Page images
PDF
EPUB

puissance nouvelle, entre les représentans du peuple et le roi, entre eux et la nation.

Vous sentez combien il le serait plus encore, si, désertant son poste devant l'ennemi, il venait audacieusement, au nom de ses soldats, dicter les conditions auxquelles ils voudront bien servir la patrie, et placer les dépositaires de la volonté nationale entre leur devoir et la crainte de voir les frontières abandonnées. Et que deviendraient d'ailleurs cette confiance universellé, cette discipline, ce concert de volontés nécessaires dans les armées, si les généraux eux-mêmes les agitaient par des discussions politiques, les tourmentaient de leurs factions personnelles?

Que cet exemple dangereux qui vient de souiller la quatrième année de la liberté française, vous éclaire du moins sur l'avenir. Défendez toute adresse, toute pétition du chef quelconque d'une force armée, si elle n'a pour objet, ou ses intérêts particuliers, ou les fonctions de son emploi. Défendez surtout à un général toute négociation, toute proposition de paix ou d'accommodement avec une puissance ennemie, s'il n'y est spécialement autorisé sous les formes constitutionnelles, et si le corps législatif n'en a été instruit par le roi, à qui seul la Constitution donne le droit d'entamer des négociations.

Éloignons de nous pour jamais cette influence du pouvoir militaire, qui déjà tant de fois a perdu la liberté, où l'a étouffée dès sa naissance. Rappelons-nous les attentats de ces généraux romains, qui détruisirent la république après l'avoir long-temps opprimée, et qui se vantaient aussi de maintenir les lois et d'assurer l'obéissance aux magistrats légitimes. Rappelons-nous qu'en écrivant au sénat, César parlait aussi du droit de résister à l'oppression. Rappelons-nous ce double exemple donné dans un si court espace de temps par l'Angleterre, où, après qu'un général cut détruit par lui-même la liberté qu'il avait d'abord servie, un autre général fit encore semblant de la servir, pour la sacrifier plus lachement à un roi.

Mais tous ces moyens, messieurs, c'est notre union scule qui peut feur donner une force imposante. Il ne s'agit point ici de

sacrifier nos opinions ou nos sentimens, mais de ne plus retarder, de ne plus troubler par nos passions une activité, un ensemble de conduite nécessaires au salut public.

Le parti du ministère de 1791, si puissant dans l'assemblée constituante pendant les derniers mois de sa session, a voulu exercer son influence parmi nous : s'il n'a pu nous gouverner, il est du moins parvenu à nous diviser. C'est lui qui, au lieu de chercher dès l'instant de l'acceptation du roi, à dissiper les rassemblemens des émigrés, à dissoudre la ligue des puissances étrangères, n'a vu, dans ces dangers de la pa rie, que des moyens utiles à ses projets. C'est lui qui, par sa négligence et ses ménagemens pour des traitres, a su atténuer et retarder tous nos moyens de défense. C'est lui qui, par ses insinuations secrètes, comme par sa conduite publique et par ses écrivains mercenaires, est parvenu à faire regarder dans les pays étrangers la France entière unie pour la défense de la liberté, comme une faction tyrannique, odieuse à la nation même. C'est lui qui, après avoir accusé les amis de l'égalité de vouloir détruire la Constitution, forcé de renoncer à cette calomnie, devenue trop absurde, s'élève aujourd'hui hautement contre cette même Constitution, et cherche, en insinuant la nécessité d'une seconde chambre, à semer la discorde entre les pauvres et les riches, entre les citoyens propriétaires et ceux qui ne le sont pas. C'est lui qui s'est constamment opposé à toutes les mesures nécessaires pour réprimer le fanatisme, assurer la tranquillité intérieure, effrayer les conspirateurs, et par conséquent non moins néces saires pour dissiper les craintes, pour calmer les esprits, pour ramener la paix. C'est lui qui, dans la capitale, dans les départemens, a mis la division entre les corps administratifs et les municipalités ; qui cabale dans nos armées comme dans nos villes, dans les sociétés particulières, et jusqu'au sein de nos familles. C'est lui qui, en persécutant les sociétés populaires, parce qu'elles ont su le démasquer, parce qu'elles sont le plus grand obstacle aux projets des ennemis de l'égalité, a perpétué dans ces sociétés l'agitation et l'esprit de défiance. C'est lui qui, multipliant sans

cesse les calomnies et les fausses accusations, a répandu partout l'inquiétude et le trouble; également coupable, et du mal qu'il fait directement, et de celui que peuvent commettre les citoyens tourmentés par ses manoeuvres, indignés de ses perfidies.

C'est lui qui, dès les premiers jours de votre réunion, et même dans ceux qui l'ont précédée, irrité de vous trouver fermes, vigilans, incorruptibles, s'est occupé sans relâche d'avilir cette assemblée nationale, autour de laquelle il craignait de voir la nation entière se rallier. C'est lui qui nous reproche d'avoir voulu la guerre, et qui seul est parvenu à la rendre inévitable. C'est ce parti qui, se plaignant sans cesse de l'inexécution des lois, du peu de respect pour les autorités établies, de l'agitation des esprits, des mouvemens irréguliers du peuple, est lui-même la véritable cause de ces maux qu'il exagère. C'est lui enfin, qui, calomniant le peuple au lieu de le rassurer, le menaçant au lieu de l'éclairer, ne veut d'esprit public qu'avec l'anarchie, ou de soumission à la loi qu'avec l'avilissement et la terreur. Et dans ce moment, messieurs, n'est-ce pas encore à ce même parti qu'il faut attribuer, et toutes les perfidies du ministère actuel, et toutes les cabales qui agitent nos armées? Balanceriez-vous entre quelques hommes et la patrie? Rappelez-vous ce jour où la liberté de Rome fut sauvée encore une fois, où l'on vit le sénat agité par des factions, divisé par des haines, se réunir tout entier à la voix de l'orateur de la patrie, se séparer des complices de Catilina, et les laisser seuls étonnés de leur solitude et de leur faiblesse.

Abjurons pour jamais cette cause fatale de nos divisions, de toutes celles qui peuvent troubler la France. Unissons-nous pour la pacifier et la défendre: son danger nous en fait un devoir sévère et pressant. Il nous faut des armées de réserve entre Paris et les frontières; il faut augmenter celles qui les défendent; il faut des agens du pouvoir exécutif à qui la confiance du peuple permette d'agir avec activité, et sur qui l'assemblée puisse se reposer des détails; il faut que le désir de nous gouverner de loin, disparaisse enfin de nos armées, et cesse d'y entretenir le désordre et l'inaction. Voilà ce qui demande tous nos soins, toute

notre vigilance; voilà les objets pour lequels nous devons réunir toutes nos forces. La patrie est en péril; c'est à elle, c'est à elle seule que nous devons désormais appartenir tout entiers.

Opposons aux ennemis du peuple la force imposante du vœu unanime de ses représentans.

Portons au roi les véritables sentimens de la nation française; qu'il apprenne de nous à quel point il est trompé, et par le parti de ses anciens ministres, et par ces conseillers plus secrets, dont cé parti n'est peut-être lui-même que l'instrument crédule.

[ocr errors]

Montrons-lui qu'il ne peut espérer de tranquillité ou d'honneur qu'en défendant franchement, hautement avec nous la cause de la liberté, qu'en unissant ses sentimens, et sa volonté aux sentimens, à la volonté de la nation.

Osons espérer encore qu'il sera touché des maux auxquels il expose la patrie, et que nous ne le trouverons pas insensible à a gloire de la sauver.

Projet de message au roi, lu par Condorcet, à la suite de son discours. (

Sire, les représentans du peuple ont juré de vous être fidèles ; et ce serment ne peut être pour eux que celui de vous dire la vérité.

En acceptant la constitution vous n'avez pu séparer les pouvoirs qu'elle vous donne des devoirs qu'elle vous impose; et l'obligation de désavouer par un acte formel toute force armée employée en votre nom contre la nation française est le premier et le plus sacré de ses devoirs.

Sire, c'est en votre nom que le roi de Hongrie et ses alliés nous ont attaqués; c'est en votre nom que des Français rebelles ont sollicité leurs secours, et s'unissent à eux pour déso!er leur patrie; et ces Français rebelles ce sont vos parens, vos courtisans, ce sont ces officiers déserteurs qui se vantent de ne voir la patrie que dans vous seul! Le premier de nos ennemis étrangers vous est attaché par les liens du sang; votre nom se trouve mêlé toutes les conspirations qui se trament contre la liberté; et,

lorsque des circonstances si multipliées, si effrayantes se réunissent contre la sûreté de l'État, des conseillers pe: fides oseraient-ils vous tromper au point de vous persuader que par la proposition de la guerre, par une tardive notification aux puissances étrangères, vous avez satisfait au vœu de la loi, et qu'un acte formel, qui serait démenti par votre conduite, suffirait pour remplir vos obligations et vos sermens?

› Non, Sire, cet acte formel, si toutes vos actions n'y répondent point, ne peut être regardé que comme un outrage de plus à la nation, comme la violation, et non comme l'accomplissement de la loi.

› Et cependant, Sire, où sont les marques de votre indignation contre les Français rebelles qui, au dedans comme au dehors de l'empire, abusent de votre nom?

> Ne vous êtes-vous point opposé par des refus de sanction aux mesures de vigueur que l'assemblée nationale avait cru nécessaire d'employer contre les conspirateurs? Ces émigrés, qui se vantaient de soutenir votre cause, se sont assemblés paisiblement sur nos frontières, sous les yeux des envoyés de France nommés par vous, et vous avez gardé le silence! Ces émigrés ont fatigué toutes les cours de leurs intrigues; et vos désaveux timides, si même ils existent, ont été moins publics que leurs machinations; et quand l'assemblée nationale, à qui vous aviez laissé ignorer les dangers de l'État, s'est réveillée au bruit menaçant des armes étrangères, qu'a-t-elle appris de vos ministres, sinon l'aveu de leur inaction et de la nullité de leurs préparatifs?

9

› Ce ministère, dont l'inertie coupable avait multiplié nos ennemis et atténué nos moyens de défense; ce ministère, qui ne cachait même ni son indulgence pour les fanatiques séditieux, ni ses ménagemens pour les rebelles de Coblentz, ni sa prédilection pour l'alliance autrichienne; ce ministère, forcé de céder à l'indiguation publique, n'a disparu qu'en apparence, et, par une lettre, qu'au moment de sa chute il a eu la perfidie de vous faire souscrire, vous vous êtes en quelque sorte déclaré son complice! Les ministres patriotes, qui voulaient que la tranquillité intérieure

« PreviousContinue »