Page images
PDF
EPUB

« elles. La paix de l'ame consiste dans le mépris de « tout ce qui peut la troubler : l'homme qui fait le plus « de cas de la vie est celui qui sait le moins en jouir; « et celui qui aspire le plus avidement au bonheur est toujours le plus misérable.

[ocr errors]

:

<«< Ah! quels tristes tableaux! m'écriois-je avec amer<< tume s'il faut se refuser à tout, que nous a donc << servi de naître? et s'il faut mépriser le bonheur « même, qui est-ce qui sait être heureux? C'est moi; répondit un jour le prêtre d'un ton dont je fus frappé. « Heureux, vous! si peu fortuné, si pauvre, exilé, persécuté, vous êtes heureux! Et qu'avez-vous fait << pour l'être? Mon enfant, reprit-il, je vous le dirai « volontiers.

k

[ocr errors]
[ocr errors]

« Là-dessus il me fit entendre qu'après avoir reçu « mes confessions il vouloit me faire les siennes. J'épancherai dans votre sein, me dit-il en m'embras<< sant, "tous les sentiments de mon cœur. Vous me « verrez, sinon tel que je suis, au moins tel que je me « vois moi-même. Quand vous aurez reçu mon entière profession de foi, quand vous connoîtrez bien l'état << de mon ame, vous saurez pourquoi je m'estime heu«reux, et, si vous pensez comme moi, ce que vous << avez à faire pour l'être. Mais ces aveux ne sont pas « l'affaire d'un moment; il faut du temps pour vous «< exposer tout ce que je pense sur le sort de l'homme «< et sur le vrai prix de la vie : prenons une heure,

[ocr errors]

un

<< lieu, commodes pour nous livrer paisiblement à cet

<< entretien.

[ocr errors]

« Je marquai de l'empressement à l'entendre. Le

<< rendez-vous ne fut pas renvoyé plus tard qu'au len

"

« demain matin. On étoit en été; nous nous levâmes << à la pointe du jour. Il me mena hors de la ville, sur << une haute colline, au-dessous de laquelle passoit le

t

[ocr errors]

Pô, dont on voyoit le cours à travers les fertiles rives qu'il baigne; dans l'éloignement, l'immense chaîne « des Alpes couronnoit le paysage; les rayons du soleil «<levant rasoient déjà les plaines, et, projetant sur les champs par longues ombres les arbres, les coteaux, << les maisons, enrichissoient de mille accidents de lumière le plus beau tableau dont l'œil humain puisse « être frappé. On eût dit que la nature étaloit à nos yeux toute sa magnificence pour en offrir le texte à << nos entretiens. Ce fut là qu'après avoir quelque temps contemplé ces objets en silence, l'homme de paix me parla ainsi. »

"

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

PROFESSION DE FOI

DU VICAIRE SAVOYARD.

Mon enfant, n'attendez de moi ni des discours savants ni de profonds raisonnements. Je ne suis pas un grand philosophe, et je me soucie peu de l'être. Mais j'ai quelquefois du bon sens, et j'aime toujours la vérité. Je ne veux pas argumenter avec vous, ni même tenter de vous convaincre; il me suffit de vous exposer ce que je pense dans la simplicité de mon cœur. Consultez le vôtre durant mon discours; c'est tout ce que je vous demande. Si je me trompe, c'est de bonne foi; cela suffit pour que mon erreur ne me soit pas imputée à crime quand vous vous trom

periez de même, il y auroit peu de mal à cela. Si je pense bien, la raison nous est commune, et nous avons le même intérêt à l'écouter: pourquoi ne penseriezcomme moi?

vous pas

Je suis né pauvre et paysan, destiné par mon état à cultiver la terre; mais on crut plus beau que j'apprisse à gagner mon pain dans le métier de prêtre, et l'on trouva le moyen de me faire étudier. Assurément ni mes parents ni moi ne songions guère à chercher en cela ce qui étoit bon, véritable, utile, mais ce qu'il falloit savoir pour être ordonné. J'appris ce qu'on vouloit que j'apprisse, je dis ce qu'on vouloit que je disse, je m'engageai comme on voulut, et je fus fait prêtre. Mais je ne tardai pas à sentir qu'en m'obligeant de n'être pas homme j'avois promis plus que je

ne pouvois tenir.

On nous dit que la conscience est l'ouvrage des préjugés; cependant je sais par mon expérience qu'elle s'obstine à suivre l'ordre de la nature contre toutes les lois des hommes. On a beau nous défendre ceci ou cela, le remords nous reproche toujours foiblement ce que nous permet la nature bien ordonnée, à plus forte raison ce qu'elle nous prescrit. O bon jeune homme, elle n'a rien dit encore à vos sens : vivez long-temps dans l'état heureux où sa voix est celle de l'innocence. Souvenez-vous qu'on l'offense encore plus quand on la prévient que quand on la combat; il faut commencer par apprendre à résister pour savoir quand on peut céder sans crime.

Dès ma jeunesse j'ai respecté le mariage comme la première et la plus sainte institution de la nature.

M'étant ôté le droit de m'y soumettre, je résolus de ne le point profaner; car, malgré mes classes et mes études, ayant toujours mené une vie uniforme et simple, j'avois conservé dans mon esprit toute la clarté des lumières primitives: les maximes du monde ne les avoient point obscurcies, et ma pauvreté m'éloignoit des tentations qui dictent les sophismes du vice.

Cette résolution fut précisément ce qui me perdit; mon respect pour le lit d'autrui laissa mes fautes à découvert. Il fallut expier le scandale: arrêté, interdit, chassé, je fus bien plus la victime de mes scrupules que de mon incontinence; et j'eus lieu de comprendre, aux reproches dont ma disgrace fut accompagnée, qu'il ne faut souvent qu'aggraver la faute pour échapper au châtiment.

Peu d'expériences pareilles mènent loin un esprit qui réfléchit. Voyant par de tristes observations renverser les idées que j'avois du juste, de l'honnête, et de tous les devoirs de l'homme, je perdois chaque jour quelqu'une des opinions que j'avois reçues : celles qui me restoient ne suffisant plus pour faire ensemble un corps qui put se soutenir par lui-même, je sentis peu-à-peu s'obscurcir dans mon esprit l'évidence des principes; et, réduit enfin à ne savoir plus que penser, je parvins au même point où vous êtes; avec cette différence, que mon incrédulité, fruit tardif d'un âge plus mûr, s'étoit formée avec plus de peine, et devoit être plus difficile à détruire.

J'étois dans ces dispositions d'incertitude et de doute que Descartes exige pour la recherche de la vérité. Cet état est peu fait pour durer, il est inquié

tant et pénible; il n'y a que l'intérêt du vice ou la paresse de l'ame qui nous y laisse. Je n'avois point le cœur assez corrompu pour m'y plaire; et rien ne conserve mieux l'habitude de réfléchir que d'être plus content de soi que de sa fortune.

Je méditois donc sur le triste sort des mortels flottants sur cette mer des opinions humaines, sans gouvernail, sans boussole, et livrés à leurs passions orageuses, sans autre guide qu'un pilote inexpérimenté qui méconnoît sa route, et qui ne sait ni d'où il vient ni où il va. Je me disois, J'aime la vérité, je la cherche, et je ne puis la reconnoître; qu'on me la montre, et j'y demeure attaché: pourquoi faut-il qu'elle se dérobe à l'empressement d'un cœur fait pour l'adorer?

Quoique j'aie souvent éprouvé de plus grands maux, je n'ai jamais mené une vie aussi constamment désagréable que dans ces temps de trouble et d'anxiétés, où, sans cesse errant de doute en doute, je ne rapportois de mes longues méditations qu'incertitude, obscurité, contradictions sur la cause de mon être et sur la règle de mes devoirs.

Comment peut-on être sceptique par système et de bonne foi? je ne saurois le comprendre. Ces philosophes, ou n'existent pas, ou sont les plus malheureux des hommes. Le doute sur les choses qu'il nous importe de connoître est un état trop violent pour l'esprit humain : il n'y résiste pas long-temps; il se décide malgré lui de manière ou d'autre, et il aime mieux se tromper que ne rien croire.

Ce qui redoubloit mon embarras, étoit qu'étant né dans une Église qui décide tout, qui ne permet aucun

« PreviousContinue »