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verain temporel, déclarée abolie en fait et en droit, et le peuple invité à se former en garde nationale, pour la défense de ses nouvelles libertés. Tout cela se fit sans l'effusion d'une seule goutte de sang, avec le plus grand ordre et le concours de tous les habitants, qui s'empressèrent d'arborer la cocarde tricolore italienne, bleue, blanche et verte.

Le succès de cette entreprise servit de signal à d'autres insurrections également heureuses dans toutes les légations, de Bologne à Ancône. Partout les soldats du pape, qui n'ont jamais été renommés pour leur valeur, se soumirent d'euxmêmes ou furent promptement désarmés. La garnison autrichienne de Ferrare elle-même se renferma dans la citadelle sans opposer aucun effort aux insurgés. Ils envoyèrent des forces contre Ancône et sa citadelle, qu'ils s'attendaient à voir résister, et qui capitulèrent toutes deux dès le premier moment. En quatre jours le pouvoir du pape avait cessé d'exister au nord de l'Apennin. Les insurgés franchirent cette ligne de montagnes avec l'intention de marcher sur Rome; ils poussèrent des détachements jusqu'à Otricoli. Mais le mouvement préparé dans la capitale ne réussit point, grâce à l'armement des classes inférieures qui sont dévouées au gouvernement pontifical, et la fortune qui ailleurs avait favorisé les insurgés leur manquant ici, ils n'allèrent pas plus loin.

L'exemple de Bologne, de Modène et de Reggio fut imité, le 10, à Parme. Une députation se rendit auprès de la duchesse, pour l'informer, en termes respectueux, qu'il était nécessaire qu'elle se retiràt, leur dessein étant d'entrer dans la grande fédération italienne et de repousser tout autre gouvernement. Déjà les voitures de S. A. et son escorte étaient prêtes, et comme elle n'avait pas la liberté du choix, elle se décida à partir pour Plaisance. Son départ fut suivi de la convocation d'un congrès civique composé de 90 membres, et de l'installation d'un gouvernement provisoire.

On s'attendait à des scènes semblables dans le royaume de Naples, dans la Toscane et dans le Piémont, car les insurgés

firent tous leurs efforts pour rendre la conflagration générale toutefois ces pays restèrent tranquilles.

Le seul ennemi redoutable de l'insurrection, c'était l'Autriche, et dans l'intention de paralyser ses forces disponibles contre eux, ou tout au moins de les affaiblir, les insurgés essayèrent aussi d'exciter la Lombardie à la révolte. Il partit de Bologne, qui était tacitement considérée comme le point central du mouvement révolutionnaire, une proclamation aux patriotes de la Lombardie pour les inviter à secouer le joug autrichien.

Concitoyens de la Lombardie, était-il dit dans cette proclamation, suivez l'exemple de la France, imitez les patriotes de l'Italie centrale; brisez les chaînes honteuses dont la sainte-alliance vous a chargés. Nous étions esclaves et misérables sous le despotisme des prêtres; mais nos oppresseurs étaient du moins Italiens. Vous êtes esclaves d'étrangers qui s'enrichissent de vos dépouilles, et qui chaque jour vous rendent plus malheureux. Le jour où vous vous lèverez contre eux, 40,000 de nos patriotes marcheront pour vous aider à écraser les Autrichiens. Ne tardez point; car il y a péril à hésiter. Déployez votre courage, concitoyens, et le despotisme fuira de nos belles contrées. Notre pays, notre liberté et notre indépendance nationale avant tout. »

L'Autriche n'avait pas besoin de pareilles provocations pour se déterminer à renverser un système dont l'établissement au sud du Pô était difficilement compatible avec l'existence de son propre pouvoir au nord de ce fleuve. N'ayant jamais regardé l'Italie comme à l'abri d'une tentative plus directe de la part de la France après la révolution de 1830, elle avait rassemblé près de 100,000 hommes en Lombardie. Ses moyens d'attaque étaient donc formidables. Le Saint-Père, la duchesse de Parme, le duc exilé de Modène, qui tous trois avaient hautement protesté contre les actes des gouvernements révolutionnaires établis dans leurs États, demandèrent le secours des armes impériales. D'un autre côté, la France avait déclaré qu'elle ne consentirait pas que les troupes autrichiennes intervinssent dans la querelle des princes et des peuples italiens. Le cabinet de Paris prétendit dans la suite que cela ne l'obligeait pas à prendre des mesures pour empêcher cette intervention. C'était cependant de cette manière seulement qu'avaient pu

l'entendre les libéraux d'Italie. Ils avaient évidemment compté qu'ils n'auraient pas les forces de l'Autriche devant eux, sans avoir derrière eux toute la puissance de la France. Mais le gouvernement français ne pouvait envoyer une armée en Italie que par le Piémont ou la Suisse; or, l'invasion de l'un de ces deux pays eût été une agression contre l'Europe entière.

Les négociations qui s'entamèrent à ce sujet entre la France et l'Autriche, paraissent avoir abouti à laisser cette dernière entrer dans les États troublés par l'insurrection pour l'étouffer, à condition qu'elle ne continuerait pas à les occuper. En conséquence, les troupes autrichiennes passèrent le Pô dans les premiers jours de mars. Une division marcha sur Parme et sur Modène, tandis que le baron Frimont se portait, à la tête d'environ 20,000 hommes, sur Bologne. Les insurgés modénais, après avoir essayé de résister le 5 à Novi, furent mis en pleine déroute. Ce n'est pas en moins d'un mois, et dans la confusion ordinaire d'une révolution nouvelle, qu'ils avaient pu organiser des forces capables de se mesurer avec celles qui venaient les attaquer. Les gouvernements de Parme et de Modène furent à l'instant rétablis. Le duc de Modène, en rentrant dans sa capitale au milieu des baïonnettes étrangères, s'empressa de faire chanter un Te Deum pour sa triste victoire. Peut-être eût-il mieux valu s'occuper de satisfaire les besoins de ses peuples et de reconquérir leur attachement. Loin de là, le duc déclara que, de tous ses devoirs de souverain, l'un des plus sacrés était de punir. Des commissions militaires furent instituées pour découvrir, pour juger les fauteurs de l'insurrection, et la réaction prit son cours. Entre les victimes qu'elle fit, aucunes n'inspirèrent plus de regrets que Menotti, qui était resté prisonnier pendant le succès éphémère de la conspiration, et son compagnon d'infortune, l'avocat Borella. Ils périrent tous deux par le supplice de la corde.

La duchesse de Parme fut mieux inspirée; elle accorda le pardon à tous ceux qui avaient fait partie du congrès civique qui établit le gouvernement provisoire. Elle se contenta de les

exclure pour trois ans des fonctions publiques. Deux des membres de ce gouvernement furent mis en jugement, acquittés et rendus à la liberté. Le motif qui décida leur absolution, c'est, a-t-on dit, que la duchesse ayant quitté ses États sans déléguer son pouvoir à une régence, le congrès civique avait dû nommer des autorités pour assurer le respect des lois c'était là un acte de nécessité, puisque, sans la formation d'un gouvernement provisoire, l'État eût été plongé dans une complète

anarchie.

Cependant il y eut à Bologne quelques démonstrations pour opposer la force à la force. Ici les insurgés étaient armés, plus nombreux, mieux organisés; ils comptaient parmi eux les esprits les plus ardents de l'Italie qui s'étaient rassemblés dans cette ville pour former une convention des députés de la grande fédération italienne projetée. Ils avaient quelques troupes à Ravenne et des détachements plus avancés vers le Pô. A l'approche de l'armée autrichienne, ils se retirèrent. Le gouvernement papal fut rétabli à Ferrare sans opposition. Les Autrichiens se remirent en marche sans rencontrer un seul ennemi; ils entrèrent à Bologne le 21 mars. Les députés s'étaient dispersés; ceux qui avaient des armes et ne les abandonnèrent pas, se dirigèrent sur la Romagne. Les Autrichiens les suivirent, et toutes les villes qui se trouvèrent sur leur route se rendirent l'une après l'autre. Toutefois il y eut à Rimini et à la Catholica des tentatives plus sérieuses de résistance, qui prouvèrent que les Italiens savaient aussi combattre, et payer la dette du sang à des convictions généreuses (1). Ils furent écrasés par des forces supérieures, et de toutes leurs conquêtes, Ancône leur resta bientôt seule.

Ainsi acculés dans un coin de l'Italie sans espoir d'échapper, environnés qu'ils furent bientôt de tous côtés par l'armée autrichienne, ils essayèrent de traiter avec le cardinal Benve

(1) Suivant les bulletins autrichiens, les Italiens laissèrent une foule de morts sur le champ de bataille et emmenèrent seize chariots de blessés,

nuto qui avait été enlevé de sa résidence à Osimo, au commen. cement de la révolte, et détenu comme otage à Ancône. En même temps ils publièrent un manifeste où perçait l'amertume qu'ils ressentaient de la conduite du gouvernement français.

« Un principe, disaient-ils, proclamé par une grande nation qui avait solennellement promis de ne pas permettre qu'il fût violé par aucune puissance européenne, et la déclaration de garantie donnée par un ministre de cette nation, nous ont déterminés à secender le mouvement du peuple dans ces provinces. Nous fîmes tous nos efforts pour remplir la tâche dif ficile de maintenir l'ordre au milieu de l'agitation d'une insurrection, et nous éprouvâmes un plaisir bien doux pour nos cœurs, en voyant la révolution s'accomplir avec toute la tranquillité d'un gouvernement constitutionnel et sans répandre une seule goutte de sang.

. Mais la violation de ce principe, consentie par la nation qui l'avait promulgué et garanti ; l'impossibilité de résister à une grande puissance, qui avait déjà occupé une partie de nos provinces avec ses troupes, et notre désir d'empêcher le désordre et une inutile effusion de sang, sont les motifs qui nous ont décidés, dans la vue du salut public, loi suprême de tout état, à traiter avec S. E. le très révérend cardinal Gian Antonio Benvenuto, légat à latere de S. S. Grégoire XVI, et à remettre entre ses mains le gouvernement de ces provinces; ce qui a été accepté aux couditions suivantes. »

Ces conditions étaient qu'aucun insurgé ne serait molesté dans sa personne ou dans ses propriétés pour sa conduite antérieure; que ceux qui voudraient quitter les États du pape auraient des passe-ports, s'ils les demandaient dans les quinze jours; que ceux qui étaient employés par le gouvernement avant la révolution ne seraient point lésés dans leurs droits pour s'être réunis aux insurgés, que tous les étrangers qui étaient entrés dans leurs rangs auraient la liberté de partir sans être inquiétés.

Le cardinal Benvenuto mit son nom au bas de ces conditions, et l'insurrection qui vingt-quatre heures plus tard eût accompli son destin d'une manière ou d'une autre, fut entièrement terminée dès ce moment. Le 29 mars, les troupes impériales occupèrent Ancône après que les principaux chefs de l'insurrection, au nombre de 98, se furent embarqués à bord d'un bâtiment de commerce; capturé au mépris de tous les

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