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980. Enfin, la troisième hypothèse est celle dans laquelle le mal constitutif du délit que l'agent avait en vue de produire n'a pas été réalisé. Cette hypothèse nous conduit à l'examen du problème pénal de la tentative, qui demande une étude à part.

CHAPITRE IV.

DE LA TENTATIVE ET DE L'ATTENTAT.

§ 1. De la tentative.

10 Suivant la science rationnelle.

981. Le délit fort souvent est le résultat d'une volonté spontanée, exécutée aussitôt que formée; mais plus souvent encore l'agent, avant de l'accomplir, suit une progression d'actes successifs qu'il importe d'examiner.

313, chefs ou provocateurs de réunions séditieuses avec rébellion ou pillage: peine plus ou moins forte, suivant les crimes ou délits qui auront pu être commis dans la réunion par autres que par eux. Art. 316, crime de castration travaux forcés à perpétuité ou peine de mort, suivant qu'il en est résulté ou non la mort, et que cette mort a eu lieu dans les quarante jours ou après. Art. 317, administration volontaire de substances nuisibles à la santé, mais non mortelles peine correctionnelle ou peine criminelle, suivant qu'il en est résulté ou non une maladie ou incapacité de travail de plus de vingt jours. Art. 319 et 320, maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des règlements, ayant occasionné homicide, blessures ou coups involontaires: peine correctionnelle plus ou moins élevée, suivant qu'il y a eu mort ou non; pas de peine fort souvent s'il n'en est résulté aucun malheur. - Art. 349, 350, 351, délaissement en un lieu solitaire d'un enfant au-dessous de sept ans accomplis peine correctionnelle ou peine criminelle plus ou moins fortes, suivant le résultat préjudiciable qui en est advenu à l'enfant. Art. 382, 385, vol à l'aide de violences: peine plus ou moins forte, suivant que la violence a laissé ou non des traces de blessures ou de contusions. Art. 430, 431, fournisseurs ayant fait manquer le service dont ils sont chargés outre la peine corporelle, amende dont le maximum est calculé sur le quart des dommages intérêts. Art. 434, 435, 437, incendie ou destruction par l'effet d'une mine ou autrement de certains objets peine capitale ou non capitale, suivant qu'il en est résulté ou non la mort de quelqu'un se trouvant dans les lieux. Art. 458, actes d'imprudence ou de négligence ayant occa sionné un incendie involontaire pas de peine le plus souvent s'il n'en est rien résulté -Art. 460, 461, fait d'avoir, au mépris des défenses de l'administration, laissé communiquer avec d'autres ses animaux ou bestiaux infectés de maladie contagieuse : peine correctionnelle plus ou moins forte, suivant qu'il en est résulté ou non contagion parmi les autres animaux. Loi du 3 mars 1822, sur la police sanitaire, art. 8 et 10 peines criminelles plus ou moins fortes, quelquefois même peine de mort contre certaines violations de cette loi, suivant qu'il en est résulté ou non invasion pestilentielle. Loi du 15 juillet 1845, sur les chemins de fer, art. 16, dérangement volon taire de la voie de fer ou obstacle volontairement posé : réclusion, travaux forcés à temps ou peine de mort, suivant qu'il en est résulté ou non des blessures ou un homicide; art. 20, maladresse, imprudence ou inobservation des règlements : peine correctionnelle plus ou moins forte, suivant qu'il en est résulté des blessures ou morts.

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Une première série de ces actes se passe toute dans le mystère de l'activité psychologique de l'homme : la pensée traverse l'esprit, elle s'aiguillonne en désir, le désir se fixe en projet, le projet devient une résolution arrêtée : ce sont les actes internes.

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Une seconde série appartient à l'activité extérieure. La résolution arrêtée, quoiqu'elle se cache le plus souvent, peut néanmoins se manifester au dehors, en paroles, en écrits, par menaces, par confidences et communications, surtout lorsque l'agent cherche des complices; elle peut même avoir été arrêtée après délibération et par concert entre plusieurs, ce qui la fait passer dans les actes extérieurs. Le projet résolu, l'agent prend ses mesures pour l'exécution: il examine les lieux et les personnes, il cherche et obtient les renseignements, il se procure, il dispose les instruments et les moyens, il se transporte sur les lieux, il est prêt à exécuter: ce sont les actes préparatoires. L'agent passe aux actes d'exécution, c'est-à-dire qu'il se met à l'œuvre du délit, qu'il emploie son activité à produire le mal du délit; mais dans cette exécution elle-même combien de nuances, soit qu'elle se résume en un seul acte, destiné par sa nature et par ses effets ordinaires à amener à lui seul le résultat, soit qu'elle exige des opérations multiples, que l'agent y insiste, s'y emploie en efforts redoublés et consacre une nouvelle succession d'actes à l'achever!

982. Après le dernier acte d'exécution, le rôle de l'agent, quant à la production du délit, est terminé; mais quel va être l'effet de ses actes; quelles lésions de droits, quel préjudice en vat-il résulter? Il s'ouvre là une troisième série de faits qui ne se réfère plus à l'exercice même de l'activité de l'agent, mais qui se rapporte aux conséquences de cette activité, et qui conduit jusqu'à la consommation du délit, c'est-à-dire jusqu'à la réalisation du mal qui en était le but final.

983. Or, dans cette gradation, dans cette succession possible des faits, jusqu'à quel point l'agent est-il allé? jusqu'à quel point l'effet préjudiciable a-t-il été produit? et quelle doit être la loi pénale pour chaque terme distinct de la progression? telles sont les questions qui s'élèvent pour le criminaliste.

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984. Quand le mal qui constitue la fin du délit, mal qui doit être indiqué par conséquent dans la définition mème du délit, été produit, par exemple la mort dans l'homicide, la soustraction frauduleuse de la chose d'autrui dans le vol, on dit que le délit est consommé. C'est là incontestablement le délit complet, le délit défini par la loi pénale, celui contre lequel la peine est édictée, en quelque sorte le type du délit. Les autres termes, qui s'en approchent plus ou moins mais sans l'atteindre, n'en sont incontestablement, en fait, que des diminutifs. Il s'agit de savoir comment ils devront être traités en droit.

985. Les actes internes, fussent-ils avoués, et la preuve n'er peut être saisie autrement que par un aveu, par une confidenc

quelconque, par le propre témoignage écrit ou non écrit de la personne en qui ils se sont passés, puisque c'est dans le for intérieur que ces actes ont lieu, les actes internes, que cette personne ait renoncé à y donner suite par une répudiation morale de ses mauvaises pensées, ou parce qu'elle a vu quelque obstacle s'élever, ou parce que l'occasion ne s'est pas présentée, ne sauraient en aucun cas tomber sous le coup de la pénalité humaine (ci-dess., no 570): c'est d'une autre justice qu'ils relèvent; nous n'avons plus à y

revenir.

986. La menace, l'association et le concert par suite desquels la résolution a été arrêtée entre plusieurs, peuvent, en certains cas, présenter par eux-mêmes, surtout lorsqu'ils se réfèrent à des crimes graves, des caractères assez immoraux et assez nuisibles pour constituer un délit, nous l'avons déjà dit (ci-dess., no 799 et suiv.); mais c'est alors un délit spécial, un délit distinct de celui annoncé par la menace ou dont la résolution a été concertée et arrêtée entre plusieurs, et bien inférieur. Trop d'intervalle sépare encore le projet, même résolu, même annoncé au dehors, même arrêté entre plusieurs, de la réalisation, pour qu'il puisse y avoir, en science rationnelle, le moindre doute à cet égard : quelle que soit encore la cause qui ait fait que l'agent ou les agents se soient arrêtés à ce point. La menace est plus particulièrement encore sous ce rapport dans une classe à part; car c'est moins à cause de la résolution qu'elle annonce, laquelle peut ne pas être sérieuse, qu'à cause de l'alarme, de l'intimidation qu'elle produit, de l'outrage qu'elle contient et du but coupable dans lequel elle est faite, que le législateur est autorisé à l'incriminer (ci-dess., no 802).

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987. Lorsque l'agent en est venu aux actes préparatoires, un pas de plus est fait vers le délit, mais le délit n'est pas encore commencé. Que l'agent soit, par une cause quelconque, arrêté à ce point, on aura toujours à se demander, sous le rapport de sa culpabilité intentionnelle, s'il aurait persisté ou non dans sa résolution, s'il aurait usé des moyens par lui disposés ou s'il ne les aurait pas abandonnés; et dans tous les cas, ce qui est certain, en fait, c'est qu'il n'en a pas usé. Cependant il peut arriver deux choses: ou que les actes préparatoires se réfèrent à un crime tellement grave et dangereux pour la société que le législateur soit autorisé à les punir en leur qualité d'actes préparatoires, à raison même du crime dont ils étaient et dont il faudra prouver qu'ils étaient la préparation, comme acheminement vers ce crime; mais ce devra être, à coup sûr, d'une peine bien inférieure à celle du crime lui-même. Ou bien il pourra arriver encore que ces actes accomplis comme préparatifs d'une action coupable constituent par eux-mêmes, indépendamment du délit auquel ils se réfèrent, un autre délit prévu et pénalement réprimé par la loi : comme si, par exemple, pour se préparer à commettre un assassinat quelqu'un volait un fusil au voisin, fabriquait de la poudre en contravention

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avec les lois sur cette fabrication, ou s'armait d'un poignard en contravention avec les lois sur les armes prohibées. Ces préparatifs formeront alors un délit punissable en lui-même, sans qu'il soit même nécessaire de prouver le but criminel dans lequel ils étaient faits. Dans l'un et dans l'autre cas, l'acte préparatoire n'est pas même le commencement du crime dont il est la préparation; préparation et commencement sont deux choses distinctes.

988. Du moment que l'agent en est venu aux actes d'exécution, cet agent est entré dans le délit même défini par la loi; on peut dire que ce délit est commencé.

989. Ici se présente une expression rendue technique en droit pénal, dont il importe de bien déterminer le sens, celle de tentative. - Il y a entre ces deux termes intention et tentative une corrélation d'idées que nous croyons utile de faire remarquer. L'intention (de tendere in) est le fait psychologique, le fait intérieur de la tendance, de la direction de notre volonté, et, par suite, de nos actions ou de nos inactions vers un résultat à produire (ci-dess., n° 249, 377 et suiv.). La tentative (de tentare, fréquentatif de tenere, tâter, porter la main à diverses reprises (1)), est le fait d'avoir mis la main aux actes extérieurs tendant à la production de ce résultat (ad-tentare).

Il suit de là que la tentative n'existe, en droit pénal, que lorsqu'il y a un acte ou une série d'actes, non-seulement extérieurs, mais actes de main mise, tendant à l'accomplissement du délit. → D'où la conséquence que ni la menace, ni la résolution concertée et arrêtée entre plusieurs, ni la provocation par paroles ou par écrit à commettre un délit, ne sauraient être qualifiées de tentative; une telle qualification serait contraire à la nature même des choses, serait une falsification des faits et des termes : il n'y a pas encore eu main mise à l'œuvre.

Lorsque l'agent en est venu aux actes préparatoires, peut-on dire qu'il y ait tentative? A la rigueur, et dans l'acception la plus large du mot, on le pourrait, car il y a eu main mise à des actes extérieurs ayant pour but de parvenir à l'accomplissement du délit. Nos anciens ont usé du mot dans ce sens, en l'affaiblissant par l'épithète d'éloignée, tentative éloignée.

Mais, à vrai dire, les actes préparatoires ne tendent pas à produire par eux-mêmes le mal du délit; ils ne sont qu'un préalable, qu'une préparation à agir; ce n'est pas au délit lui-même que l'agent a mis la main, il ne l'y mettra que par le premier acte d'exécution. La véritable tentative commence avec ce premier acte, et elle s'avance de plus en plus vers le but à mesure que l'agent

(1) De là tentacules, appendice ou membrane, chez certains animaux, destiné à toucher, à tâter les objets; De là, par locution figurée, tentateur, tentation, tenter, comme fait de tâter, de porter la main à diverses reprises, pour exciter, pour pousser quelqu'un à faire ou à ne pas faire quelque chose; et tant d'autres dérivés.

est plus près d'achever cette exécution. Ce sera dans ce sens, déduit des données mêmes de la science rationnelle, que nous emploierons le mot de tentative.

990. La tentative peut être inachevée ou achevée : inachevée, ou, en d'autres termes, suspendue, lorsque l'agent, avant d'avoir mené à fin les actes d'exécution, s'est arrêté volontairement ou a été arrêté contre son gré dans le cours de ces actes; — achevée, lorsque, les actes d'exécution ayant été accomplis en entier par l'agent, le mal du délit n'a cependant pas été produit. Ce dernier cas se désigne encore par le nom de délit manqué.

Comment régira-t-on, en droit pénal, la tentative et les nuances diverses qu'elle présente? Le problème n'est plus aussi simple que celui concernant les actes par lesquels elle est précédée, ni les solutions aussi unanimes.

991. Si la tentative inachevée a été suspendue par la volonté de l'agent, cette suspension, étant le fait de l'agent, lui sera imputée à bien; on ne recherchera pas le mobile interne de cette volonté de s'arrêter est-ce repentir, ou bien prudence, appréhension de quelque danger que la réflexion a fait entrevoir, crainte du châtiment? Qui peut sonder les cœurs ici-bas? Il est l'auteur de la suspension, la cause efficiente et volontaire, on la porte à son compte, à sa décharge. Mais cela suffira-t-il pour qu'aucune peine ne lui soit appliquée à raison des faits déjà par lui accomplis jusqu'au moment où il s'est arrêté? Les règles communes de la justice pénale ne sauraient donner cette conclusion. Le délit n'en a pas moins été commencé, les faits antérieurs n'en ont pas moins été commis. Fut-ce repentir, il ne suffit pas à un délinquant de se repentir après un acte coupable pour en faire disparaître la culpabilité. Le repentir effaçant la faute et servant même de mérite à l'âme qui en est pleine est chose de régénération divine et de sublimité chrétienne, mais non de justice terrestre. Ce peut être un motif au juge d'atténuer la mesure individuelle de la peine, mais, sauf cette atténuation, la peine des faits accomplis est encourue. Cependant là-dessus une autre observation, toute basée sur l'utilité sociale, se présente n'importe-t-il pas, en vue de cette utilité, de donner au délinquant qui a commencé l'exécution d'un délit un intérêt majeur à s'arrêter; et cet intérêt ne se trouvera-t-il pas de la manière la plus efficace dans l'impunité qui sera offerte à ce délinquant si la loi pénale promet de tenir pour non avenu, quant à la peine, le délit que de lui-même il aura renoncé à achever? C'est à cette règle que se fixent les législations positives; et la science rationnelle, non pas de la justice absolue, mais de la justice pénale des sociétés, n'a rien à y reprendre. Nous connaissons la condition inférieure de cette justice : l'impunité qu'elle décrète ici est décrétée par des motifs d'intérêt public, et elle n'est pas accordée au repentir seulement, elle est offerte même à l'intérêt du délinquant, qu'elle provoque. Toutefois cette im

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