Page images
PDF
EPUB

Malgré l'attente et les doutes sinistres, la fête, comme toute fête, fut paisible. Les intentions de tous les partis, quelles qu'elles fussent, s'éteignirent dans la tranquillité de la masse des curieux. « La fête de la fédération, disait le lendemain la Gazette de France, a eu lieu dans l'ordre et avec les cérémonies indiquées. La sérénité du ciel, l'affluence des spectateurs, la présence de toutes les autorités constituées, le concours de nos frères d'armes venus des départemens, le calme du peuple enfin, tout a contribué à rendre cette fête imposante. Nos ennemis n'apprendront pas sans douleur et sans crainte, cette réunion en un même lieu, de cinq cent mille Français de tout âge, de toutes conditions, ne formant qu'un seul vou, celui de vivre libres ou de mourir. (Gazette, n. CX, 1792.)

f

«La fête, disait Carra, a complétement démontré aux aristocrates, aux Feuillans, aux valets de cour et à leurs petits écrivains, que tous les efforts qu'ils font pour royaliser, endormir et tromper le peuple sur ses intérêts les plus chers, sont absolument inutiles. Puisqu'ils appellent factieux tous ceux qui ne connaissent d'autre divinité que la liberté, ils ont pu se convaincre hier, dans tout Paris, que la capitale seule contient un million de factieux; car les seuls cris qu'on ait entendus dans toutes les rues où passait le cortège et dans le Champ de la Fédération sont: vive la nation! vive la liberté! vive Pétion! vivent les bons députés! Nul n'a osé balbutier un seul de ces refrains si chers aux esclaves de la cour...

et

» Dès les cinq heures du matin, les six légions de Paris, les fédérés des départemens, la gendarmerie à pied et à cheval, les troupes de ligne qui sont à Paris, s'étaient rendus sur le boulevart, depuis la place de la Bastille jusqu'à la porte Saint-Martin. Une foule de citoyens armés de piques étaient mêlés dans les rangs; et comme la réintégration de M. Pétion avait rempli tous les cœurs d'allégresse, presque tous avaient écrit sur leurs chapeaux avec de la craie, vive Pétion! Dans la matinée, une députation de l'assemblée nationale s'est rendue sur la place de la Bastille, et on a posé la première pierre de la colonne de la Liberté. Après cette cérémonie, le cortége a commencé à défiler pour se rendre

[ocr errors]

au Champ de la Fédération. Outre les citoyens-soldats et les soldats-citoyens, on voyait dans ce cortége imposant les veuves des citoyens morts à la prise de la Bastille, les présidens et commissaires des sections, les membres des tribunaux, les officiers municipaux, etc. Des enfans brûlaient, pendant la marche, des parfums sur un autel placé devant eux.

› La Déclaration des Droits de l'homme était peinte sur deux grandes tables et portée sur un brancard par des hommes.

› Le modèle de la Bastille, porté de même par des citoyens, était environné de ci-devant gardes-françaises avec leur ancien uniforme.

› La statue de la Liberté placée sur un brancard était entourée d'hommes armés de lances.

› Le glaive de la loi, sur une table couverte par un crêpe, porté par des hommes vêtus en noir, couronnés de cyprès.

› Des hommes ornés de couronnes de pampre et d'épis de blé, portaient sur une table des houppes de gerbes de blé, des. branches d'arbres chargées de fruits, des instrumens aratoires, des faisceaux de fusils, de sabres, et au milieu une figure représentant la souveraineté nationale.

› Une statue représentant la loi était aussi portée sur un brancard.

› Ces statues et ces emblèmes étaient distribués par ordre dans chacune des six légions qui toutes étaient précédées par une musique militaire. Les membres de l'assemblée nationale fermaient la marche.

» Le cortége n'a été rendu au Champ de la Fédération qu'à près de cinq heures du soir. Voici la décoration de cette place.

Il y avait sur le bord de l'eau cinquante-quatre pièces de canon; le pourtour des glacis était orné par quatre-vingt-trois tentes surmontées de banderolles tricolores.

> En face de l'autel, du côté de la ville, sur le glacis, on avait dressé une grande tente pour l'assemblée nationale, le roi et le tribunal de cassation.

› Du côté opposé, une autre tente pour les notables, les

présidens, les commissaires de sections, et les corps administratifs.

› Dans l'enceinte du Champ, on avait formé, à une distance des glacis, une contre-allée par quatre-vingt-trois arbres portant chacun le nom d'un département sur une banderolle tricolore surmontée du bonnet de la Liberté.

L'autel de la patrie était formé par une colonne tronquée garnie de guirlandes de chêne.

Sur un des terre-plains circulaires de l'autel, on avait placé un socle qui servait à poser la statue de la Loi; autour il y avait des banquettes pour placer les juges des tribunaux.

› Sur une autre partie du même terre-plain étaient des hanquettes pour placer les juges de paix et commissaires de police; au bas des degrés, le glaive de la loi était devant eux, sur un socle.

» A l'autre face, les municipalités; au bas d'elles le groupe qui les avait précédées.

› A une certaine distance de l'autel de la patrie, du côté de l'eau, on avait élevé un grand arbre, aux branches duquel étaient suspendus, en forme de guirlandes, des écussons, des casques, des cordons d'ordres supprimés, entrelacés avec des chaînes; au pied de cet arbre était dressé un bûcher couvert de tapis, de couronnes de toutes espèces, de chaperons, d'hermines, de bonnets doctoraux, de titres de noblesse et de sacs de procédure.

› Du côté opposé et à la même distance de l'autel, était élevée une pyramide environnée de cyprès et de lauriers; sur l'un des côtés on lisait : Aux citoyens morts pour la patrie aux frontières; . sur l'autre côté : Tremblez, tyrans, nous nous levons pour les venger.

» Au bas d'une des faces de l'autel, vis-à-vis de l'assemblée nationale, était l'orchestre pour la musique; sur les quatre angles de l'autel, quatre cassolettes pour brûler des parfums.

Le cortège, arrivé au Champ de la Fédération par le milieu du côté de l'École-Militaire, est descendu à droite et à gauche entre

les glacis et le rang d'arbres, au bruit d'une décharge d'artillerie. › La Déclaration des Droits a été placée sur l'autel de la patrie, derrière la bannière, sur laquelle on lisait : Liberté conquise.

› Sur les degrés de la partie supérieure de l'autel, les enfans continuaient à brûler des parfums sur les autels qu'ils avaient portés dans la marche.

› Le modèle de la Bastille a été posé sur un socle, au bas des premiers degrés de l'autel, du côté de l'École-Militaire.

Le glaive de la loi a été déposé sur un socle, au bas des premiers degrés de l'autel, du côté de l'École-Militaire.

› Les juges-de-paix et commissaires de police étaient assis sur des banquettes, sur le terre-plain de ce côté.

> La figure de la Liberté était placée au bas de l'autel, en face de l'assemblée nationale, dans la même disposition de la marche. » Deux autels étaient placés en avant pour les enfans chargés de brûler les parfums.

Les présidens et commissaires de sections se sont rangés sur les banquettes qui leur étaient destinées par un enseigne, sur le glacis du côté de la campagne.

⚫ Les bataillons des élèves de la patrie, dans le Champ, devant la pyramide.

> La figure de la Loi, sur un socle, sur le terre-plain de l'autel, du côté de la campagne.

Les juges des tribunaux, assis sur des banquettes. - Les femmes, vieillards, enfans, etc., entre l'ordre nobiliaire et l'autel; les vieillards étaient assis les premiers. Le groupe porté devant la municipalité, au bas du terre-plain de l'autel, du côté de l'eau. Les officiers municipaux, sur les banquettes placées sur le terre-plain. Les districts, départemens, sur les glacis, du côté de la campagne. Les vétérans, devant l'ordre no

biliaire.

[ocr errors]

L'assemblée nationale, le roi, les ministres, sur le terreplain, du côté de la ville.

› Une double haie a été formée, par des grenadiers et des vo

lontaires, depuis la tente de l'assemblée jusqu'à l'autel, enfermant au milieu la statue de la Liberté et tous ses accessoires.

[ocr errors]

› Les légions ont été placées au pourtour, en groupes, jusqu'au moment du serment.

› Au premier signal donné, tous les drapeaux se sont rangés autour de l'autel. -Le corps de musique occupait l'orchestre en face de l'assemblée nationale.

› Les présidens des différens corps se sont avancés sur l'autel de la patrie avec le roi, qui s'était rendu au Champ-de-Mars à onze heures, et ils ont prêté le serment décrété, aux cris de vive la nation! vive la liberté ! Le feu a été mis au bûcher, et la cérémonie a été terminée par des danses dans le Champ-de-Mars. › (Annales patriotiques, n. CXCVIII.)

[ocr errors]

Tel est le récit presque officiel que nous avons extrait du journal de Carra, afin de présenter à nos lecteurs le tableau de la dernière fête de la monarchie constitutionnelle. A la suite de cette narration, nous trouvons des remarques qui sont bien plus dans l'esprit du journal. —« On a observé, dit-il d'abord, que plusieurs commandans de bataillon faisaient faire de longues stations à leur corps devant la salle de l'École-Militaire, où le roi attendait le moment où tout serait prêt pour la cérémonie. Ils croyaient que les citoyens crieraient vive le roi; mais ils se sont trompés : nul n'a jeté un seul cri d'esclave.

› La proclamation de la municipalité, dit-il ensuite, portait, qu'après le serment le président de l'assemblée et le roi iraient mettre le feu à l'arbre de la féodalité. Le roi a oublié ou omis ce fait dans la sienne; de sorte qu'après le serment, l'assemblée nationale et le roi se sont retirés. Il n'est resté que dix à douze députés patriotes que le peuple et la garde nationale ont invités à allumer le feu, ce qui a été fait aux acclamations réitérées du peuple. - Ces députés sont MM. Gensonné, Garreau, Jean Debry, Antonnelle, etc. »

La remarque fut faite, en effet, que peu d'ordre régnait dans cette fète ; il paraît néanmoins, d'après tous les journaux de l'époque, que la population montra une grande fervour patriotique.

« PreviousContinue »