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prendrait rien de plus qu'il n'en apprit au corps législatif. Cette exposition n'eut d'autre valeur que de confirmer, par un aveu venu de haut, ce que depuis plusieurs jours les patriotes ne cessaient de répéter.

[Marine. Dès le mois de janvier, disait le ministre, onze frégates, huit corvettes, huit avisos et deux chaloupes canonnières furent disposées pour faire des croisières. Quatre vaisseaux de soixante-quatorze canons furent armés depuis, l'un à Brest, et trois autres à Toulon.

› La guerre ayant été déclarée, douze vaisseaux et une frégate furent mis en armement pour être employés dans un cas imprévu. Sept bâtimens vont être prêts à se réunir; nous avons encore dans les différentes mers, cinq vaisseaux de soixante-quatorze canons, cinq frégates, dix corvettes, dix avisos, treize flûtes ou gabarres; nous avons à flot cinquante-deux vaisseaux, trentesept frégates, dix avisos, cinq chaloupes canonnières, treize flûtes ou gabarres, dont la majeure partie est en état d'être armée promptement; mais il n'est question ici que de la situation matérielle de la marine. De grandes difficultés se présentent sur la formation des équipages, sur les états-majors, etc. Les matricules des gens de mer présentent soixante mille hommes, mais ils n'existent réellement pas; les obstacles qu'éprouvent les agens rendent ces moyens en partie illusoires. Quant aux états-majors, on a donné tous les ordres nécessaires pour leur formation, et sous peu nous aurons des moyens pour un armement assez considérable.]

Quant aux colonies, le ministre annonçait que les forces, soit en milices soit en troupes, à Saint-Domingue, pouvaient être évaluées de treize à quatorze mille hommes. L'État avait sur les côtés de cette île, cinq vaisseaux, dix frégates, dix corvettes, quatre avisos, six flûtes ou gabarres. A la Martinique, il annonçait cinq mille hommes tant de milice que de ligne, un vaisseau, deux frégates, une corvette, deux flûtes ou gabarres, quatre avisos. Dans les établissemens au-delà du Cap de Bonne-Espérance, il y avait trois mille hommes et trois frégates. Aux îles

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Saint-Pierre et Miquelon, il y avait quatre cents hommes, une frégate, un aviso.

[Guerre.- Deux cent soixante-onze mille hommes forment la force totale et effective de nos armées, tant en troupes de ligne que volontaires nationaux; mais nous avons dix-sept mille quatrecents hommes dans les colonies. D'après les derniers ordres donnés, il n'en reste que onze mille huit cents, tant de ceux qui sont encore dans quelques garnisons de l'intérieur que ceux qui sont répandus sur deux cent soixante lieues de côtes, et qui forment la garde des ports et des arsenaux. En sorte que nous n'avons de disponible que deux cent quarante-huit mille hommes distribués en quatre armées, dont trois sont sur les frontières menacées; la quatrième est dispersée dans le midi, et garde aussi la Corse pour s'opposer aux entreprises d'une puissance voisine qui, si elle ne médite pas une invasion prochaine, s'occupe au moins de faire une diversion dans cette partie. A la fin de ce mois, à l'époque où tous les renforts seront arrivés à leur destination, et où la composition des armées sera finie pour les deux cent quarante-huit mille hommes disponibles, il y aura dans l'armée du nord, pour garder quarante-cinq lieues de frontières, quarante-cinq mille hommes; dans celle du centre, pour cinquante lieues de frontières, cinquante mille hommes; dans celle du Rhin, pour soixante-dix lieues de frontières attaquables, cinquante-cinq mille hommes; enfin dans le midi, pour quatrevingt-cinq lieues de frontières depuis Genève jusqu'à la mer et aux Pyrénées, quarante mille hommes. Total cent-quatre-vingtdix mille hommes. Le reste est employé à la garde des places. Ce total ne pourra être mis en action qu'autant que l'assemblée décrétera la formation des compagnies volontaires pour remplacer les garnisons. Reste-t-il quelque force disponible qui n'ait pas reçu une destination? Non. ]

Le ministre termina la lecture de son rapport en annonçant que dans un tel ordre de choses, ou plutôt dans un tel renversement de tout ordre, il leur était impossible d'entretenir la vie et le mouvement d'un vaste corps dont tous les membres son! paralysés;

qu'il n'était pas en leur pouvoir de défendre le royaume de l'anarchie qui, dans cet état d'impuissance publique, menaçait de tout engloutir. En conséquence, ajoutait-il, le ministère en masse avait donné le matin sa démission au roi. » Après ces mots, les ministres sortirent brusquement de la salle.

tous

Cette nouvelle fut accueillie par les applaudissemens unanimes des tribunes. Quelques membres du côté gauche donnèrent les mêmes signes de satisfaction. Mais, la grande majorité resta plongée dans un profond silence, et comme frappée de stupeur. La tribune resta assez long-temps inoccupée; chacun semblait attendre un avis qui ne se présentait pas. Enfin, pour y mettre un terme, le président appela M. Koch rapporteur du comité diplomatique. Celui-ci vint rendre longuement compte de la situation des affaires étrangères. Ce travail n'était que le résumé des événemens que nous avons vus se dérouler sous nos yeux; il nous a paru surabondant de l'insérer ici. La conclusion seule mérite d'être rapportée, car elle vint accroître encore l'état d'anxiété où la démarche des ministres avait plongé l'assemblée législative. Telle est, en un mot, notre situation politique, dit M. Koch en terminant. Nous avons beaucoup d'ennemis, peu d'alliés sûrs, et très-peu d'amis. ›

Certainement, dans tout ce qui venait d'être dit il n'y avait que trop de vérité; mais on n'avait présenté que le mauvais côté de la situation, et mis sous le silence les ressources dont la vue pouvait changer les tristes présages en espérances fondées. Aussi nous est-il impossible de ne pas voir, dans cette exagération du mal, l'effet d'un projet arrêté pour pousser l'assemblée à des mesures extrêmes. Les deux partis opposés qui partageaient alors la France, la cour et les patriotes, étaient d'accord dans ce but. C'est à cause de cela sans doute, que le rapporteur du Comité diplomatique vint accroître et non atténuer l'effet de la brusque retraite des ministres.

Quoi qu'il en soit, à peine M. Koch avait il quitté la tribune, que M. Lamourette vint proposer d'ajourner la déclaration de la patrie en danger.

[› Le meilleur moyen, dit il, de résister à l'ennemi, est dans l'union du corps législatif avec le roi, dans le concert suivi entre les deux pouvoirs, dans le rétablissement de la discipline militaire, et dans la cessation des troubles intérieurs, des désordres de l'anarchie, et de toutes ces méfiances réciproques qui, en diminuant nos forces, contribuent à augmenter l'audace des ennemis. Abjurez les haines et les divisions; et au lieu de déclarer que la patrie est en danger, vous pourrez proclamer qu'elle est

sauvée.

> Je propose donc : 1° d'envoyer une adresse dans les départemens, avec un extrait du procès-verbal de la séance de samedi, pour inviter tous les citoyens à se réunir, à l'imitation des membres de l'assemblée;

» 2o D'ordonner de grands préparatifs en armes et provisions de toute espèce, pour armer quatre cent cinquante mille hommes;

› 3o D'envoyer des commissaires aux frontières pour examiner l'état de nos forces, et en faire un rapport qui puisse enfin ne laisser plus de doute dans les esprits sur notre véritable position;

» 4o De prononcer, de concert avec le roi, la cessation de toute espèce de recherches sur les troubles du 20 juin. » ]

A l'évêque de Lyon, succéda M. Lamarque, organe de l'opinion contraire; il demanda avec chaleur qu'on n'ajournât pas davantage la déclaration de la vérité, et qu'on cessât d'hésiter à remettre aux mains et au courage de la nation le salut de sa propre cause.

L'assemblée, en effet, décida qu'elle entendrait le lendemain un rapport définitif sur la question, et les comités diplomatique, militaire, et la commission des douze furent invités à s'entendre et à réunir leurs avis.

Le lendemain 11, après un rapport de Hérault, fait au nom de trois comités, le danger de la patrie fut enfin décrété en ces

ter.nes :

[ Acte du Corps législatif.

Des troupes nombreuses s'avancent vers nos frontières. Tous

ceux qui ont en horreur la liberté, s'arment contre notre Constitution.

CITOYENS, LA PATRIE EST EN DANGER.

Que ceux qui vont obtenir l'honneur de marcher les premiers pour défendre ce qu'ils ont de plus cher se souviennent toujours qu'ils sont Français et libres; que leurs concitoyens maintiennent dans leurs foyers la sûreté des personnes et des propriétés; que les magistrats du peuple veillent attentive nent; que tous, dans un courage calme, attribut de la véritable force, attendent, pour agir, le signal de la loi, et la patrie sera sauvée. » L'assemblée, en même temps, décréta une adresse aux citoyens, et une autre à l'armée.

L'assemblée nationale à l'armée française.

⚫ Braves guerriers! l'assemblée nationale vient de proclamer le danger de la patrie; c'est proclamer la force de l'empire, c'est annoncer que bientôt la jeunesse française se portera sous les drapeaux de la liberté : vous l'instruirez à vaincre; vous lui montrerez le chemin de la gloire. Au signal du danger de la patrie, vous sentez redoubler votre ardeur. Guerriers! que la discipline en dirige les mouvemens; elle seule garantit la victoire. Ayez ce courage calme et froid que doit vous donner le sentiment de vos forces. Une véritable armée est un corps immense mis en mouvement par une seule tête. Il ne peut rien sans une subordination passive de grade en grade, depuis le soldat jusqu'au général. Guerriers, imitez le dévouement de d'Assas et le courage du brave Pie; méritez les honneurs que la patrie réserve à ceux qui combattent pour elle: ils seront dignes d'elle, dignes de vous!

› N'oubliez pas que c'est votre Constitution qu'on attaque. On veut vous faire descendre du rang glorieux des peuples libres. Eh bien ! braves guerriers, il faut que la Constitution triomphe, ou que la nation française se couvre d'une honte ineffaçable. De toutes parts vos concitoyens se disposent à vous seconder. › N'en doutez pas, il n'est aucun Français qui balance. Il n'en

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