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Les membres de la très-grande majorité de l'assemblée se lèvent presque simultanément pour demander, soit la censure de cette adresse, soit la punition des auteurs. L'improbation des uns, l'indignation des autres se manifestent par un murmure presque unanime et prolongé.

MM. Deuzi, Boulanger, Gentil, Léopold, etc., demandent qu'il soit porté un décret d'accusation contre les signataires.

Un grand nombre d'autres motions se croisent dans le tumulte. - Enfin, M. Dalmas (d'Aubenas) obtient la parole.

M. Dalmas, Je demande l'improbation de l'adresse séditieuse et contre-révolutionnaire qui vient de vous être lue. Il ne suffit pas de faire des déclarations pour la défense de la Constitution. Vous avez déjà fait plusieurs fois le serment de la maintenir tout entière, et ce serment était un de vos premiers devoirs. Il faut le tenir, et ne pas en faire une vaine formule. Vous avez, il y a quelques jours, par une déclaration solennelle, voué à l'exécration publique tout projet d'altérer la Constitution. Eh bien, messieurs, voilà un vou formel d'attenter à la Constitution, et un vou d'autant plus criminel, qu'il émane d'une autorité constituée.

Je conclus donc à l'improbation formelle de cet audacieux libelle, et je demande que le conseil-général de la commune de Marseille, qui s'est permis cet excès d'audace, soit mandé à la barre pour y rendre compte de sa conduite.

Plusieurs membres demandent l'ajournement de l'adresse à la troisième législature.

On entend plusieurs voix, dans l'une des extrémités, crier à l'ordre du jour. M. le président veut le mettre aux voix. Il est interrompu par un cri d'improbation presque unanime.

M. Lacroix demande que, toute discussion cessante, l'adresse soit renvoyée à la commission extraordinaire. Nouveaux murmures. Il insiste Le trouble se prolonge.

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M. Martin (de Marseille), dit le juste, monte à la tribune. Le calme se rétablit.

M. Martin. Cette adresse audacieusement criminelle..... (De violentes rumeurs éclatent dans les tribunes.)

M. le président au commandant de la garde. Faites mettre quatre sentinelles dans chacune des tribunes et galeries.

M. Martin. Cette adresse audacieusement criminelle suffirait pour déshonorer à jamais la commune de Marseille. Je dois à l'assemblée, je me dois à moi-même et à mes commettans, de déclarer que les Marseillais ne partagent pas les coupables projets de ses auteurs; qu'elle n'est que l'ouvrage de quelques factieux qui se sont emparés des places; que Marseille est composée de bons citoyens, et que vous devez à cette ville, qui gémit sous l'empire de ces factieux (murmures et applaudissemens), de manifester hautement votre improbation. Je la connaissais depuis plusieurs jours, cette audacieuse production; mais j'espérais qu'elle demeurerait ensevelie, comme tant d'autres, dans l'oubli qu'elle méritait; maintenant qu'elle est connue, je demande que les signataires soient sévèrement punis.

Plusieurs membres reprochent au secrétaire de n'avoir pas livré cette adresse au rebut, comme cela se pratique à l'égard de toutes celles du même genre qui affluent dans les comités. Il répond qu'il ne l'a lue que d'après les ordres du président.

M. Lacroix. Je déclare que quand j'ai demandé la parole pour une motion d'ordre, ce n'était ni pour justifier, ni pour improuver l'adresse de Marseille, mais bien pour rappeler à l'assemblée son décret de réglement, rendu il y a fort peu de jours, qui porte qu'aucune discussion ne s'ouvrira désormais sur les adresses et pétitions dont il aura été fait lecture, mais qu'elles seront immé diatement renvoyées à la commission des douze. Je demande donc que celle-ci soit, comme les autres, de suite renvoyée au comité. (Applaudissemens réitérés des tribunes. Plusieurs membres demandent avec chaleur qu'elles soient rappelées à l'ordre. Les applaudissemens continuent.) Il est bien étonnant que des mem bres de l'assemblée bravent les fédérés qui assistent à la séance. M. Girardin. Il est bien étonnant que les soldats de la loi ne témoignent aucun respect aux délibérations des législateurs.

T. XV,

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M. le président. J'annonce aux citoyens fédérés que l'assemblée, par un décret, interdit aux citoyens qui assistent à ses -séances, tout signe d'approbation ou d'improbation. Je rappelle aux membres de l'assemblée qu'ils doivent donner l'exemple du calme et de la décence, et que c'est au président seul qu'il appartient de rappeler les tribunes à l'ordre, quand elles s'en écartent.

MM. Cambon et Girardin sont à la tribune.

On demande que la discussion soit fermée.
Cette proposition est rejetée.

M. Cambon. L'adresse qui vous a été lué est inconstitutionnelle, personne ne peut en disconvenir. C'est un piége qu'on tend au corps législatif, pour voir s'il est disposé à s'emparer d'un pouvoir que la Constitution a placé en d'autres mains. Je ne saís si les citoyens ont le droit de manifester tout vœu quelconque, même destructif des principes, du serment civique; mais ce que je sais, c'est que les autorités constitués ne peuvent jamais attaquer la Constitution. Nous aurions tort de discuter le fond de la question, et ce n'est pas dans ce sens que l'adresse peut être renvoyée à l'examen d'un comité. Le peuple est souverain, il peut se donner un contrat social; mais quand ce contrat est signé, les mandataires du peuple ne peuvent rien y changer. Nous ne sommes qu'un pouvoir constitué; nous ne pouvons pas altérer ou modifier une seule ligne de la Constitution en vertu de laquelle nous existons. (On applaudit.) Il faut donc examiner quelle peine on doit imposer aux auteurs d'une adresse qui tendrait à la destruction de ces principes fondamentaux de toute constitution. Il faut savoir si c'est un attentat à la sûreté générale, une provocation à la sédition, ou un simple vou. Mais à cet égard je voudrais que nous prissions les précautions propres à nous garantir de toute précipitation. J'appuie donc la proposition du renvoi de l'adresse à la commission extraordinaire.

Mais, pour que l'on sache bien que nous sommes bien déterminés à ne nous emparer d'aucun pouvoir que la Constitution ne nous aurait pas délégué, il faut : 1o que vous vous déclariez in

compétens pour prononcer sur le fond; 2o que, dès à présent, et sans préjudice des mesures ultérieures que vous pourrez prendre contre les auteurs de cette adresse, vous improuviez formellement cette provocation faite au corps législatif d'empiéter sur des pouvoirs qui ne lui sont pas dévolus. (On applaudit. Y M. Girardin demande la parole.'

La proposition de fermer la discussion est réitérée et rejetée à une petite majorité.

M. Girardin. Le citoyen vertueux que la commune de Marseille s'honore de posséder, M. Martin, auquel Mirabeau avait donné le surnom de Juste, vous a déjà fait entendre les cris de son indignation. Mais je vous rappelle qu'un de vos orateurs les plus éloquens vous a fait jurer, le 14 janvier dernier, que vous regarderiez comme infâmes et traîtres à la patrie tous ceux qui provoqueraient des changemens à la Constitution. D'après ce serment que vous avez prêté avec un empressement unanime, vous devez punir également ceux qui veulent modifier la Constitution dans un sens, et ceux qui veulent la détruire dans un autre, On applaudit.) c'est-à-dire les aristocrates et les démagogues! L'adresse qui vient de vous être lue est donc une infraction à la loi du 14 janvier. Il y a plus: ce n'est pas un vœu formié par de simples citoyens, c'est une proposition faite par des magistrats qui n'ont pu l'être, qui n'ont pu remplir leurs fonctions qu'après avoir prêté serment de fidélité aux lois constitutionnelles. (Mêmes applaudissemens.) En un mot, vous ne pouvez voir, dans cette affaire, que des magistrats par jures qui vous demandent le renversement de la Constitution. Eh bien! législateurs', sachez punir les factieux du midi comme les aristocrates du nord, les communes républicaines comme les directoires royalistes; et vous n'aurez qu'un glaive pour frapper tous les ennemis des lois, de la liberté, et j'ose le dire, du repos public; car le salut de fa France dépend, dans ces circonstances, de votre fermeté à vous rallier aux principes de la Constitution. Vous devez un grand · exemple qui annonce votre improbation, (Plusieurs voix: Nous sommes d'accord.) qui fasse rentrer dans le néant tous les fac

tieux. Vous devez la manifestation franche de vos principes à la nation qui vous la demande.

- Mais en même temps que j'invoque votre sévérité, je déclare que je ne suis pas de ceux qui aiment les mesures précipitées ; qu'au contraire, je voudrais que jamais un décret d'accusation ne fût porté qu'avec ce calme et cette maturité qui assurent la sagesse des délibérations. (Les mêmes voix: Nous sommes donc tous d'accord sur le renvoi au Comité.) Oui; et j'appuie dans ce sens la proposition de M. Lacroix. Mais je croyais bien nécessaire de faire cette distinction: qu'ici ce sont des magistrats parjures que vous avez à juger, et non pas des citoyens pétitionnaires. Je vous rappelle que le jour approche où vous allez être entourés de fédérés, où ils répéteront avec vous le serment de maintenir la Constitution; je leur rappelle à eux mêmes qu'ils se sont armés pour la défendre. Je pense que și ces citoyens avaient bien connu la loi, ils n'auraient pas troublé votre délibération par leurs applaudissemens; et j'ose croire qu'ils distingueront toujours l'opinion qu'on peut avoir en son particulier, sur quelques articles de la Constitution, dont le correctif se trouvera dans la Constitution ellemême, et la fidélité que lui ont jurée tous les Français, tant qu'elle ne sera pas légalement changée. Elle doit être, dans ces momens de crise, notre seul point de ralliement; et ne faut-il pas en consol der l'existence avant de chercher à en perfectionner les parties? (Il s'élève de nombreux applaudissemens.)

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L'assemblée ordonne le renvoi de l'adresse à la commission des douze, pour en être fait le rapport demain.

On fait lecture d'une lettre du roi.

Jecharge, monsieur le président, le ministre de la justice deremettre à l'assemblée nationale, suivant l'article VIII de la section II du chapitre IV de la Constitution, la proclamation que j'ai rendue sur l'arrêté du département, portant suspension provisoire du maire et du procureur de la commune de Paris. » Signé LOUIS; et plus bas, DEJOLY.]

— L'arrêt, daté de la veille, confirmait la suspension du maire et du, procureur de la commune de Paris. Ainsi le roi perdait

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