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ment je juge aussitôt, ou que c'est un corps animé, ou que ce mouvement lui a été communiqué. Mon esprit refuse tout acquiescement à l'idée de la matière non organisée se mouvant d'elle-même, ou produisant quelque action.

Cependant cet univers visible est matière, matière éparse et morte, qui n'a rien dans son tout de l'union, de l'organisation, du sentiment commun.des parties d'un corps animé, puisqu'il est certain que nous qui sommes parties ne nous sentons nullement, dans le tout. Ce même univers est en mouvement, et dans ses mouvements réglés, uniformes, assujettis à des lois constantes, il n'a rien de cette liberté qui paroît dans les mouvements spontanés de l'homme et des animaux. Le monde n'est donc pas un grand animal qui se meuve de lui-même, il y a donc de ses mouvements quelque cause étrangère à lui, laquelle je n'aperçois pas, mais la persuasion intérieure me rend cette cause tellement sensible que je ne puis voir rouler le soleil sans imaginer une force qui le pousse, ou que, si la terre tourne, je crois sentir une main qui la fait tourner.

S'il faut admettre des lois générales dont je n'aperçois point les rapports essentiels avec la matière, de quoi serai-je avancé? Ces lois, n'étant point des êtres réels, des substances, ont donc quelque autre fonde

'J'ai fait tous mes efforts pour concevoir une molécule vivante, sans pouvoir en venir à bout. L'idée de la matière sentant sans avoir des sens me paroît inintelligible et contradictoire. Pour adopter ou rejeter cette idée, il faudroit commencer par la comprendre, et j'avoue que je n'ai pas ce bonheur-là:

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ment qui m'est inconnu. L'expérience et l'observation nous ont fait connoître les lois du mouvement; ces lois déterminent les effets sans montrer les causes; elles ne suffisent point pour expliquer le système du monde et la marche de l'univers. Descartes avec des dés formoit le ciel et la terre; mais il ne put donner le premier branle à ces dés, ni mettre en jeu sa force centrifuge qu'à l'aide d'un mouvement de rotation. Newton a trouvé la loi de l'attraction, mais l'attraction seule réduiroit bientôt l'univers en une masse immobile : à cette loi il a fallu joindre une force projectile pour faire décrire des courbes aux corps célestes. Que Descartes nous dise quelle loi physique a fait tourner ses tourbillons; que Newton nous montre la main qui lança les planétes sur la tangente de leurs orbites.

Les premières causes du mouvement ne sont point dans la matière; elle reçoit le mouvement et le communique, mais elle ne le produit pas. Plus j'observe l'action et réaction des forces de la nature agissant les unes sur les autres, plus je trouve que, d'effets en effets, il faut toujours remonter à quelque volonté pour première cause; car supposer un progrès de causes à l'infini, c'est n'en point supposer du tout. En un mot, tout mouvement qui n'est pas produit par un autre ne peut venir que d'un acte spontané, volontaire ; les inanimés n'agissent que par le mouvement, et il n'y a point de véritable action sans volonté. Voilà mon premier principe. Je crois donc qu'une volonté meut l'univers et anime la nature.

corps

Voilà mon premier dogme, ou mon premier article de foi.

Comment une volonté produit-elle une action physique et corporelle? je n'en sais rien, mais j'éprouve en moi qu'elle la produit. Je veux agir, et j'agis; je veux mouvoir mon corps, et mon corps se meut: mais qu'un corps inanimé et en repos vienne à se mouvoir de lui-même ou produise le mouvement, cela est incompréhensible et sans exemple. La volonté m'est connue par ses actes, non par sa nature. Je connois cette volonté, comme cause motrice; mais concevoir la matière productrice du mouvement, c'est clairement concevoir un effet sans cause, c'est ne concevoir absolument rien.

Il ne m'est pas plus possible de concevoir comment ma volonté meut mon corps, que comment mes sensations affectent mon ame. Je ne sais pas même pourquoi l'un de ces mystères a paru plus explicable que l'autre. Quant à moi, soit quand je suis passif, soit quand je suis actif, le moyen d'union des deux substances me paroît absolument incompréhensible. Il est bien étrange qu'on parte de cette incompréhensibilité même pour confondre les deux substances, comme si des opérations de natures si différentes s'expliquoient mieux dans un seul sujet que dans deux.

Le dogme que je viens d'établir est obscur, il est vrai; mais enfin il offre un sens, et il n'a rien qui répugne à la raison ni à l'observation: en peut-on dire autant du matérialisme? N'est-il pas clair que si le mouvement étoit essentiel à la matière, il en seroit inséparable, il Y seroit toujours en même degré, tou

jours le même dans chaque portion de matière, il seroit incommunicable, il ne pourroit augmenter ni diminuer, et l'on ne pourroit pas même concevoir la matière en repos? Quand on me dit que le mouvement ne lui est pas essentiel, mais nécessaire, on veut me donner le change par des mots qui seroient plus aisés à réfuter s'ils avoient un peu plus de sens. Car, ou le mouvement de la matière lui vient d'elle-même, et alors il lui est essentiel, ou s'il lui vient d'une cause étrangère, il n'est nécessaire à la matière qu'autant que la cause motrice agit sur elle: nous rentrons dans la première difficulté.

Les idées générales et abstraites sont la source des plus grandes erreurs des hommes; jamais le jargon de la métaphysique n'a fait découvrir une seule vérité, et il a rempli la philosophie d'absurdités dont on a honte, sitôt qu'on les dépouille de leurs grands mots. Dites-moi, mon ami, si quand on vous parle d'une force aveugle répandue dans toute la nature, on porte quelque véritable idée à votre esprit. On croit dire quelque chose par ces mots vagues de førce universelle, de mouvement nécessaire, et l'on ne dit rien du tout. L'idée du mouvement n'est autre chose que l'idée du transport d'un lieu à un autre: il n'y a point de mouvement sans quelque direction; car un étre individuel ne sauroit se mouvoir à-la-fois dans tous les sens. Dans quel sens donc la matière se meutelle nécessairement? Toute la matière en corps at-elle un mouvement uniforme, ou chaque atome a-t-il son mouvement propre? Selon la première idée, l'univers entier doit former une masse solide et indi

visible; selon la seconde, il ne doit former qu'un fluide épars et incohérent, sans qu'il soit jamais possible que deux atomes se réunissent. Sur quelle direction se fera ce mouvement commun de toute la matière? Sera-ce en droite ligne ou circulairement, en haut ou en bas, à droite ou à gauche? Si chaque molécule de matière a sa direction particulière, quelles seront les causes de toutes ces directions et de toutes ces différences? Si chaque atome ou molécule de matière ne faisoit que tourner sur son propre centre, jamais rien ne sortiroit de sa place, et il n'y auroit point de mouvement communiqué; encore même faudroit-il que ce mouvement circulaire fût déterminé dans quelque sens. Donner à la matière le mouvement par abstraction, c'est dire des mots qui ne signifient rien; et lui donner un mouvement déterminé, c'est supposer une cause qui le détermine. Plus je multiplie les forces particulières, plus j'ai de nouvelles causes à expliquer, sans jamais touver aucun agent commun qui les dirige. Loin de pouvoir imaginer aucun ordre dans le concours fortuit des éléments, je n'en puis pas même imaginer le combat, et le chaos de l'univers m'est plus inconcevable que son harmonie. Je comprends que le mécanisme du monde peut n'être pas intelligible à l'esprit humain; mais sitôt qu'un homme se mêle de l'expliquer, il doit dire des choses que les hommes entendent.

la ma

Si la matière mue me montre une volonté, tière mue selon de certaines lois me montre une intelligence: c'est mon second article de foi. Agir, comparer, choisir, sont les opérations d'un être actif et pen

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