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la réveiller de sa léthargie. Lorsque l'assemblée nationale a prononcé cette formule, elle a voulu dire: En vain, nous faisons de bonnes lois, si le pouvoir exécutif ne les fait pas exécuter, s'il les entrave par des veto perfides, si des administrateurs corrompus conspirent avec la cour pour tuer la Constitution par la Constitution en vain des armées de soldats patriotes et valeureux exposent leurs vies en combattant, si l'on arrê e leur marche victorieuse, ou si on ne les envoie au combat que pour les faire succomber sous un nombre d'ennemis double du leur. Dans des circonstances aussi critiques, les moyens ordina res ne suffisent pas Français, sauvez-vous. ›

› Ou bien cette déclaration solennelle signifie ce que je viens de dire, ou bien elle ne serait qu'une trahison, en montrant à la nation les dangers auxquels elle est exposée, sans lui laisser la faculté de prendre les moyens qu'elle croira propres à la sauver. Déjà même, les ennemis de la liberté espèrent en faire un usage meurtrier, et, quand j'ai vu à la suite de cette déclaration, un Vaublanc proposer une adresse à l'armée, je me suis dit : puisque cette formule n'effraie pas certaines gens, il faut qu'ils espèrent en tirer parti.

› Ces hommes vous diront: La patrie est en danger, il est vrai; mais, d'où viennent les dangers de la patrie? Est-ce de la part de la cour? Non, car elle veut la Constitution et l'obéissance aux lois. Est-ce de la part des prêtres qui fomentent le feu de la guerre civile? Non, car que peuvent des êtres isolés privés de tout moyen de séduction. Est-ce de la part de la noblesse qui voudrait recouvrer ses priviléges? Non, car ces nobles sont à la tête de vos armées pour soutenir la cause de l'égalité. Si la patrie est en danger, c'est de la part des citoyens réunis en sociétés pour surveiller la conduite des fonctionnaires qu'ils se sont choisis; c'est de la part du peuple, qui ne veut pas qu'on le mène en aveugle; c'est de la part des magistrats du peuple, qui n'ont pas voulu vendre ou leurs talens, ou leur silence aux conspirateurs. Ainsi, ces hommes ne seront pas gênés par cette formule; ils l'interpré

teront comme ils interprètent la Constitution, dans laquelle ils trouvent les moyens de la détruire.

› Pour nous, qui ne voulons que le bien général de l'humanité, la patrie est en danger, parce qu'il existe une cour scélérate et inconvertissable; la patrie est en danger, parce que l'idolâtrie et la séduction ont procuré à cette cour des administrateurs assez vils pour se prosterner devant elle, et qui, à peine sortis de ces assemblées où ils flattaient le peuple pour obtenir des places, sont assez vils, comme les administrateurs de la Somme, du Pas-deCalais et autres, pour entrer dans une fédération coupable avec la cour contre la liberté. La patrie est en danger, parce que, sur la base de la liberté, s'est élevée une classe aristocratique d'hommes qui n'ont cherché qu'à convertir leurs frères en cannibales; parce qu'il existe un état-major qui, quoique licencié par l'assemblée nationale, subsiste encore pour conspirer.

› Comment la patrie ne serait-elle pas en danger, quand un général, qu'on a cru le général des Français, et qui n'est que celui de la cour de Vienne, dont il épouse les intérêts et emprunte le langage, foule aux pieds la nation française en insultant ses représentans? Comment la patrie ne serait-elle pas en danger, quand un tel homme circonvient de ses émissaires et de ses complices, un autre général, lorsque les flammes de Courtrai sont les seuls gages que nous donnons de notre attachement aux Brabançons, lorsque ce Jarry reste impuni, que nous abandonnons nos conquêtes, et que nous donnons le temps aux puissances ennemies de rassembler leurs forces?

› Voilà, de l'avis de la nation, la cause de nos dangers. Nos dangers ne cesseront donc que lorsque cette cause sera extirpée. Si l'on avait frappé ce général, auteur de tous nos maux, la guerre serait terminée; le Brabant serait libre; il y aurait longtemps que tous ces petits électeurs seraient sans trône et sans sujets; la liberté serait fermement établie sur les bords du Rhin et de l'Escaut, et formerait une barrière impénétrable d'hommes libres autour de nos frontières.

› La liberté sera en danger tant que La Fayette sera à la tête

de nos armées, tant que l'administration des départemens sera confiée à des hommes assez impudens pour oser honorer de leur persécution les magistrats que seuls le peuple honore de son estime.

› J'espère qu'avant trois jours nous serons délivrés de notre plus dangereux ennemi, qu'un décret nous aura fait justice de La Fayette, car, sans ce décret, comment pourrions-nous entreprendre de combattre pour la liberté? Osons nous flatter encore que ces directoires rebelles, sinon contre l'autorité de la cour, au moins contre la souveraineté du peuple, n'existeront pas. Espérons qu'au sein même de l'assemblée nationale, des hommes qui doivent au peuple toute leur existence, n'oseront pas diviser la nation en côté autrichien et en côté français.

› Si, dans un mois, la patrie est encore en danger, si l'état des choses n'est pas entièrement changé, il ne faudra pas dire alors la nation est en danger, il faudra dire la nation est perdue. J'ai toujours été l'apôtre de la Constitution, le défenseur des lois; mais la première des lois est celle sur laquelle repose la Constitution, l'égalité, la liberté. Il faut donc la Constitution décrétée; mais il la faut tout entière, religieusement observée pour le salut du peuple, sans quoi le mot Constitution ne devient plus qu'un mot de ralliement pour les factieux qui voudraient s'en emparer pour combattre la liberté. C'est dans ces principes que j'ai rédigé une adresse aux fédérés, dont je vais faire lecture à la société, si elle le trouve bon. ›

M. Robespierre lit son adresse au milieu des applaudissemens. L'impression, l'affiche, la distribution aux députés de l'assemblée nationale, aux membres de la société, aux citoyens des tri bunes, et l'envoi aux sociétés affiliées, sont décrétés. (Journal des Jacobins, n. CCXXX.)

Le Journal des Jacobins ne contient point cette adresse : mais elle fut insérée dans le Défenseur de la Constitution. Nous la donnerons plus tard; c'est par-là que nous ouvrirons notre description de la fête de la fédération.

C'est ainsi que l'on écrivait et que l'on parlait dans Paris;

tels furent les discours que la déclaration solennelle de l'assemblée mit à l'ordre du jour, et que l'on entendit, depuis ce moment, sortir de toutes les bouches patriotes. Chacun se demandait par quels moyens la patrie pouvait être sauvée : les obstacles étaient nombreux et menaçans; les dangers étaient évidens; mais les moyens de vaincre étaient incertains, ou plutôt encore inconnus; on doutait du corps législatif : son action était restreinte aux lois de la constitutionnal té. Les patriotes ne pouvaient entraîner la majorité qu'à condition de s'y soumettre. Sans doute, il y avait assez de colère pour faire une insurrection; mais où étaient les chefs? quel serait le jour, l'heure? La prudence ne paraissait pas moins nécessaire que le courage; car un seul échec pouvait tout perdre; et l'on voyait les obstacles plus grands que les forces dont on disposait, plus grands qu'ils n'étaient en réalité. L'exaspération était donc extrême; elle s'accroissait par la difficulté même de se satisfaire. Mais pour la comprendre tout entière il faut jeter un regard en arrière, et recueil.ir des faits qui ne furent ni sans influence sur les déterminations de l'assemblée, ni sans résulta's sur l'opinion.

D'abord un échec éprouvé sur la frontière du nord vint confirmer les sinistres présages qu'une partie des patriotes avaient eus de la guerre; et dans la prévention de méfiance qui avait saisi tous les esprits, on vit dans cet accident un acte de trahison. Nous avons dit que le ministère Roland, voulant acquérir l'alliance des Belges, et se croyant sûr d'une insurrection que lui promettaient les réfugiés de ce pays, avait ordonné à l'armée du Nord, commandée par Lukner, de franchir la frontière et de prendre une position offensive propre à favoriser et à receuillir le résultat des mouvemens de la population des Pays-Bas. En conséquence, l'armée du centre, commandée par La Fayette, fut rapprochée de Valenciennes, afin d'appuyer cette manoeuvre, et Lukner fit successivement occuper Menin, Ypres, et Courtrai, sur la Lys. L'insurrection qu'on espérait n'eut cependant pas lieu ; loin de là, les paysans tiraient sur nos patrouilles et arrêtaient nos convois : cependant quelques centaines de patriotes brabançons vinrent seulement rejoindre

nos avant-postes; ce fut l'unique gain de cette offensive. Le 28 juin au soir, les Autrichiens attaquèrent les faubourgs de Courtrai, du côté de la porte de Gand. Ils furent repoussés après avoir perdu quelques hommes. Le lendemain, vers trois heures du matin, l'ennemi se représenta de nouveau; il fut repoussé de nouveau, mais avec une perte assez considérable; ils se bornèrent alors à occuper quelques maisons du faubourg d'où ils tiraillèrent, et à tirer des coups de canon sur la ville. Pour les déloger, le maréchal de camp Jarry fit mettre le feu, non-seulement à ce faubourg, mais à tous les autres, à ceux de Lille et de Tournai. Le maréchal Lukner accourut, et fit évacuer la position de Courtray: le 30 juin, l'armée avait entièrement repassé les frontières et campait sous le canon de Lille.

L'assemblée législative eut une connaissance officielle de cet événement, dans la séance du 3 juillet, par une lettre du maréchal Lukner, qui, désapprouvant l'ordre du général Jarry, proposait d'indemniser les incendiés; l'assemblée adopta en principe ce moyen de réparer, autant qu'il était en elle, un dommage regardé comme inutile, et qu'on évaluait à un million de francs. Le lendemain, 4 juillet, elle convertit ce pfincipe en décret, et assigna provisoirement une indemnité préalable de 300,000 liv.

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» Voilà donc, s'écriaient les journaux patriotes, les adieux que notre armée fait aux Belges, que jusqu'alors elle avait traités en frères!» On ne vit point dans cet incendie, une mesure seulement inutile ou impolitique, on crut y apercevoir un acte de trahison médité, pour nous aliéner le cœur des Belges. On dénonça le général Jarry aux Jacobins, et le journal de Brissot répéta la dénonciation.

« On nous a demandé, disait le Patriote Français, des renseignemens sur le caractère et la conduite du sieur Jarry, incendiaire des faubourgs de Courtrai; en voici quelques-uns, qui nous sont fournis par une personne sûre, qui les signera, quand elle en sera requise. Les journaux doivent être ouverts aux renseignemens pour et contre; c'est la manière d'instruire le public. > Il paraît que cet acte de férocité a été préparé, et qu'on a 24

T. XV..

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