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osé, vont se présenter à vous avec un air caressant. L'aristocratie et l'incivisme veulent, dit-on, offrir la table de l'hospitalité et le baiser fraternel au patriotisme et à la liberté. Que l'honneur d'accueillir la vertu soit réservé à la vertu seule ! Fuyez leurs perfides caresses; fuyez les tables opulentes, où l'on boit, dans des coupes d'or, le poison du modérantisme et l'oubli des devoirs les plus saints.

> Il est des hommes stupides et frivoles, à qui un seul mot de patriotisme prononcé par la bouche de l'idole, fait oublier cent parjures et mille attentats contre la patrie; il est des âmes faibles et lâches, qui, sur les gages les plus trompeurs, sont toujours prêtes à reprendre la sérénité de l'espérance et l'apathie de la confiance, pour s'épargner le tourment de croire aux dangers, et la peine de lutter contre les ennemis de la patrie; il est des esclaves qui, cent fois outrages, battus par leur maître, tombent à ses pieds et pleurent de tendresse, toutes les fois qu'il daigne abaisser sur eux un regard moins irrité; qui lui font un mérite extraordinaire de ce qu'il y a eu un instant où l'on ne l'a point vu la verge à la main. Pour vous, vous vous montrerez toujours dignes de la cause que vous défendez, et de la mission auguste que vous venez remplir. Vous releverez les fronts de ces esclaves attachés à la terre ; vous leur donnerez une ame, s'il est possible; et vous leur apprendrez quelle est l'attitude des hommes libres, vis-à-vis des oppresseurs du peuple.

› La tyrannie elle-même prétendra vous le disputer en amour de la liberté, en dévouement à la cause publique; elle se mettra à votre tête; elle voudra guider et presque exciter votre zèle ; elle ne dédaignera pas de vous sourire: mais, dans son souris perfide et cruel, vous démêlerez et tous les crimes qu'elle a déjà commis, et tous ceux qu'elle médite encore.

» Généreux citoyens ! dernier espoir de la patrie, c'est à vous qu'il appartient de les prévenir. Vous n'êtes point venus pour donner un vain spectacle à la capitale et à la France..... Votre mission est de sauver l'État. Assurons enfin le maintien de la Constitution: non pas de cette Constitution qui prodigue à la

cour la substance du peuple; qui remet entre les mains du roi' des trésors immenses et un énorme pouvoir; mais principalement et avant tout, de celle qui garantit la souveraineté et les droits de la nation. Demandons la fidèle exécution des lois; non pas de celles qui ne savent que protéger les grands scélérats et assassiner le peuple dans les formes; mais de celles qui protégent la liberté et le patriotisme contre le machiavélisme, et contre la tyrannie.

› L'heure fatale sonne: marchons au Champ de la Fédération. Voilà l'autel de la patrie; voici le lieu où jadis les Français resserrèrent les liens de leur association politique. Reviennent-ils encenser de fausses divinités? De méprisables idoles viendront-elles encore se placer entre vous et la liberté, pour usurper le culte qui lui est dû? Déjà l'opinion publique a replongé dans le néant ce héros ridicule, dont les basses intrigues égarèrent les sentimens civiques de nos frères, et dégradèrent le caractère national. De tout ce bizarre échafaudage d'une réputation usurpée, il ne reste que le nom d'un traître. Ne prêtons serment qu'à la patrie et à nous-mêmes, entre les mains du Roi immortel de la nature, qui nous fit pour la liberté et qui punit les oppresseurs. Ici, tout nous rappelle et les premiers parjures, et tous les crimes qu'ils ont commis. Ici même, sur cet autel, nos pieds ne peuvent fouler un endroit qui ne soit souillé du sang innocent qu'ils ont versé. Ici, des honneurs coupables furent rendus aux assassins du peuple. Il semble qu'un crêpe funèbre couvre encore cet autel et ce champ de la mort. Qu'il soit purifié; qu'il devienne le domaine de la liberté. Écoutez les cris plaintifs de nos citoyens massacrés; voyez la patrie ensanglantée qui se présente devant vous. Contemplez les flammes de Courtrai qui appellent tous les peuples à la vengeance; voyez l'humanité abattue sous le joug de quelques tyrans méprisables; et que ce spectacle vous inspire de grandes pensées. Ne sortez point de cette enceinte sans avoir. décidé dans vos coeurs le salut de la France et de l'espèce humaine.

› Citoyens ! la patrie est en danger; la patrie est trahie! Oh

combattez pour la liberté du monde ! Les destinées de la génération présente et des races futures sont entre vos mains: voilà la règle de vos devoirs; voilà la mesure de votre sagesse et de votre courage. (Le défenseur de la Constitution, n. IX, p. 425, 451.)

Ce fut par de tels écrits que Robespierre mérita d'être loué plus tard, sous le régime conventionnel, pour avoir utilement servi la chose publique. Cet article, au reste, est une pièce historique curieuse, en ce qu'il nous révèle les espérances que le parti patriote faisait reposer sur la présence des fédérés. Y avait-il un projet à peu près arrêté, ou comptait-on sur quelqu'une de ces émotions populaires, aussi brusques dans leur allure qu'imprévues quant à leur moment?

Voici tout ce que les pièces du temps nous apprennent sur ce sujet :

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SÉANCE DES JACOBINS. (du 13 juillet.) Camille Desmoulins. Il se trame un grand complot, n'en doutez pas. On assure que Lukner a été vu à Paris. La Fayette y est arrivé ce matin. On veut nous effrayer par le bruit d'un massacre pour demain; cela n'est pas possible. Leur projet pourait être plutôt un enlèvement. Il faut bien prendre garde de ne pas légaliser en quelque sorte une telle démarche, par des opinions hasardées, prononcées dans cette société, telle par exemple que celle que je viens d'entendre; et de ne prêter serment qu'à la nation et à la loi (avis que Carra venait d'ouvrir un instant auparavant). On dira que des hommes ont refusé de prêter le serment constitutionnel, et on dira aux soldats, qu'eux ils l'ont prêté ce serment constitutionnel. Sans doute les généraux ne peuvent avoir d'autres projets que d'enlever le roi, le mener dans les armées qui se joindraient peut-être aux Autrichiens, sous le prétexte de la Constitution. Prêtons done le serment ordinaire, et si le pouvoir exécutif ne tient pas le sien, punissons-le, destituons-le s'il le faut; mais nc nous écartons pas de la Constitution.

› On remet sur le bureau diverses pièces envoyées par la municipalité au comité de surveillance de l'assemblée nationale.

› L'une de ces pièces est une lettre de la municipálité au comité

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de surveillance. La seconde pièce est une lettre de la municipalité de Meudon, annonçant l'arrivée dans ce château de plusieurs chariots chargés des armes, bagages et munitions de la cidevant garde du roi. La troisième pièce est la copie d'une lettre de la reine, à madame ***. « Nous sommes à la veille de › notre départ, dit la reine. M. D. L. F. T. T. est de retour. › Nos mesures sont prises. MM. seront à la tête. Nous serons › douze contre un... Le général et son commandant des gre› nouilles sont incertains... Ils reprendront leur poste; cela est. › convenu avec le département. C'est un grand bonheur pour › nous. Nos châteaux et nos hôtels sont pleins... Voici le chemin › que nous devons prendre. le reste en chiffres.

› La troisième pièce est une lettre adressée, de Lille, à la municipalité de Paris. Cette lettre, datée du 10, annonce que M. La Fayette a quitté l'armée, qu'il doit être à Paris pour le 13; que le projet est, au moment de la fédération dans le Champ-deMars, de faire crier par certaines gens, vive le roi; d'autres émissaires apostés doivent crier à leur tour à bas le roi. A ce signal on se propose de tomber sur les patriotes, et dans la confusion, le général La Fayette qui doit se trouver là, se fera proclamer généralissime pour maintenir l'ordre public. Il prendra le commandement, enverra des forces à l'assemblée nationale pour la protéger, et se mettra à la tête de tout pour protéger également le roi constitutionnel.

» La lecture de ces pièces fournit matière à quelques réflexions. M. Merlin assure avoir reçu une lettre conforme à celle qui a été adressée à la municipalité. Je ne crois pas, ajoute-t-il, que nous avons rien à craindre. Le triomphe que le patriotisme a remporté aujourd'hui dans l'assemblée nationale, (l'acquittement de Pétion) a dérouté tous les projets qu'ils pouvaient avoir formés. »

› M. Chabot. Je crois devoir vous rassurer, messieurs; car il existe réellement une lettre de La Fayette à la reine, qui lui annonce son arrivée pour le 13, et lui promet le succès, pourvu'

toutefois que l'on prolonge la suspension du maire jusqu'au 16. Or, voilà son espérance déçue.

» Les fédérés disent ne point avoir de point de ralliement pour demain, et cependant ce point leur a été indiqué à tous en sortant de leurs départemens. Ce point de ralliement c'est le faubourg Saint-Antoine. Qu'ils se rangent là avec les vainqueurs de la Bastille; car ce n'est pas avec les honnêtes gens de La Fayette et de la cour qu'ils viennent se fédérer : c'est avec les sans-culottes, avec le peuple français qu'ils viennent unir leurs efforts et leurs bras pour extirper le despotisme et anéantir les tyrans.

M. Robespierre. Je crois que la société en général, et les fédérés en particulier, doivent faire la plus grande attention aux divers faits qui viennent d'être rapportés. Ce dont je suis sûr, c'est que

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M. de Narbonne est ici depuis quelques jours; que MM. Baumetz et Lacolombe y ont été vus. Je ne crois pas que des hommes, que toute la France connaît comme des conspirateurs, viennent pour rien au sein de la capitale dans le moment critique de la fédération.

› Tout ce qui vous a été dit sur les complots qu'ils paraissaient méditer pour demain, n'est pas ce qui m'effraie. Le fait principal c'est qu'il paraît que La Fayette médite un crime, et qu'il a dirigé, autant qu'il lui était possible, tous les esprits pour le faire retomber sur les Jacobins. Quand La Fayette a voulu provoquer la loi martiale, il fit assassiner un boulanger; c'est-àdire qu'il n'usa d'aucun des moyens que lui donnait la force immense qu'il avait dans les mains, pour prévenir cet attentat. Lorsqu'après avoir ménagé la fuite du roi, et avoir concouru ensuite à son arrestation, La Fayette voulut abattre l'esprit public, il fit pendre, au Champ-de-Mars, deux particuliers absolument étrangers à la pétition, afin de donner à croire aux esprits faibles, que les personnes qui s'étaient rendues coupables de ce crime étaient les mêmes qui devaient venir paisiblement et sans armes. pour signer une pétition sur l'autel de la patrie.

› C'est ainsi que La Fayette se ménage toujours un moyen pour faire croire que le peuple français n'est qu'une poignée de

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