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M. Dumas, mais encore parce qu'elles peuvent fournir à tous ceux qui, soit en France, soit à l'étranger, cherchent à se rendre compte de l'état de l'enseignement scientifique secondaire dans notre Université, des idées exactes et de précieux renseignements. C'est à ce titre que nous devions signaler ces observations à l'attention de nos lecteurs.

SCIENCES MORALES ET POLITIQUES.

HISTOIRE CRITIQUE DU RATIONALISME EN ALLEMAGNE, depuis son origine jusqu'à nos jours; par Amand SAINTES. Deuxième édition. Paris, Brockaus, etc.; Hambourg, Hérold.

Le but que se propose l'auteur de ce livre est tout entier exprimé dans l'épigraphe suivante, qu'il a empruntée aux Pensées de Pascal, article VI: « La dernière démarche de la raison, c'est de connaître qu'il y a une infinité de choses qui la surpassent. Elle est bien faible, si elle ne va jusque-là. Il faut savoir douter où il faut, assurer où il faut, se soumettre où il faut. Qui ne fait ainsi, n'entend pas la force de la raison. >>

Les mots qui précèdent peignent bien cette sorte de choix dans les croyances chrétiennes, de mesure dans les recherches et dans la critique, de prudence et de réserve dans les interprétations que M. Amand Saintes désire voir présider à tous les travaux d'exégèse dont les livres saints et la religion sont l'objet. Frappé de l'état de dissolution des croyances dogmatiques de la réforme, il voudrait persuader à ses coréligionnaires de reconstruire une unité depuis longtemps brisée, et de chercher, dans des croyances moins variables, un abri pour la piété, troublée dans sa plus précieuse condition, dans la paix dont elle a besoin pour se maintenir et se fortifier, par ces questions d'origine, de concordance, de pureté ou d'altération des textes, sans cesse agitées, jamais résolues; par ces tentatives d'interprétation toujours nouvelles, et le plus souvent contradictoires, qui forment les éléments si divers de l'histoire qu'il a écrite.

L'auteur échappera difficilement, de la part des siens, au reproche

de retour au catholicisme, reproche si légèrement adressé aux esprits modérés, par tous ceux qui se laissent diriger dans leurs jugements par les passions des partis, plus que par une sage réflexion. Nous ne nous rendrons pas coupables de cette injustice. Nous ne pensons pas qu'on ne puisse sortir de l'extrême anarchie que par l'extrême despotisme; et si nous voyons de grands obstacles à la satisfaction du désir de M. Saintes, nous ne chercherons pas la solution du problème dans des conditions contradictoires avec l'esprit général de la réforme, nous ne demanderons pas à la mort la guérison du malade et le terme de la maladie. Aussi bien trouvons-nous que, des deux côtés, on arrive au même résultat, quoique par des voies différentes. Si la multitude des interprétations diverses ou même contraires produit l'indifférence chez les protestants, en faisant naître le doute et en l'entretenant, le même effet se produit chez les catholiques, qui, forcés de s'en tenir à la lettre par l'autorité de l'église, ne portent qu'un faible intérêt à des croyances qui ne leur demandent qu'une simple affirmation orale, et enlèvent à leur esprit tout moyen et tout motif d'embrasser le dogme avec amour, en condamnant l'ardeur de connaître, et interdisant l'étude destinée à la satisfaire.

Entre ces deux exagérations contraires, qui l'une et l'autre cependant produisent les mêmes effets, nous croyons avoir saisi la pensée de l'auteur, et nous allons tâcher de l'exprimer à notre manière.

il

Nous concevons qu'un homme se dise : « J'ai confiance à l'Évangile, les paroles que j'y trouve me soutiennent, m'encouragent dans la pratique du bien; le ton de religieuse confiance qui y respire est en harmonie avec mes sentiments particuliers, il les développe et les purifie. Peut-être l'authenticité du livre peut-elle donner lieu à de vastes recherches; le texte peut-être ne nous est-il pas parvenu dans sa pureté première en partie traduit de sources perdues depuis longtemps, se pourrait qu'il ne reproduisît pas toujours et partout les simples et purs enseignements du Sauveur. Quelques faits peuvent ne pas s'accorder les uns avec les autres; la raison aussi, sans mériter le reproche d'orgueil, ne se rend pas facilement et tout d'abord à la réalité de quelque miracle, à l'intelligence de quelque mystère..... Je reconnais que ces observations sont justes, fondées, respectables; mais j'ai peu de disposition pour les questions curieuses; j'aime mieux conserver la paix dont je jouis, que de perdre mes efforts dans des recherches dont le moindre inconvénient serait de ne pas accroître ma piété, de ne pas fortifier ma confiance.

Nous admettons cet état d'âme, et nous dirons même que nous le préférons à cette inquiétude de l'esprit, qui, sous prétexte d'éclairer sa croyance, accumule doute sur doute, difficulté sur difficulté, et n'est pas parvenu à en résoudre une, que mille autres se réveillent, le condamnent à un labeur toujours nouveau, à une incertitude sans cesse renaissante, à une étude dont il ne retire d'autre fruit que l'honneur d'avoir reconnu le scepticisme à sa source la plus élevée.

C'est bien là, nous le supposons du moins, la disposition de cœur et

d'esprit que M. Amand Saintes désire dans les fidèles qu'il voudrait unir; là se trouve la condition première, indispensable à la réunion des esprits, sinon dans un même symbole, ce qu'il est toujours téméraire d'espérer, du moins dans des directions assez analogues pour que les nuances ne deviennent pas des contradictions, les différences, des hostilités.

Avec des éléments si bien préparés, on arriverait, nous n'en doutons pas, au but désiré par l'auteur. Mais ces éléments sont-ils assez nombreux pour exercer une influence décisive sur le mouvement des idées religieuses chrétiennes chez les réformés? Ne sont-ils pas, au contraire, très-rares parmi les hommes, si rares qu'ils forment partout une véritable exception ? N'y en a-t-il pas d'autres, en bien plus grand nombre, plus puissants, plus naturels aux esprits, plus familiers avec les passions, dont il faut tenir compte, qui expliquent cette propriété dissolvante du libre examen, et ses conséquences visibles sur lesquelles gémissent un grand nombre de protestants éclairés ?

Il nous semble que, même en déplorant un pareil état de choses, il faut néanmoins accepter et la nature et les droits de l'intelligence. Un livre est donné comme base d'une croyance religieuse; de quelque respect qu'on l'environne, ce livre n'en est pas moins un livre : il sort des presses d'un imprimeur, et dès lors, il est permis à chacun de se demander à quelle origine il appartient. Chacun a le droit de remonter, d'édition en édition, jusqu'aux copies manuscrites, et de celles-ci jusqu'aux manuscrits les plus anciennement connus, aux traductions, aux textes originaux. Ces recherches mêmes se concilient parfaitement avec le respect que l'on porte à l'écrit que l'on environne de tant d'études et de travaux. Il est naturel au croyant de chercher à fortifier par les arguments d'une critique éclairée le sentiment de sympathie qu'il éprouve à la lecture de l'Évangile, et de justifier la confiance que ce livre lui inspire par les conclusions les plus rigoureuses de la raison et de la science. De là l'importance de la critique historique, bibliographique, philologique, appliquée aux livres saints, travail inévitable, car il se trouvera toujours quelque esprit curieux pour le faire, mais aussi travail dont on ne peut pas plus limiter l'étendue et circonscrire la portée, qu'on ne peut limiter la diversité des esprits, des caractères et des passions.

Mais l'Évangile n'est pas seulement un texte dont on peut être tenté de faire l'histoire, de rechercher l'authenticité, de constater les véritables conditions philologiques, c'est encore un livre qui propose à notre croyance certains faits, certains principes de l'ensemble desquels il faut dégager des dogmes qui puissent former le symbole arrêté d'une communion et d'une église. Qui ne voit immédiatement quels sujets de controverse en vont sortir, nombreux, difficiles, délicats, mais inévitables? Qui ne voit que la philosophie interviendra pour se rendre compte du dogme, l'histoire pour vérifier les faits racontés, la physique même pour expliquer, ou plus souvent pour contester la vérité de certains actes, que leur caractère miraculeux rend

dès l'abord suspects aux hommes peu confiants ou peu crédules? Et cependant, lequel blâmer de tous ces esprits inquiets, curieux, laborieux ? Quel travail condamner de tous ces travaux, dont chacun a le droit de revendiquer pour lui le mobile d'une intention droite et d'une conscience irréprochable ? Les uns affirment, les autres nient; les uns expliquent par l'allégorie et le mythe ce que les autres interprètent par la présence de connaissances physiques supérieures à celles des contemporains; chacun s'ingénie à trouver une explication qui lui permette, en admettant les faits, de leur donner une physionomie qu'il ne répugne pas à sa raison d'accepter..... Qu'on pense, si l'on veut, qu'il peut bien y avoir de l'excès dans cette répugnance à admettre des faits extraordinaires, miraculeux; mais cette répugnance n'est-elle pas naturelle à l'homme? La prudence même ne la lui commande-t-elle pas le plus souvent ? N'est-il pas bon qu'il soit en garde contre les récits dont la superstition n'est que trop prodigue? Et la réforme n'a-t-elle pas mille fois reproché au sacerdoce catholique ses récits incessants de miracles, dont la déplorable habitude n'est pas même suspendue de nos jours?

Nous savons bien que l'on reproduira, à l'appui des opinions réservées et respectueuses, l'épigraphe placée en tête du livre, et que nous avons rapportée. Nous savons que l'on nous dira: Après tout, la raison s'arrête et confesse son impuissance devant bien des mystères que lui présente la nature; pourquoi ne se soumettrait-elle pas de même devant des mystères que l'on doit bien plus encore s'attendre à rencontrer dans l'ordre des principes religieux ?.... Telle n'est pas, selon nous, la manière de poser cette question, et l'on nous permettra sans doute l'observation suivante sur cette soumission si souvent demandée à la raison, et qui n'est ainsi réclamée que pour n'avoir pas approfondi, analysé une pareille prétention. La raison n'est pas maîtresse de se soumettre ou de refuser son acquiescement. Les causes de son consentement ou de son refus sont le plus souvent indépendantes d'elle, et beaucoup plus dans l'objet de la croyance que dans le sujet croyant. Sans doute on peut, on doit croire, et l'on croit souvent des faits desquels on ignore comment ils sont produits; on croit à la végétation, quoique la science soit incertaine encore, et n'ait présenté sur ce sujet, jusqu'à présent, aucun système complet et satisfaisant; par la même raison, on peut croire à un miracle sans connaître le secret de la force surhumaine qui l'a opéré... ; mais faut-il du moins que le fait soit solidement démontré, et que la preuve surabonde là où l'extraordinaire a fait naître involontairement la méfiance! Quant aux principes dogmatiques, on ne croit jamais que dans la mesure où l'on comprend, et la raison en est que le corps de la croyance est l'intelligence même du dogme; il ne saurait y en avoir d'autres. Un homme peut affirmer l'incarnation, il peut même assurer qu'il y croit... ; il n'y croit cependant qu'autant qu'il s'en rend compte, parce que cette mesure dans laquelle il s'en forme une idée, et cette idée elle-même, tombent sous l'intelligence, quelle qu'elle soit, et que l'on ne croit

qu'à des idées, non à des mots. Cet homme ne soumet donc pas sa raison; il acquiesce, au contraire, à ce qu'elle lui enseigne ou lui fait comprendre sur un sujet donné, et il aurait beau faire, il ne croirait pas, si sa raison ne l'éclairait en rien sur l'objet proposé à sa foi; il pourrait bien dire qu'il croit, articuler des formules, répéter des mots... en réalité il ne croirait pas. Il n'y a pas un homme qui ne sache qu'une infinité de choses surpassent sa raison, et qui ne s'empresse d'en convenir. L'intelligence humaine est beaucoup plus modeste qu'on n'aime à le supposer, et ce que conseille Pascal, dans la pensée qui sert d'épigraphe au livre de M. Saintes, se fait tous les jours naturellement, universellement.

Le libre examen n'est point une doctrine, c'est un fait ; et si la réforme, à laquelle Luther donna la première impulsion, a contribué, à l'insu de son fondateur, à le développer en opposition avec la puissance la plus hostile, pendant le moyen âge, au libre essor de la pensée, elle n'en est pas cependant la source unique et exclusive. Il a sa racine dans l'esprit humain, il est l'esprit humain lui-même rendu à la liberté naturelle de ses tendances et de ses mouvements. Son but, sa destination providentielle est de sonder les problèmes que la nature présente à l'homme, ceux qu'il offre lui-même à sa propre réflexion, et non de s'élever, du moins immédiatement, à une unité prématurée de doctrine. Que plus tard, qu'à la suite de travaux multipliés de l'intelligence, les questions épuisées, si toutefois elles le sont un jour, les recherches closes permettent à l'esprit humain de reconstruire l'unité désirable de ses croyances... cela est possible; mais il ne nous est point donné de connaître à l'avance la marche et l'époque d'une semblable révolution ; et il est sage de ne pas mettre son espoir, ou seulement ses vœux, dans un résultat qui ne semble pas prochain. Avant tout, il ne faut pas oublier que plus une croyance religieuse est sincère, plus elle est marquée d'individualité, plus elle réfléchit le caractère particulier de celui qui s'y attache. Il n'y aura donc à l'avenir d'unité religieuse possible qu'à la condition de laisser une juste liberté au jeu intime de la croyance individuelle, et ce problème ne nous paraît pas près d'être résolu. Il n'y a d'ailleurs qu'un seul moyen d'atteindre ce résultat : c'est que les recherches scientifiques y amènent légitimement, naturellement. Convenir que l'on acceptera telle solution sans la considérer de trop près, qu'on laissera de côté telle question difficile qui troublerait une paix désirable, c'est agir peut-être avec prudence, mais c'est écarter la science, et lui fermer l'entrée du sanctuaire. Or, l'esprit humain une fois en possession de lui-même, ne se prêtera jamais à ce compromis. Aussi, tout en sympathisant avec les vœux de M. Amand Saintes, tout en admet- · tant un grand nombre de ses critiques de détail, nous ne regardons pas comme possible la réalisation prochaine à laquelle il exhorte les différentes communions qui partagent la réforme.

Son ouvrage n'en présente pas moins un très-vif intérêt. Le mouvement d'esprit, dont il raconte les phases successives, nous est à peu

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