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JOURNAL

D'UN

BOURGEOIS DE VALENCE

2 janvier 1789.

Nous avons appris avec la plus vive satisfaction que notre compatriote M. Marcelin-René Berenger, procureur du roi en l'élection de Valence, a été élu ce matin député aux États généraux par l'assemblée de Romans.

23 mars 1789.

Le blé est rare et cher par suite de la mauvaise récolte de l'an dernier, et le rigoureux hiver que nous venons de subir a empêché les arrivages. Aussi, notre marché est à peine approvisionné. La population pauvre, qui ne récolte rien, qui vit au jour le jour, commence à murmurer et à se plaindre. Aujourd'hui ses murmures ont été assez vifs pour que MM. les Échevins aient cru devoir se transporter sur la place de La Pierre, pour raisonner la foule et empêcher la fermentation des esprits.

26 mars 1789.

L'inquiétude est toujours grande au sujet des approvisionnements. Aujourd'hui la foule ne s'est pas bornée à des murmures et à des plaintes; il y a eu une véritable émeute. Les plus ardents ne

parlaient de rien moins, dit-on, que de pendre le sieur Jean Viret, marchand de grains, au pilori de la place de la Pierre. On l'accuse d'en faire hausser les prix par ses accaparements. La municipalité a nommé des commissaires pour vérifier quelles quantités de blé il peut y avoir chez les marchands et les boulangers.

28 mars 1789.

La Municipalité vote des remerciements à M. le baron de Naillac qui avait offert de se charger de l'approvisionnement de la ville jusqu'à la récolte prochaine. Elle a préféré consulter le sieur Viret et s'entendre avec lui sur les mesures à prendre dans les circonstances actuelles. Quoi qu'en dise la foule, c'est un homme dont le zèle patriotique ne saurait être mis en doute. Elle a arrêté aussi que les commissaires nommés dans la séance du 26 ne se borne. ront pas à visiter les boulangers et les marchands, qu'ils iront chez les particuliers, tant de la ville que des environs, pour voir quelles quantités de blé ils possèdent. Enfin, M. de Bouchard, commandant de la place et de la citadelle, sera prié de prêter main-forte si les troubles de ces jours derniers se renouvellent.

29 mars 1789.

La Municipalité a pris un parti qui peut rendre de grands services. Elle a arrêté que, dès demain, elle ouvrait un magasin communal pour recevoir le blé qu'elle achèterait, ou qu'on lui prêterait. Les citoyens pourront y venir tous les jours s'y approvisionner, sous la surveillance de deux commissaires.

5 avril 1789.

Les commissaires nommés le 28 mars dernier ont établi l'état des grains que contiennent les différents greniers du sieur Viret. La ville les prend à son compte et ils seront transportés dans le magasin communal pour être vendus aux citoyens.

Il est mis sur le bureau du conseil une requête adressée au parlement pour demander l'homologation d'une délibération du 25 novembre 1788, tendant à autoriser la ville à emprunter 3,000 livres. Cette somme est destinée à payer 1,000 livres au sieur Valery qui a fait la nouvelle horloge de Saint-Jean, et 2,000 livres pour les matelas et les couvertures des casernes.

9 avril 1789.

Ce matin, à onze heures, MM. Barbier, consul du Bourg, Blachette, Charlon et Berger, conseillers de la ville, ont été gravement insultés par le nommé Seyve, boulanger, pendant qu'ils distribuaient au public le blé du magasin communal. La Municipalité, prenant fait et cause pour ses agents, a porté plainte au jugemage.

3 mai 1789.

La Municipalité approuve la rédaction du cahier des plaintes et des vœux à soumettre aux États généraux; il s'y trouve des questions d'intérêt général et d'autres particulières à la ville. En raison de l'importance historique de ce document. je le reproduis textuellement.

OBJETS GÉNÉRAUX.

I. Le renvoi de toutes les fêtes au dimanche.

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2. La résidence des gros bénéficiers dans leurs bénéfices, sous peine de perdre leurs revenus pendant leur absence, au profit des hôpitaux des lieux. Les municipalités chargées de veiller à l'exécution de la loi.

3. L'établissement d'un conseil ecclésiastique pour aider Sa Majesté dans le choix des personnes à nommer aux bénéfices consistoriaux.

4. Les bénéfices à charge d'âmes donnés au concours.

5. Que les canonicats soient, à l'avenir, la récompense des curés vieux ou infirmes, et la récompense de leurs services.

6. Suppression de toutes bulles, annates, dispenses et provisions qui se paient en cour de Rome, autant qu'elle pourra s'accorder avec une sage politique. Les dispenses données gratis par les ordinaires.

Suppression de la dîme ecclésiastique.

8. Suppression du casuel des curés et vicaires, et qu'il soit pourvu à leur entretien d'une manière convenable.

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9. La vente des biens ecclésiastiques à concurrence des dettes du clergé.

-

10. Que les derniers règlements du Conseil, qui fixent à dix le nombre des religieux pour former la conventualité, soient exécutés, et qu'en conséquence les maisons qui seraient supprimées soient destinées, ainsi que leurs biens, à des établissements utiles.

II. Que tout citoyen puisse parvenir par son mérite à tous

emplois, charges et dignités, et que l'édit de 1750. concernant la noblesse militaire, soit exécuté comme une loi de l'État.

12. Que désormais la noblesse ne soit que la récompense du mérite et des devoirs rendus à la patrie.

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13. Que la Constitution militaire soit fixée d'une manière invariable.

14. Que les troupes soient employées pendant la paix aux travaux publics, avec supplément de paie.

15. — Que les droits du fisc nuisibles au commerce et à l'industrie soient supprimés.

16. Suppression du tirage de la milice et qu'il soit suppléé par une imposition sur les trois ordres, ainsi que la province l'a obtenu pour la corvée.

17. Que les droits de contrôle des actes soient réduits.

18.

Que la connaissance des contestations relatives à la perception de tous les droits du fisc soit rendue aux juges royaux. Le rachat des rentes, cens et lods.

19.

20.

La construction des casernes des villes; que leur entretien, le logement des gens de guerre, celui surtout des officiers en garnison, tous objets extrêmement onéreux pour les municipalités et la classe indigente du peuple, soient, à l'avenir, supportés par chaque province et imposés sur les trois ordres.

21.

Que la vénalité des charges de judicature soit supprimée. 22. La suppression des justices seigneuriales.

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23. Qu'il soit pourvu à un plan d'éducation publique et nationale tendant à l'amélioration des études dans les universités. 24. Que toutes exemptions pécuniaires relatives aux droits, revenus et charges des communautés, soit à titre d'office ou de dignité, soient supprimées.

25. Suppression des émoluments payés par les villes à tous commandants et officiers des États-Majors de place.

OBJETS PARTICULIERS A LA VILLE DE VALENCE.

I. Que la ville de Valence soit rétablie dans le droit, qu'elle a exercé de toute ancienneté, d'élire librement ses officiers municipaux; qu'en conséquence l'art. IV de la déclaration du roi, du 12 mai 1766, interprétative de l'édit du même mois, qui attribue à l'évêque la nomination du maire et de quelques autres officiers, soit révoqué et annulé, comme ayant été rendu sans que la ville ait été entendue, et comme contraire aux droits imprescriptibles des citoyens.

2.

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Que la police de la voirie dans l'intérieur de la ville, exercée par le juge de l'évêque, soit rendue à la municipalité et qu'il soit établi une juridiction consulaire.

3. Que le Présidial jouisse des mêmes attributions que les autres présidiaux du royaume, et qu'il soit attribué un territoire à la Sénéchaussée.

4. 5.

Qu'il soit donné un territoire à l'Université.

Que plusieurs couvents de la ville qui ne sont desservis aujourd'hui que par un petit nombre de religieux, et qui occupent un terrain considérable, soient supprimés et leurs maisons accordées à la ville pour ses besoins.

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Que l'imposition de 10 sous par livre, au profit du fisc, sur les octrois et revenus patrimoniaux de la ville, soit supprimée. 7. La ville de Valence, située sur le Rhône, est dans le cas d'insister particulièrement sur la suppression des traites et de la foraine, comme lui étant plus préjudiciable qu'à toute autre ville de la province, en ce qu'elles gênent son industrie et sa subsistance. Ne serait-il pas possible de lui obtenir une exemption et franchise de tous droits pendant la tenue de ses foires?

8. Qu'il soit construit incessamment un nouveau corps de caserne pour l'entier logement de la garnison.

9. Qu'il soit représenté qu'il importe à la navigation que le quai commencé sur la rive gauche du Rhône soit continué avec beaucoup plus de célérité.

10.

La ville a un pressant besoin d'établir une juste balance entre ses revenus et ses dépenses. Comme les opérations des États généraux peuvent lui être favorables, elle attendra qu'elles soient terminées pour s'occuper de cet objet, ainsi que de plusieurs autres importants.

17 mai 1789.

La Municipalité arrête qu'il sera adressé de très humbles représentations à la Commission intermédiaire sur la manière dont est répartie l'imposition des travaux publics en remplacement de la corvée, qui épargne les négociants, les capitalistes et les propriétaires de cens et de dimes, pour frapper la classe indigente des laboureurs, et l'agriculture en général. Cela porte un préjudice considérable à la valeur des fonds qui ne sont déjà que trop surchargés. En outre, la misère qui a régné toute l'année « et qui << s'annonce encore d'une manière triste et affreuse par le mauvais a état des récoltes, rend la perception de cet impôt presque impra

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