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› Je sais que le langage austère de la vérité est rarement accueilli près du trône ; je sais aussi que c'est parce qu'il ne s'y fait presque jamais entendre, que les révolutions deviennent nécessaires; je sais surtout que je dois le tenir à votre majesté, nonseulement comme citoyen soumis aux lois, mais comme ministre honoré de sa confiance ou revêtu de fonctions qui la supposent; et je ne connais rien qui puisse m'empêcher de remplir un devoir dont j'ai la conscience.

› C'est dans le même esprit que je réitérerai mes représentations à votre majesté, sur l'obligation et l'utilité d'exécuter la loi qui prescrit d'avoir un secrétaire au conseil. La seule existence de la loi parle si puissamment, que l'exécution semblerait devoir suivre sans retardement; mais il importe d'employer tous les moyens de conserver aux délibérations la gravité, la sagesse et la maturité nécessaires; et pour des ministres responsables, il faut un moyen de constater leurs opinions; si celui-là eût existé, je ne m'adresserais pas par écrit en ce moment à votre majesté.

› La vie n'est rien pour l'homme qui estime ses devoirs audessus de tout, mais après le bonheur de les avoir remplis, le seul bien auquel il soit encore sensible, est celui de prouver qu'il l'a fait avec fidélité, et cela même est une obligation pour l'homme public. Signé ROLAND. >

Cette lettre est fréquemment interrompue par les plus vifs applaudissemens.

M. Dumourier, nouveau ministre de la guerre, entre dans la salle. On entend quelques murmures et quelques huées.

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M. Quinette. Je demande que vous rendiez commun à MM. Clavière et Roland, ministres patriotes, le décret que vous avez rendu en faveur de M. Servan, et que la copie de la lettre de M. Roland au roi, soit imprimée et envoyée aux quatre-vingttrois départemens. (On applaudit.)

M. Jean Debry. Ce sera une pièce célèbre dans l'histoire de la révolution et des ministres.

M. Lasource. Je demande que l'assemblée consacre la mémoire d'un ministre qui a osé dire au roi toute la vérité.

L'assemblée ordonne l'impression, l'insertion au procès-verbal et l'envoi aux quatre-vingt-trois départemens, de la copie de la lettre écrite au roi par M. Roland. - Elle déclare ensuite qu'il emporte les regrets de la nation.

On renouvelle la demande de rendre le décret commun à M. Clavière.

M. Broussonet. Je ne crois pas qu'un homme qui a préféré la place de ministre à celle de député soit digne du décret qu'on sollicite.

M. Charlier. Il a préféré un poste où l'on est responsable à celui où on ne l'est pas. (Des murmures empêchent M. Charlier de continuer.)

M. Guadet. M. Clavière a donné deux grands exemples. Le premier, celui de préférer le poste le plus périlleux. (Les murmures recommencent.) Le second, celui d'avoir partagé la disgrace de deux ministres patriotes. Je sollicite ce décret, afin que les intrigans sachent bien que leurs manœuvres ne l'emporteront pas sur la majorité. (On applaudit.)

L'assemblée déclare que M. Clavière emporte les regrets de la

nation.

M. Dumourier, ministre de la guerre. Je vais donner connaissance à l'assemblée d'une lettre que je viens de recevoir du général La Fayette.

Rapport de M. La Fayette. Au camp retranché de Maubeuge, le 11 juin, l'an 4 de la liberté.

Je vous ai rendu compte, monsieur, des mouvemens sur Maubeuge. Avant-hier, pendant que je reconnaissais le pays entre mon camp et Mons, il s'engagea une escarmouche de nos troupes légères avec celles des ennemis, où ceux-ci perdirent trois hommes, et où il y eut de part et d'autres quelques blessés. Ce matin, les ennemis ont attaqué mon avant-garde, qu'ils espéraient sans doute surprendre; mais, averti à temps, M. Gouvion a renvoyé ses équipages sur Maubeuge, et a commencé, en se repliant, un combat où son infanterie était continuellement

couverte par des haies, et où les colonnes ennemies ont beaucoup souffert du feu du canon, et particulièrement de quatre pièces d'artillerie à cheval, sous le capitaine Barrois. Les 3o et 11o régimens de chasseurs et le 2o de hussards ont bien manœuvré; celui-ci a fort maltraité un détachement de hulans qui s'était aventuré. Un ouragan très-violent ayant empêché d'entendre les signaux du canon a retardé nous la connaissance de l'attapour

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que. Aussitôt qu'elle est parvenue au camp, une colonne d'infanterie sous M. Ligneville, et de la cavalerie sous M. Tracy, ont été conduites par M. Narbonne sur le flanc des ennemis. Tandis que la réserve de M. Maubourg se portait au secours de l'avant-garde, j'ai fait marcher les troupes en avant; et les ennemis, nous abandonnant le terrain, une partie de leurs morts et de leurs blessés, se sont retirés dans leur ancien camp. Nous avons dépassé de plus d'une lieue celui de l'avant-garde qui a repris tous ses postes.

› Je n'aurais donc qu'à me féliciter du peu de succès de cette attaque, si, par la plus cruelle fatalité, elle n'avait pas enlevé à la patrie un de ses meilleurs citoyens, à l'armée un de ses plus utiles officiers, et à moi un ami de quinze ans, M. Gouvion..... (Un mouvement désordonné manifeste la douleur de l'assemblée.) Un coup de canon a terminé une vie aussi vertueuse. Il est pleuré par ses soldats, par toute l'armée, et par tous ceux qui sentent le prix d'un civisme pur, d'une loyauté inaltérable, et de la réunion du courage aux talens. Je ne parle pas de mes chagrins personnels; mes amis me plaindront.

Les deux lieutenans-colonels du département de la Côted'Or excitent de justes regrets. L'un, M. Cazotte, âgé de 75 ans, et connu par 50 ans de services distingués dans l'artillerie, avait, dans la dernière affaire, concouru avec M. Gouvion à l'action vigoureuse qui sauva du milieu des ennemis une pièce démontée. Notre perte d'ailleurs se borne à vingt-cinq hommes blessés. Le nombre des morts est peu considérable. Les ennemis en ont laissé beaucoup plus que nous, en ont beaucoup emporté. Nous avons

fait quelques prisonniers, et je n'ai aucune connaissance que nous en ayons perdus.

› Telle est, monsieur, la relation que je m'empresse de vous envoyer en rentrant au camp; elle est aussi exacte que je le puis avant d'avoir reçu des détails officiels.

« Signé, le général d'armée La Fayette.›

M. Dumourier lit ensuite un mémoire sur le département de la guerre. En voici la teneur :

Les généraux se plaignent avec raison de la faiblesse et du délabrement de leurs armées; partout il manque des armes ; des habits, des munitions, des chevaux de pelotons, des effets de campement, etc. Le non-complet de quatre armées, pour les seules troupes de ligne, s'élève à plus de quarante mille hommes et huit ou dix mille chevaux. La plupart des places sont aussi démantelées qu'en état de paix; dans la plupart il n'y a ni vivres, ni munitions suffisantes. Plusieurs commandans, plusieurs officiers des différentes armées, sont ou suspects ou ennemis. Une partie des corps, des commissaires des guerres, de celui des commis et des gardes magasins, surtout d'artillerie, sont ou vendus ou suspects. Plusieurs municipalités frontières sont dans le même cas; et si les choses subsistent dans cet état, il sera facile à nos nombreux ennemis d'enlever plusieurs de nos frontières, et de pénétrer dans l'intérieur du royaume.

› Les bureaux de la guerre sont au moins reprochables par la lenteur des expéditions, par le désordre des détails, par l'espèce des marchés, dont plusieurs, comme celui des chevaux de pelotons par exemple, sont frauduleux, et dont la plupart restent sans exécution. Rien n'est inspecté par des personnes autorisées à punir des fautes aussi graves, et à réparer sur-le-champ, sur les lieux, le déficit de cette inexécution.

› Cependant le dernier ministre qui s'en est rapporté à ses agens, malgré leur infidélité et leur incapacité reconnues, puisque ce sont les mêmes agens qui, sous les trois précédens ministres, ont aidé à tromper la nation et à réduire sa force armée

à un point de faiblesse effrayant, malgré une dépense énorme, est demeuré responsable, tant de la comptabilité que des suites funestes que peut entraîner cette désorganisation de la force armée; et par une espèce de solidarité très-injuste, les autres ministres partagent cette responsabilité, quoiqu'ils ne puissent apporter aucun remède à ces maux, tant que l'organisation du ministère du département de la guerre restera en cet état.

› Le dernier ministre de la guerre a montré des vues trèspatriotiques, et beaucoup de zèle pour remonter l'état militaire; mais je lui demanderai si les moyens qu'il a employés lui paraissent suffisans. Il a dit, et je le pense comme lui, qu'il faut que toute la nation se lève à la fois et prenne les armes: mais cette levée générale, si elle n'est ni bien ordonnée ni successive, ne peut pas augmenter la force de l'armée, et ne peut opposer aux troupes aguerries des despotes qu'une tourbe sans ordre et par conséquent sans force, qui, rassemblée tumultuairement, aura le sort de ces immenses armées indiennes que quelques hommes aguerris dissipaient facilement.

› D'ailleurs, que la nation sè lève tout entière, présente une grande idée très-énergique; mais elle manque de précision et elle est inexécutable, parce qu'il n'y a ni assez d'armes, ni assez de provisions de bouche, ni assez de munitions pour cette immeuse multitude; et c'est par un pareil moyen que l'imprudent Vander-Noot a détruit, dans quinze jours, toutes les ressources des Belges contre une poignée d'Autrichiens: il poussa le même cri de guerre ; 80,000 hommes au moins se rassemblèrent à sa voix avec promptitude, et furent dissipés encore plus promptement par douze ou quinze mille Autrichiens.

› Suivons les opérations qui depuis six semaines ont été faites et décrétées par l'assemblée, sur les propositions de MM. Grave et Servan.

› M. Grave, n'ayant aucun état de situation des régimens de ligne, et persuadé sans doute que les 51,000 hommes que M. Narbonne avait annoncé manquer à l'armée, étaient plus que complétés par le recrutement volontaire qu'on avait annoncé à l'as

T. XV.

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