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nion de ces députés à Paris, tous les obstacles qui étaient en son pouvoir. Le ministre de l'intérieur avait été jusqu'à écrire à tous les directoires d'opposer même la force au passage des fédérés (Débats des Jacobins, n. CCXXV.) (1). On ne fondait donc l'espérance de leur venue que sur leur zèle, et sur les correspondances par lesquelles on l'excitait encore. Mais revenons à notre narration.

Les rixes politiques que mentionne le Patriote Français ne furent pas les seules qui troublèrent les promenades du dimanche. Il y en eut dans tous les lieux publics, aux Champs-Élysées, au Luxembourg, etc. Les uns criaient Vive le roi ! les autres Vive la nation! et souvent l'on finissait par se battre à coups de canne. Un homme fut grièvement blessé aux Champs-Élysées.

En même temps, on colportait des adresses des citoyens de Montpellier au roi et aux Parisiens. Nous allons les transcrire; on y verra que l'exaspération n'y était pas moindre qu'à Paris.

(1) Cette lettre est une pièce assez curieuse; car c'est une des mille preuves de l'opposition que la cour mettait aux mouvemens les plus raisonnables de l'opinion publique, de cette opposition aveugle par laquelle elle provoquait la révolte daps des choses qu'elle eût dû proposer la première, si elle n'avait pas absolument manqué d'habileté ou de franchise. Voici cette lettre :

Copie de la lettre écrite, le 30 juin 1792, par le ministre de l'intérieur, aux directoires des départemens.

<«< L'on m'annonce, messieurs, que, dans plusieurs départemens, des factieux, qui cherchent à tromper le peuple, voudraient rassembler et conduire à Paris, sous prétexte d'une fédération, des gens armés qu'on ne saurait y admettre sous aucun prétexte,

» L'article XX de la troisième section de la loi du 14 octobre, sur l'organisation de la garde nationale, porte que c'est dans le chef-lieu du district que le serment fédératif sera renouvelé chaque année, le 44 juillet, jour anniversaire de la fédération générale. L'article suivant veut qu'il ne soit fait à l'avenir aucune fédération particulière, et déclare tout acte de ce genre un attentat à l'unité du royaume et à la fédération constitutionnelle de tous les Français,

>> Un projet de loi avait été présenté au roi pour renouveler à Paris cette fédé ration, et pour former un camp de vingt mille hommes entre la capitale et les frontières.

>> Des considérations majeures n'ont pas permis au roi d'accéder à la mesure décrétée par l'assemblée nationale au sujet de la fédération, et sa majesté a présenté au corps législatif les moyens d'assurer la capitale contre les ennemis du dehors, en lui proposant de former en seconde ligne un camp de trente-trois mille hommes. Si l'assemblée nationale adopte cette mesure, les citoyens qui brûleut de combattre pour la patrie pourront non-seulement voir leur vœu accompli

Adresse des citoyens de Montpellier au Roi.

Roi des Français, lis et relis la lettre de Roland; elle contient tes devoirs et nos droits..... Nous défendrons la liberté que nous avons conquise..... Nous résisterons à l'oppression..... Nous punirons tous les traîtres. >

Lettre des mêmes à leurs frères les braves Parisiens.

Frères et amis, les citoyens des départemens espèrent de trouver en vous les hommes du 14 juillet: vous redoublerez de vigilance, vous couvrirez de votre égide les représentans du peuple; vous déjouerez les complots de tous les factieux, et vous rejetterez de votre sein les hommes perfides qui veulent vous inspirer des craintes sur notre réunion dans la capitale; cette réunion est décidée ; cette réunion est nécessaire pour le salut public, puisque nos ennemis la redoutent. » (Patriote Français, n. MLVI.)

et être utilement employés, mais dès ce moment ils peuvent s'inscrire sur les registres de leur municipalité pour joindre aux frontières leurs frères d'armes.

>> Ils sont donc bien coupables, ceux qui voudraient persuader au peuple que le décret relatif à la fédération a force de loi lorsqu'il n'est pas revêtu de la sanction royale, c'est par un acte de son autorité constitutionnelle que le roi a refusé de sanctionner ce décret, et ce serait laisser impunément violer la Constitution que de ne pas faire respecter l'exercice légitime du pouvoir royal.

» L'on m'a donné avis, messieurs, que de nombreux agitateurs se sont répandus dans tous les départemens, et qu'ils y emploient les plus funestes manœuvres pour faire quitter aux citoyens leurs utiles travaux, et les engager à se porter en foule dans Paris, le 14 juillet. Il est à craindre qu'une multitude de brigands, usurpant la qualité de gardes-nationales, et sous prétexte d'une fédération, inondent la capitale et troublent la fête civique par laquelle tous les Français, sans quitter leurs foyers, peuvent s'unir d'intention, le même jour, au même instant, et rappeler leur fraternité.

» En conséquence, le roi me charge de vous ordonner, messieurs, d'employer tous les moyens que la loi vous a confiés pour dissiper tout rassemblement illégal. Rappelez aux districts et aux municipalités de votre département que les magistrats doivent, en éclairant le peuple, s'opposer de tout leur pouvoir, et sous leur responsabilité, à toute espèce de rassemblement contraire aux lois; qu'ils doivent enjoindre aux officiers de police, à la gendarmerie nationale et à toute la force publique, de surveiller et de dissiper au besoin tout rassemblement de gens armés, marchant sans réquisition ni autorisation légale hors de leur territoire, quand même ils prendraient pour prétexte l'intention de se rendre à Paris.

» Je vous prie, monsieur, de m'accuser le jour de la réception de la présente, de m'informer des mesures que vous aurez prises, et du succes des moyens que vous aurez employés. Le ministre de l'intérieur, signé TERRIER, »

D'une autre extrémité de la France, du Finistère, on recevait en même temps le libelle de la convocation bretonne, si remarquable par sa simplicité et par sa concision. « Brest, 22 juin : - La patrie est en danger; nous voulons la défendre; si vous l'aimez comme nous, suivez notre exemple. Le rendez-vous est sous les murs de Paris. Signé, vos frères et amis, les Brestois. (Patriote, n. CLV.)

Cette franche et énergique unanimité nous donne la mesure de la position du parti révolutionnaire et du parti de la cour. L'un fort de sa majorité, agit au grand jour ; l'autre était obligé de remplacer par l'habileté, le nombre qui lui manquait. Mais comme si jamais, en aucune occasion, ils ne dussent cesser de se trouver dans des rapports d'hostilité ou d'irritation, le même dimanche dont nous parlons, le bruit circulait que c'était par ordre de la cour que le maréchal Luckner avait évacué le territoire belge.

Le lendemain, 2 juillet, la législative vint régulariser la réunion des fédérés des départemens pour le 14 juillet. Elle porta un décret sur ce sujet, sans autre discussion que celle qui suit:

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[M. Mazurier. Nous avons déjà des hommes en marche, et quoique le ministre de l'intérieur ait eu l'insolence de dire qu'ils étaient des factieux, ce sont des citoyens armés régulièrement. (Les tribunes applaudissent.) Je demande que la commission extraordinaire qui a un rapport à faire à ce sujet soit entendue. » L'assemblée accorde la parole au rapporteur de la commission. M. Lacuée, au nom de cette commission, présente sans développement un projet de décret qui est adopté en ces termes :

› L'assemblée nationale, instruite qu'un grand nombre de gardes nationaux des différens départemens de l'empire, jaloux de concourir au maintien de la Constitution et à la défense de la patrie, sont en marche pour se rendre dans la capitale, afin d'être transportés ensuite dans les lieux où seront rassemblées les troupes destinées soit à couvrir Paris, soit à défendre les frontières les plus menacées, décrète qu'il y a urgence.

» L'assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de sa commission extraordinaire des douze et rendu le décret d'urgence, décrète ce qui suit :

Art. I. Les citoyens, gardes nationaux que l'amour de la Constitution et de la liberté a déterminés à se rendre à Paris pour être de là transportés soit à la réserve destinée à couvrir la capitale, soit aux armées chargées de la défense des frontières, se rendront, au moment de leur arrivée, à la municipalité de Paris, pour y faire inscrire leur nom, celui de leurs département et municipalité, ainsi que la note des certificats dont ils sont pourvus.

II. La municipalité de Paris donnera des ordres afin que ceux desdits gardes nationaux qui se feront inscrire avant le 14 juillet reçoivent, au moment de leur inscription, un billet de logement militaire, jusqu'au 18 du même mois ; quant à ceux qui n'arriveront à Paris qu'après le 14, et qui se feront inscrire à la municipalité de Paris, il leur sera délivré un billet de logement militaire pour trois jours seulement.

III. Ceux desdits gardes nationaux qui se trouveront à Paris à l'époque du 14 juillet assisteront au serment fédératif; ils se réuniront pour cette cérémonie civique avec les compagnies de la garde nationale parisienne, dans l'arrondissement desquelles ils auront obtenu des logemens.

IV. Le pouvoir exécutif donnera des ordres afin que chacun desdits gardes nationaux reçoive à la municipalité de Paris, au moment de son arrivée, un ordre de route par étape, pour se rendre dans la ville de Soissons, lieu désigné par les précédens décrets pour le rassemblement de la réserve.

V. Le pouvoir exécutif donnera des ordres afin qu'il se trouve dans la ville de Soissons des commissaires chargés de préparer des logemens pour lesdits gardes nationaux, soit à Soissons, soit dans les communes voisines.

VI. Le pouvoir exécutif donnera des ordres afin que lesdits gardes nationaux soient, au moment de leur arrivée dans la ville de Soissons, répartis en compagnies ou en bataillons. Les compagnies et les bataillons seront organisés et soldés conformément au décret du 4 août 1791, et autres lois subséquentes.

VII. Le pouvoir exécutif donnera des ordres afin que lesdits grades nationaux reçoivent, conformément aux précédens décrets,

sous le plus court délai possible, les armes, l'équipement et l'habillement qui leur sont nécessaires.

VIII. Lesdits gardes nationaux recevront, au moment de leur formation en bataillons, les indemnités fixées par la loi du 3 février 1791.

IX. Le présent décret sera porté de suite à la sanction, et envoyé par des courriers extraordinaires aux quatre-vingt-trois départemens du royaume. »

(

M. Jean Debry. Je demande que ce décret soit porté sur le champ à la sanction, et qu'il soit envoyé par des courriers extraordinaires dans les quatre-vingt-trois départemens. ›

Cette proposition est adoptée. ( On applaudit. )]

- Nous ne ferons pas de réflexions sur les avantages que le parti patriote devait espérer de cette mesure, quelles que fussent, d'ailleurs, alors ses intentions. Nos lecteurs apercevront de suite que cette condition du service militaire aux armées, imposée à tous ceux qui viendraient à la fédération du 14, devait avoir pour résultat premier de ne réunir à Paris que les hommes les plus braves et les plus dévoués que la France possédait alors. Aussi, ce décret contraria vivement la cour, bien qu'elle n'osât manifester son mécontentement.

Loin delà, le roi s'empressa de sanctionner le décret. Cette formalité fut accomplie avec toutes les apparences de l'empressement, c'est-à-dire le jour même, en sorte que l'on en fut informé à la séance du soir. Mais la cour ne se borna pas à cette démonstration. Le 6 juillet le corps législatif reçut du roi le message ou la lettre qui suit :

Paris, le 4 juillet, l'an 3 de la liberté.

« Nous touchons, messieurs, à cette époque fameuse où les Français vont, dans toutes les parties de l'empire, célébrer la mémoire du pacte d'alliance contracté sur l'autel de la patrie le 14 juillet 1790. La loi prohibe toute fédération particulière; elle ne permet qu'un renouvellement annuel du serment fédératif dans le chef-lieu de chaque district; mais nous avons une mesure qui, sans porter la moindre atteinte au texte de la loi, me paraît être

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