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tarir, à quelque prix que ce soit, c'est la division de l'assemblée nationale. La position du corps législatif est le véritable thermomètre de la nation; c'est ici qu'est le levier qui meut la grande machine de l'état, et qui, lorsqu'il est mal dirigé, produit la complication de mouvement qui la détruit. Eh quoi! vous tenez dans vos mains la clef du salut public; vous cherchez péniblement ce salut dans des lois incertaines, et vous vous refusez aux moyens de rétablir dans votre propre sein la paix et l'union!

J'ai souvent entendu dire que ce rapprochement est impraticable; et ces mots m'ont fait frémir. Je les ai regardés comme une injure faite à tous les membres de l'assemblée; jamais rapprochement n'est impraticable, si ce n'est entre les vices et les vertus. Il n'y a que l'honnête homme et l'homme méchant qu'il ne faille point assurer d'assortir et de concilier pour la conduite d'une œuvre honnête et utile au bonheur commun. Mais pour les gens honnêtes, ils ont beau être divisés d'opinions, et se débattre sur les moyens de parvenir au même but, il n'entre jamais ni passions, ni haines dans leurs discussions, parce qu'ils ont une unité de fins, qu'ils sont sûrs l'un de l'autre, et qu'après avoir manifesté des opinions divergentes, éclairés par une discussion franche, ils se rencontrent toujours au point de la probité et de l'honneur. (Il s'élève de nombreux applaudissemens.) Oui, il ne tient qu'à vous de vous ménager un moment bien beau et bien solennel, et d'offrir à la France et à l'Europe un spectacie aussi redoutable pour vos ennemis, que doux et attendrissant pour tous les amis de la liberté. Ramenez à l'unité de la représentation nationale cette assemblée, actuellement affaiblie par une scission malheureuse. Pour parvenir à cette réunion, il suffit de s'entendre.

A quoi se réduisent en effet toutes ces défiances? Une partie de l'assemblée attribue à l'autre le dessein séditieux de vouloir détruire la monarchie. Les autres attribuent à leurs collègues le dessein de vouloir la destruction de l'égalité constitutionnelle, et le gouvernement aristocratique connu sous le nom des deux chambres. Voilà les défiances désastreuses qui divisent l'empire.

Eh bien! foudroyons, messieurs, par une exécration commune, et par un irrévocable serment, foudroyons et la république et les deux chambres. (La salle retentit des applaudissemens unanimes de l'assemblée et des tribunes, et des cris plusieurs fois répétés Oui, oui, nous ne voulons que la Constitution.) Jurons de n'avoir qu'un seul esprit, qu'un seul sentiment, de nous confondre en une seule et même masse d'hommes libres, également redoutables et à l'esprit d'anarchie et à l'esprit féodal; et le moment où l'étranger verra que nous ne voulons qu'une chose fixe et que nous la voulons tous, sera le moment où la liberté triomphera, et où la France sera sauvée. (Les mêmes applaudissemens recommencent et se prolongent.) Je demande que M. le président mette aux voix cette proposition simple: Que ceux qui abjurent également et exècrent la république et les deux chambres, se lèvent. ( Les applaudissemens des tribunes continuent.)

L'assemblée se lève tout entière. - Tous les membres simultanément, et dans l'attitude du serment, prononcent la déclaration de ne jamais souffrir, ni par l'introduction du système républicain, ni par l'établissement des deux chambres, aucune altération quelconque à sa Constitution.- Un cri général de réunion suit ce premier mouvement d'enthousiasme.-Les membres assis dans l'extrémité du ci-devant côté gauche, se levant par un mouvement spontané, vont se mêler avec les membres du côté opposé. Ceux-ci les accueillent par des embrassemens, et vont à leur tour se placer dans les rangs de la gauche. - Tous les partis se confondent; on ne remarque plus que l'assemblée nationale.

Plusieurs instans se passent dans des communications fraternelles. On voit assis sur les mêmes bancs MM. Jaucourt et Merlin, Dumas et Bazire, Albite et Ramond. - Plus loin MM. Gensonné et Calvet, M. Chabot avec M. Genty abjurent entre eux les défiances réciproques, et semblent par la cordialité de cette réunion vouer à l'oubli jusqu'à la dénomination des sectes et des partis.

Les spectateurs attendris mêlent leurs acclamations aux ser

mens de l'assemblée. La sérénité et l'allégresse sont sur tous les visages, et l'émotion dans tous les cœurs.

Dans cette confusion de personnes et de sentimens, un seul cri de ralliement se fait entendre, celui de la Constitution et du danger de la patrie.

M. Emery. Quand l'assemblée est réunie, tous les pouvoirs doivent l'être. Je demande donc que l'assemblée envoie sur-lechamp, au roi, par une députation de vingt-quatre membres, l'extrait de son procès-verbal.

La proposition de M. Émery est adoptée.

M. Brissot. Après le spectacle touchant de réunion que l'assemblée vient de donner, je craindrais, en prononçant le discours que j'avais préparé, de faire naitre quelques haines. La fraternité que nous venons tous de jurér, et qui est dans mon cœur, me force à le revoir, pour pouvoir en effacer toutes les lignes qui rappelleraient des divisions maintenant anéanties. (On applaudit.)

Je demande donc, comme je ne puis faire le sacrifice des nouvelles mesures que j'ai à proposer pour la sûreté générale du royaume, et qu'elles me paraissent impérieusement commandées par les circonstances critiques où nous nous trouvons, je demande à vous les proposer demain.

M. Bazire. Ce moment devant être celui du rétablissement de la paix dans tout le royaume, sera une époque bien heureuse pour la révolution; mais c'est surtout sur la tranquillité de Paris qu'il peut produire un plus prompt et plus sûr effet. Je demande donc que l'assemblée appelle tous les corps administratifs de Paris, qu'elle leur fasse lire par le président le procès-verbal de cette séance, et qu'elle le charge de le transmettre à leurs concitoyens.

M. Cornot le jeune. Je demande que l'assemblée appelle aussi les corps judiciaires, et qu'elle leur dise qu'elle veut d'une volonté ferme la Constitution et l'exécution entière de toutes les lois. (On applaudit.) Que ce n'est que de cette manière que nous pourrons combattre nos ennemis intérieurs et extérieurs; que jusqu'à ce 22

T. XV.

jour la Constitution a été écrite, qu'il faut enfin qu'elle s'exécute. Les propositions de MM. Bazire et Carnot sont unanimement adoptées.

Une légère discussion s'élève sur la rédaction de ce décret.

M. Bazire. La manière dont M. Carnot a présenté sa proposition, ferait croire que ce n'est que de ce jour que vous voulez que la Constitution soit exécutée; tandis que tel a toujours été le vœu et la volonté de l'assemblée. La grande affaire n'est pas de rétablir les principes que nous n'avons jamais abandonnés. Cela ne tendrait qu'à faire suspecter la fidélité de l'assemblée à la Constitution qu'elle a juréc. Ce qui doit être l'objet principal de votre décret, c'est l'anéantissement de toutes les défiances injustes; c'est d'annoncer au peuple, par l'organe des ses magistrats, la réunion fraternelle qui vient d'avoir lieu; cette réunion, qui d'abord s'est faite entre les hommes publics, doit se faire ensuite entre tous les citoyens. C'est uniquement cela que nous devons mettre dans notre arrêté.

M. Genty. J'appuie les excellentes observations de M. Bazire, et en même temps je voudrais que le président engageât les membres des corps administratifs à suivre l'exemple que vient de leur donner l'assemblée nationale.

Les propositions de MM. Bazire et Genty sont adoptées. Le décret est en conséquence rédigé en ces termes : L'assemblée nationale décrète que le département, la municipalité et les tribunaux institués dans la ville de Paris, seront invités à se rendre à la séance de ce soir.

M. le président, après leur avoir fait donner lecture de l'extrait du procès-verbal de ce matin, leur déclarera que la volonté unanime de l'assemblée nationale, ayant toujours été d'assurer d'une manière inébranlable la liberté et la Constitution, que tous les citoyens ont juré de maintenir, ainsi que de veiller à la pleine et entière exécution des lois, elle les invite, au nom de la patrie, à redoubler de zèle et d'activité pour le service des fonctions qui leur sont déléguées par la Constitution, et à offrir, par leur con

duite l'exemple de l'union que l'assemblée nationale vient de donner à tout l'empire.

Un de MM. les secrétaires lit le procès-verbal.-L'assemblée en approuve la rédaction, et ordonne qu'il sera envoyé avec le discours de M. Lamourette dans les quatre-vingt-trois départemens. M. Condorcet entre dans la salle.-M. Pastoret, placé dans l'extrémité du ci-devant côté gauche, va au-devant de lui et l'embrasse. On applaudit (1).

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M. le président procède à la nomination des vingt-quatre commissaires chargés de porter le procès-verbal de réunion chez le roi; et aussitôt, la députation sort de la salle pour se transporter au château.

M. le président annonce qu'une députation de la municipalité de Paris demande à se présenter à la barre.

L'assemblée décide qu'elle sera introduite à l'instant.

M. Osselin, orateur de la députation, lit un arrêté par lequel le conseil général de la commune sollicite de l'assemblée une prompte décision relativement à la suspension prononcée par le conseil général du département contre M. Pétion, maire, et M. Manuel, procureur de la commune.-Il lit ensuite une adresse signée individuellement par les membres du corps municipal dont voici la substance:

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Législateurs, les motifs de la suspension du chef de notre municipalité sont tous puisés dans la conduite que la municipalité a tenue, et nous pensons sincèrement que cette conduite a sauvé

a) Extrait de la Chronique, article assemblée nationale, rédigée par M. Condorcet. M. Pastoret a parlé le premier (sur la situation générale de l'empire), mais il a aissé cette grande tâche à remplir à ceux qui voudraient parler après lui. Il a fini on discours par une invitation à l'union entre les membres du corps législatif; mais comme il n'a point dit sur quoi devait porter cette union, quelle conformité de principes devait la cimenter, chacun des membres est resté dans l'idée qu'il avait auparavant, tant sur l'état actuel des choses, que sur M. Pastoret lui-même, Lettre insérée dans le Journal de Paris, du mercredi 4 juillet.— A M. Condorcet. On vient de me montrer, monsieur, les injures dont vous m'honorez dans le plåt libelle où, pour 15 liv. par jour, vous outragez tous les matins la raison, la justice et la vérité. Je m'empresse de vous en témoigner ma reconnaisance.

EMMANUEL PASTORET. »

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