritable volonté sans liberté. L'homme est donc libre dans ses actions, et, comme tel, animé d'une substance immatérielle, c'est mon troisième article de foi. De ces trois premiers

vous déduirez aisément tous les autres, sans que je

continue à les compter.

Si l'homme est actif et libre, il agit de lui-même; tout ce qu'il fait librement n'entre point dans le système ordonné de la Providence, et ne peut lui être imputé. Elle ne veut point le mal que fait l'homme en abusant de la liberté qu'elle lui donne; mais elle ne l'empêche pas de le faire, soit que de la part d'un être si foible ce mal soit nul à ses yeux, soit qu'elle ne pût l'empêcher sans gêner sa liberté et faire un mal plus grand en dégradant sa nature. Elle l'a fait libre afin qu'il fit non le mal, mais le bien par choix. Elle l'a mis en état de faire ce choix en usant bien des facul

tés dont elle l'a doué; mais elle a tellement borné ses forces, que l'abus de la liberté qu'elle lui laisse ne peut troubler l'ordre général. Le mal que l'homme fait retombe sur lui sans rien changer au système du monde, sans empêcher que l'espèce humaine ellemême ne se conserve malgré qu'elle en ait. Murmurer de ce que Dieu ne l'empêche pas de faire le mal, c'est murmurer de ce qu'il la fit d'une nature excellente, de ce qu'il mit à ses actions la moralité qui les ennoblit, de ce qu'il lui donna droit à la vertu. La supréme jouissance est dans le contentement de soi-même; c'est pour mériter ce contentement que nous sommes placés sur la terre et doués de la liberté, que nous sommes tentés par les passions et retenus par la conscience. Que pouvoit de plus en notre faveur la puissance divine elle-même ? Pouvoit-elle mettre de la contradiction dans notre nature et donner le prix d'avoir bien fait à qui n'eut pas le pouvoir de malfaire? Quoi! pour empêcher l'homme d'être méchant, falloit-il le borner à l'instinct et le faire bête? Non, Dieu de mon ame, je ne té reprocherai jamais de l'avoir faite à ton image, afin que je pusse être libre, bon et heureux comme toi.

C'est l'abus de nos facultés qui nous rend malheureux et méchants. Nos chagrins, nos soucis, nos peines, nous viennent de nous. Le mal moral est incontestablement notre ouvrage, et le mal physique ne seroit rien sans nos vices, qui nous l'ont rendu sensible. N'est-ce pas pour nous conserver que la nature nous fait sentir nos besoins? La douleur du corps n'est-elle pas un signe que la machine se dérange, et

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à

un avertissement d'y pourvoir? La mort.... Les méchants n'empoisonnent-ils pas leur vie et la nôtre? Qui est-ce qui voudroit toujours vivre? La mort est le remède aux maux que vous vous faites; la nature a voulu que vous ne souffrissiez pas toujours. Combien l'homme vivant dans la simplicité primitive est sujet peu de maux ! il vit presque sans maladies ainsi que sans passions, et ne prévoit ni ne sent la mort; quand il la sent, ses misères la lui rendent desirable: dès lors elle n'est plus un mal pour lui. Si nous nous contentions d'être ce que nous sommes, nous n'aurions point à déplorer notre sort; mais pour chercher un bien-être imaginaire, nous nous donnons mille maux réels. Qui ne sait pas supporter un peu de souffrance doit s'attendre à beaucoup souffrir. Quand on a gâté sa constitution par une vie déréglée, on la veut rétablir par des remèdes ; au mal qu'on sent on ajoute celui qu'on craint; la prévoyance de la mort la rend horrible et l'accélère; plus on la veut fuir plus on la sent; et l'on, meurt de frayeur durant toute sa vie, en murmurant contre la nature, des maux qu'on s'est faits en l'offensant.·

Homme, ne cherche plus l'auteur du mal; cet auteur c'est toi-même. Il n'existe point d'autre mal que celui que tu fais ou que tu souffres, et l'un et l'autre te vient de toi. Le mal général ne peut être que dans le désordre, et je vois dans le système du monde un ordre qui ne se dément point. Le mal ticulier n'est que dans le sentiment de l'être qui souffre; et ce sentiment l'homme ne l'a pas reçu de la nature, il se l'est donné. La douleur a peu de prise sur

par

quiconque, ayant peu réfléchi, n'a ni souvenir ni prévoyance. Otez nos funestes progrès, ôtez nos erreurs et nos vices, ôtez l'ouvrage de l'homme, et tout est bien.

Où tout est bien rien n'est injuste. La justice est inséparable de la bonté; or la bonté est l'effet nécessaire d'une puissance sans borne et de l'amour de soi, essentiel à tout être qui se sent. Celui qui peut tout étend, pour ainsi dire, son existence avec celle des êtres. Produire et conserver sont l'acte perpétuel de la puissance; elle n'agit point sur ce qui n'est pas, Dieu n'est pas le dieu des morts, il ne pourroit être destructeur et méchant sans se nuire. Celui qui peut tout ne peut vouloir que ce qui est bien 1. Donc l'Étre souverainement bon, parcequ'il est souverainement puissant, doit être aussi souverainement juste, autrement il se contrediroit lui-même, car l'amour de l'ordre qui le produit s'appelle bonté, et l'amour de l'ordre qui le conserve s'appelle justice.

Dieu, dit-on, ne doit rien à ses créatures. Je crois qu'il leur doit tout ce qu'il leur promit en leur donnant l'être. Or c'est leur promettre un bien que de leur en donner l'idée et de leur en faire sentir le besoin. Plus je rentre en moi, plus je me consulte, et plus je lis ces mots écrits dans mon ame: Sois juste et tu seras heureux. Il n'en est rien pourtant, à considérer l'état présent des choses; le méchant prospère,

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Quand les anciens appeloient optimus maximus le Dieu suprême, ils disoient très vrai : mais en disant maximus optimus, ils auroient parlé plus exactement; puisque sa bonté vient de sa puissance, il est bon parcequ'il est grand.

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