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introduit par la volonté de Gustave Wasa, dont nous expliquerons bientôt les motifs.

La royauté en Suède fut élective jusqu'en 1544, où, par un acte solennel, elle fut assurée à Gustave et à ses enfans. Mais il faut remonter jusqu'à la fin du quatorzième siècle, pour saisir le nœud de cette grave révolution, et voir combien elle est indépendante de la réforme.

A la fin du quatorzième siècle, le gouvernement suédois était une oligarchie féodale, où l'on reconnaissait toutes les traces d'une organisation sociale militaire et civile, analogue à celle qui a existé en France sous la première race. Par la suite des temps, les commandemens militaires qui n'étaient d'abord que des bénéfices viagers, étaient devenus héréditaires, et de là une noblesse féodale nombreuse et armée. Le haut clergé luimême n'avait de pouvoirs que comme possesseur de riches et puissantes seigneuries temporelles. Dans un tel système de choses, on vit les désordres de toute espèce, les insurrections, les guerres particulières, tous les vices en un mot dont nos ancêtres ont subi le poids sous le gouvernement féodal. En ce pays aussi, comme en France, les rois ne pou vaient avoir d'autre politique intérieure, autant dans l'intérêt du peuple que dans le leur propre, et par le fait seul de la puissance de spontanéité qui appartient à l'homme, ils ne pouvaient, disons-nous, avoir d'autre but que d'anéantir les résistances aristocratiques, et de confisquer les priviléges de la noblesse; en cela, ils avaient pour appui les seigneurs patriotes, la bourgeoisie des villes, et les populations libres de quelques provinces. Ainsi, en Suède on trouvait les mêmes partis qui tourmentèrent la France dans le XIII et le XIVe siècle; seulement, les rois étaient moins puissans; car ils n'étaient qu'électifs et non héréditaires et les viles étaient moins nombreuses et moins riches.

Vers 1385, un roi d'origine allemande, Albert de Meklembourg, suivant la politique de tous ses prédécesseurs avec une énergie peut-être imprudente, après avoir ressaisi toutes les places et tous les domaines sur lesquelles la couronne avait droit, voulant enfin abattre tout d'un coup la puissance de la noblesse, demanda, dans un plaid général de la nation, le tiers du produit des bénéfices militaires et ecclésiastiques. Cette proposition fut repoussée; mais le roi passa outre, appuyé en cela par tous ceux qui ne faisaient pas partie de l'oligarchie. La noblesse suédoise eut recours à l'étranger, à Marguerite de Danemarck, et de là naquit une longue et cruelle guerre dans laquelle toutes les villes libres, non-seulement de Suède, mais des autres côtes de la Baltique, prirent le parti d'Albert. L'heureuse Marguerite triompha enfin de tous ces obstacles, et une réunion des sénateurs et de la principale noblesse de Suède, de Norwége et de Danemarck, formée par ses soins, arrêta la réunion des trois couronnes, les déclara héréditaires, tout en réservant les priviléges particuliers de chaque royaume. Telles furent les bases principales de ce traité long-temps invoqué dans le nord sous le nom de l'union de Calmar.

Nous n'entrerons point dans le détail des événemens qui suivirent ce

traité et qu'on peut lire dans toutes les histoires de Suède. Il suffira de dire que ce fut une suite de guerres et de révoltes, dans lesquelles on vit apparaître le peuple suédois lui-même. Il protesta le premier contre la domination étrangère, et avec cette puissance de masse qui est toujours irrésistible. La noblesse, qui d'abord ne chercha qu'à amoindrir ces mouveméns, en profita ensuite selon les intérêts des partis qui s'étaient formés dans son propre sein. Les Danois ne furent pas plus fidèles à l'union que leurs voisins; ils déposèrent et élirent des rois; et la Suède, tantôt acceptant, tantôt refusant ces maîtres que lui donnaient les caprices du Danemarck, fut tantôt un royaume, et tantôt une oligarchie gouvernée par un administrateur tiré de son sein.

La conduite du clergé fut plus droite, si elle ne fut pas plus nationale. C'était un corps puissant, autant par son pouvoir spirituel que par les seigneuries qu'il possédait à titre de fiefs. Préoccupé du point de vue de l'unité, et de l'utilité des grands centres, voyant dans l'exécution de l'union de Calmar, le moyen de constituer une monarchie puissante, comme avant-garde du catholicisme du côté du nord, il se jeta avec ardeur dans le parti des rois de Danemarck.

Après plus d'un siècle de désordres civils, de guerres, et de trèves sans sécurité, Christian II, l'un de ces rois, fidèle aux prétentions de ses prédecesseurs, excipant des mêmes droits, et aidé du clergé, se trouvait maître de la Suède dans le commencement du seizième siècle. Il tenait garnison dans toutes ses places. En 1521, Gustave Eric-Son Wasa, échappé des mains du prince Danois qui le retenait comme otage, se mit à la tête d'une insurrection de paysans dalécarliens. En moins de deux ans, il rendit la Suède à elle-même. Il n'eut pas seulement pour lui le peuple, mais toute la petite noblesse. Le haut clergé seul resta fidèle à la cause de Christiern. Par un concours de circonstances inattendu, ce roi fut dépossédé du trône de Copenhague par ses propres sujets, et remplacé par un nouvel élu, en sorté que la patrie de Gustave se trouva enfin en sécurité.

A peine Gustave fut-il assuré de la couronne que la Suède reconnaissante lui avait donnée pour lui et ses successeurs, en 1523, qu'il travailla à introduire le lutheranisme dans ce pays. Ils ne peut rester de doute sur les motifs qui l'animaient, lorsqu'on remarque qu'il s'agissait pour lui de se débarrasser du plus puissant appui de l'étranger, d'accroître sa souveraineté en saisissant celles de l'Eglise, enfin d'augmenter le domaine de l'Etat de tous les fiefs et de toutes les richesses possédés par les évêques. L'occasion d'ailleurs était des plus favorables: l'archevêque primat avait été condamné plus encore par l'opinion publique que par ses juges, comme traître à sa patrie. Gustave poursuivit ce projet avec l'énergie et l'adresse qu'il savait mettre en toutes choses; il n'eut point de peine à acquérir l'assentiment de la noblesse, en lui faisant quelques largesses des dépouilles de l'Eglise; le bas clergé obéit; il fit persuader la bourgeoisie en favorisant les prêches, et en y appelant d'habiles orateurs. Chose remarquable, le petit peuple seul offrit quelque résistance. C'était

la population catholique de Dalecarlie qui avait chassé les Danois; ce fut elle qui se souleva pour conserver les usages de son culte; car de la religion elle ne comprenait et ne voyait que cela. Le nouveau monarque sut dissiper, dès son début, cette rébellion à laquelle il ne manqua qu'un chef brave et habile. Il sut de plus faire quelques concessions. La lithurgie ne fut reformée que beaucoup plus tard.

L'on voit, par cette rapide esquisse que le lutheranisme n'eut pas en Suède plus d'influence civile qu'en Allemagne, qu'il fut un moyen entre les mains du prince et rien de plus. En effet nul droit politique nouveau ne fut conquis en cette révolution par les Suédois, à moins qu'on ne veuille ainsi appeler l'hérédité monarchique. Maintenant il nous faut jeter un coup d'œil sur cette guerre de trente ans, où le protestantisme du Nord se trouva tout entier aux prises avec le catholicisme, et qui amena la conclusion politique de la réforme, le traité de Westphalie. Si nous nous occupons un moment de ce sujet, c'est qu'il s'agit pour nous d'examiner si ce furent des passions religieuses, ou des intérêts temporels qui mirent les armes à la main à tous les princes de l'Allemagne.

Depuis long-temps, la question de l'unité germanique, c'est-à-dire la souveraineté impériale était mise en question. De tout temps le pouvoir des empereurs avait été plutôt le résultat de leur valeur personnelle, que celui des priviléges attachés à leur titre; les hasards de l'élection avaient été la cause principale de cet état précaire; jamais ils n'avaient permis cette marche suivie qui était remarquée ailleurs comme le fait de l'hérédité dans une même famille. Mais, depuis assez long-temps déjà, les princes de la maison d'Autriche se succédaient au pouvoir, et l'on pouvait prévoir que cette habitude finirait par devenir un droit, et l'origine de la ruine de tous les états secondaires qui composaient la fédération germanique. Ce fut donc à l'occasion d'une élection impériale que les premiers troubles qui préludèrent à la guerre dont nous nous occupons, prirent naissance. Voici quelques mots de cette histoire.

Ferdinand II, de la maison d'Autriche, venait d'être élu roi de Bohême par la protection de l'empereur Mathias, comme son fils adoptif, et comme destiné à succéder à la couronne impériale. Résolus de rompre ce dernier projet, les électeurs palatin et de Brandebourg convinrent, par un traité secret, de mettre la couronne de Bohême sur la tête du palatin, de partager également entre les catholiques et les protestans les bénéfices princiers de l'Allemagne, et de placer le duc de Savoie sur le trône impérial. Cependant des troubles graves s'élevèrent en Bohême entre les protestans et les catholiques. Ceux-ci avaient fait abattre quelques temples du culte réformé. De là une insurrection qui mit le pouvoir aux mains des protestans, et que les princes de l'union religionnaire se hâtèrent d'appuyer par une armée. Lorsqu'une année après, Ferdinand, par les suffrages des électeurs catholiques, eut été nommé empereur, les états de Bohême, de Lusace, de Silésie, refusèrent de le reconnaître; et les états assemblés à Prague le déposèrent solennellement, en l'accusant particulièrement de vouloir rendre la couronne impériale hérédi

taire dans sa famille. Ils élurent ensuite pour roi, ainsi que nous l'avons vu préparé d'avance, l'électeur palatin, Frédéric V; et la guerre commença aussitôt. Les succès militaires de Ferdinand, qui reconquit en un instant la Bohême, et eût écrasé l'Allemagne protestante sans le secours de la Suède et de la France, ne permirent pas d'éclore au reste du projet. Mais, ce que nous en avons dit montre suffisamment que cette longue et cruelle guerre eut une origine politique, et que sa couleur religieuse fut un fait tout-à-fait secondaire.

L'on cherchera donc vainement, dans tous ces mouvemens auxquels le protestantisme servit de signe de ralliement, la moindre ressemblance avec la révolution française. Le lutheranisme tendait à isoler et à individualiser, celle-ci au contraire tendit à réunir et à homogénéiser. Les grands meneurs de l'un furent les privilégiés; les défenseurs et les partisans de l'autre furent ceux que les priviléges accablaient. Il n'y a pas plus d'analogie dans leur mode de manifestation, dans leur caractère physique en quelque sorte, que dans leur caractère moral. On ne trouve nullement dans les révolutions dont nous venons de parler, cette analogie de périodes, cette apparence circulaire toujours la même qu'exigent les doctrines de Machiavel et de Vico. Il n'y a de constant que ce qui doit l'être toujours: savoir, la lutte de l'esprit du bien contre l'instinct du mal; du sentiment de l'unité contre les intérêts de l'égoïsme.

Si les exemples que nous avons cités et les détails où nous sommes entrés n'étaient suffisans pour prouver et la valeur du protestantisme, et celle de la doctrine historique qu'il a prise sous sa protection, nous aurions à revenir sur la révolution d'Angleterre, à montrer que les mêmes passions que nous avons vues y ont pris part, à rappeler la ressemblance qui exista entre le puritanisme et les désirs anabaptistes, à prouver que là seulement il existait quelques pensées d'origine chrétienne et capables de devenir sociales. Nous aurions enfin à nous occuper de la Hollande et de la Suisse: mais ce serait, nous le pensons, un travail non moins superflu que fastidieux; et peut-être nous sommes-nous déjà trop arrêté sur les quelques points d'histoire que nous avons choisis.

En définitive, le protestantisme fut, selon le style en usage aujourd'hui, l'expression de son temps. Il fut, comme les arts de nos jours, non pas le réformateur, mais le complaisant de son siècle. A l'époque de son apparition, tous les pouvoirs tendaient à s'individualiser, et il vint donner une formule, une justification à cet égoïsme; il vint écarter l'idée de devoir, d'obéissance au but commun, rendre enfin chacun à luimême. Il est certain qu'aujourd'hui les peuples où la présence du catholicisme a maintenu le sentiment de l'unité, sont les seuls dont l'esprit est ouvert aux idées d'intérêt européen et de dévouement à l'avenir; et que ceux, au contraire, où la prétendue réforme s'est établie, devenus étrangers à tout ce qui n'est pas présent, à tout ce qui n'est pas local et moins encore à tout ce qui n'est pas de famille, ceux-là ont été et seront encore le principal obstacle que le christianisme aura à combattre lorsqu'il voudra enfin se réaliser.

Le lutheranisme, en effet, ne fut ni une invention, ni un développement du christianisme, il n'éleva pas lui-même ses prétentions jusque-là: il ne se donna pour autre chose que pour une reconstitution de la primitive Eglise : comme si l'art humain de perfectionner l'application d'une doctrine eût été jamais de retourner à son point de départ, à ses premiers essais. Encore, pour qu'il existât un mot de vrai dans cette assertion, il eût fallu qu'il n'altérât point les dogmes et le culte des premiers temps. Mais, prenons-le au mot, et disons qu'il n'eut que le mérite de négation. Or, il est facile de nier, difficile de créer; et toute négation dans les choses sociales est stérile; elle immobilise ceux qui ont le malheur d'y croire: telle fut l'œuvre du protestantisme; il s'était appuyé sur ce prétendu principe que les créations sont d'autant plus parfaites qu'elles sont moins développées, que tout ce qui est originaire est supérieur à ce qui suit; il ouvrit donc la voie à ces doctrines circulaires, à ces théories du droit naturel que nous avons combattues. Les conclusions protestantes, en un mot, sont directement contradictoires à l'idée progrès, directement opposées, par suite, aux conséquences finales de la révolution française, mère de cette dernière idée.

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