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sant donc cet être existe. Où le voyez-vous exister? m'allez-vous dire. Non seulement dans les cieux qui roulent, dans l'astre qui nous éclaire; non seulement dans moi-même, mais dans la brebis qui paît, dans l'oiseau qui vole, dans la pierre qui tombe, dans la feuille qu'emporte le vent.

Je juge de l'ordre du monde quoique j'en ignore la fin, parceque pour juger de cet ordre il me suffit de comparer les parties entre elles, d'étudier leur concours, leurs rapports, d'en remarquer le concert. J'ignore pourquoi l'univers existe; mais je ne laisse pas de voir comment il est modifié; je ne laisse pas d'apercevoir l'intime correspondance par laquelle les êtres qui le composent se prêtent un secours mutuel. Je suis comme un homme qui verroit pour la première fois une montre ouverte, et qui ne laisseroit pas d'en admirer l'ouvrage, quoiqu'il ne connût pas l'usage de la machine et qu'il n'eût point vu le cadran. Je ne sais, diroit-il, à quoi le tout est bon; mais je vois que chaque pièce est faite pour les autres; j'admire l'ouvrier dans le détail de son ouvrage, et je suis bien sûr que tous ces rouages ne marchent ainsi de concert que pour une fin commune qu'il m'est impossible d'apercevoir.

Comparons les fins particulières, les moyens, les rapports ordonnés de toute espèce, puis écoutons le sentiment intérieur; quel esprit sain peut se refuser à son témoignage? à quels yeux non prévenus l'ordre sensible de l'univers n'annonce-t-il pas une suprême intelligence; et que de sophismes ne faut-il point entasser pour méconnoître l'harmonie des êtres, et l'admi

rable concours de chaque pièce pour la conservation des autres! Qu'on me parle tant qu'on voudra de combinaisons et de chances; que vous sert de me réduire au silence, si vous ne pouvez m'amener à la persuasion? et comment m'ôterez-vous le sentiment involontaire qui vous dément toujours malgré moi? Si les corps organisés se sont combinés fortuitement de mille manières avant de prendre des formes constantes, s'il s'est formé d'abord des estomacs sans bouches, des pieds sans têtes, des mains sans bras, des organes imparfaits de toute espèce qui sont péris faute de pouvoir se conserver, pourquoi nul de ces informes essais ne frappe-t-il plus nos regards? pourquoi la nature s'est-elle enfin prescrit des lois auxquelles elle n'étoit pas d'abord assujettie? Je ne dois point être surpris qu'une chose arrive lorsqu'elle est possible, et que la difficulté de l'événement est compensée par la quantité des jets; j'en conviens. Cependant si l'on me venoit dire que des caractères d'imprimerie, projetés au hasard, ont donné l'Énéide tout arrangée, je ne daignerois pas faire un pas pour aller vérifier le mensonge. Vous oubliez, me dira-t-on, la quantité des jets. Mais de ces jets-là combien faut-il que j'en suppose pour rendre la combinaison vraisemblable? Pour moi, qui n'en vois qu'un seul, j'ai l'infini à parier contre un que son produit n'est point l'effet du hasard. Ajoutez que des combinaisons et des chances ne donneront jamais que des produits de même nature que les éléments combinés, que l'organisation et la vie ne résulteront point d'un jet d'atomes, et qu'un chimiste

combinant des mixtes ne les fera point sentir et penser dans son creuset 1.

J'ai lu Nieuwentit avec surprise, et presque avec scandale *. Comment cet homme a-t-il pu vouloir faire un livre des merveilles de la nature, qui montrent la sagesse de son auteur? Son livre seroit aussi gros que le monde, qu'il n'auroit pas épuisé son sujet; et sitôt qu'on veut entrer dans les détails, la plus grande merveille échappe, qui est l'harmonie et l'accord du tout. La seule génération des corps vivants et organisés est l'abîme de l'esprit humain; la barrière insurmontable que la nature a mise entre les diverses espèces, afin qu'elles ne se confondissent pas, montre ses intentions avec la dernière évidence. Elle ne s'est pas con

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les

Croiroit-on, si l'on n'en avoit la preuve, que l'extravagance humaine pût être portée à ce point? Amatus Lusitanus assuroit avoir vu un petit homme long d'un pouce enfermé dans un verre, que Julius Camillus, comme un autre Prométhée, avoit fait par la science alchimique. Paracelse, de Naturâ rerum, enseigne la façon de produire ces petits hommes, et soutient que les pygmées, faunes, les satyres et les nymphes, ont été engendrés par la chimie. En effet, je ne vois pas trop qu'il reste désormais autre chose à faire, pour établir la possibilité de ces faits, si ce n'est d'avancer que la matière organique résiste à l'ardeur du feu, et que ses molécules peuvent se conserver en vie dans un fourneau de réverbère.

* Nieuwentit, savant mathématicien hollandois, et non moins célèbre comme philosophe, mort en 1718. Entre autres ouvrages il a publié, dans sa langue, un traité de l'Existence de Dieu démonpar les merveilles de la nature, traduit en françois par Noguès. (Paris, 1725, in-4°, réimprimé en 1740.)

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a Médecin portugais du seizième siècle, dont le nom véritable étoit Jean Rodrigue Amato. Il est auteur de quelques ouvrages de médecine écrits en latin, et qui ont été plusieurs fois réimprimés.

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Je crois que le monde est gouvernd pur volente puissant el sage.

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