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blic. Dans leur colère contre les partisans de la guerre, ils ne purent s'empêcher d'y mêler un soupçon de trahison, ou d'une courtisanerie méprisable; et ce soupçon s'accrut avec nos défaites. Leur défiance était augmentée par la connaissance vague d'un projet de protectorat. Nous verrons tous ces doutes se développer le mois prochain, et nous verrons, aux Jacobins, la Gironde et la Montagne décidément en présence.

L'exigence des faits que nous avons à raconter nous force à changer notre système d'exposition. Nous suivrons jour par jour, autant que possible, le mouvement révolutionnaire. Nous rejetterons à la fin du mois les quelques actes constitutionnels qui passèrent presque inaperçus devant la préoccupation publique.

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La séance ne fut occupée que par des lectures d'adresse. On commença par celle des départemens; les unes contenaient une vive improbation du veto apposé par le roi sur les décrets relatifs à la déportation des prêtres réfractaires et à la formation d'un camp de vingt mille hommes devant Paris. Les autres s'élevaient, avec la même rigueur, contre les événemens du 20 juin.

C'était là l'introduction ordinaire des séances; mais parmi ces adresses il y en eut une qui attira une attention plus particulière : Des citoyens du département de la Somme écrivaient que le département avait été averti, par un courrier extraordinaire, des événemens du 20 juin, et qu'il avait reçu en même temps un plan pour mettre sur pied toute sa garde nationale, avec invitation d'envoyer une ambassade au roi.

La lecture des adresses départementales terminée, l'assemblée, après quelques mots de discussion, décida que dorénavant les séances des corps administratifs seraient publiques. Il fallut ensuite entendre des adresses; c'étaient celles des Parisiens. On accorda d'abord la parole à un M. Guillaume; il lut une pétition désignée alors sous le nom d'adresse des seize mille, et qui, déposée avec grand éclat, depuis plusieurs jours, chez les notaires de la capitale pour recevoir les signatures, n'en avait cependant

recueilli, vérification faite, que sept mille quatre cent onze. Ön y demandait avec énergie la punition des auteurs de la journée du 20 juin; on réclamait la punition du maire, et la destitution du commandant-général de la garde nationale. Cette lecture fut accueillie par les murmures des tribunes et d'une partie de l'assemblée. Cependant les pétitionnaires furent admis aux honneurs de la séance. Après eux, ce fut l'opinion opposée qui eut la parole. [Des citoyens de la section de Paris, dite de la Croix-Rouge, furent admis à la barre.

L'orateur de la députation. ♦ Législateurs, l'horizon politique de la France se couvre de nuages; la foudre gronde, elle est prête à éclater; le silence du désespoir occupe les amis de la liberté; le peuple entier, à demi levé, n'attend plus que le signal de ses représentans ; la souverainété nationale vient d'être audacieusement outragée. Un général quitte son poste, abandonne lâchement sonarmée, qu'il livre à la merci des ennemis. Il vient à Paris: qu'y faire? Déclarer la guerre aux factieux; mais qu'est-ce que La Fayette sinon le chef d'une faction qui voudrait détruire la Constitution par la Constitution même? (Une partie de l'assemblée applaudit.) Quelle sera la peine réservée à l'homme assez téméraire pour oser faire présager le dictateur et imposer des lois aux représentans de la nation? Comment a-t-il pu croire qu'un peuple assez fort pour résister au despotisme courbera sa tête sous le protectorat! Législateurs, cette barre a été souillée par la présence d'un chef rebelle. (Mêmes applaudissemens.) Les citoyens de la section de la Croix-Rouge la purifient aujourd'hui, en jurant, en présence de l'assemblée nationale, une haine éternelle à tous les factieux, quels que soient leur nombre et leur rang, à tous les protecteurs. Hommes libres, nous ne voulons que l'empire de la liberté et des lois; nous vous demandons un grand exemple de sévérité, pour effrayer les conspirateurs; frappez un grand coup, déclarez que la patrie est en danger, et aussitôt les dangers cessent, et la patrie

est sauvée. »

Une députation de la section dite de Grenelle, est introduite, elle parle dans le même sens.

Des députés de la section de Bonne-Nouvelle sont introduits. L'orateur de la députation. « Nous vous avons demandé le licenciement de l'état-major de la garde nationale parisienne; c'est cette corporation aristocratique qui est l'une des sources de nos troubles et de nos divisions. Abusant de la supériorité et de la centralité de leurs forces, ces traîtres semblent avoir formé le projet de diriger à leur gré l'opinion publique. Tous les citoyens étant gardes nationaux, ils exercent leur influence et leur pouvoir sur tous les citoyens. Cette institution est une féodalité moderne qui ferait inévitablement échouer la révolution. Si vous ne vous opposez aux progrès de cette puissance, bientôt la magistrature civile perdra toute sa force; et le peuple, éclairé par une triste expérience, sera forcé de se ressaisir de sa liberté, pour l'asseoir sur des bases mieux calculées.

» Cet état-major est une espèce de corps de réserve aristocratique qui, faisant de la hiérarchie un moyen d'intrigue, fait circuler à l'ordre le poison de ses opinions, pour provoquer contre les plus sages de vos décrets des veto soi-disant suspensifs. Où en est donc la France, si le résultat de vos délibérations, de vos pensées, si le vœu national doit échouer contre les coupables efforts de l'intrigue. Nous vous demandons la suppression de cette espèce de directoire militaire. Cette pétition est signée par cent cinquante citoyens actifs de notre section. »

L'assemblée renvoie cette pétition à l'examen du comité de législation.- La séance est levée. ]

Pendant qu'on lisait à l'assemblée ces adresses où s'épanchaient la colère et les désirs des partis qui divisaient la France, la même opposition se manifestait dans la population de Paris, que le repos du dimanche avait jetée dans les lieux publics, et particulièrement dans le jardin du Palais-Royal. L'exaspération du peuple était telle qu'on avait craint sérieusement quelqu'un de ces mouvemens spontanés dont personne ne peut prévoir les suites, surtout le jour où la suspension de ses travaux le laissait libre de s'occuper des affaires publiques. Déjà, la veille au soir, l'effigie de La Fayette avait été brûlée en grand appareil. Les Cordeliers

avaient préludé le matin à cette burlesque cérémonie, en allant abattre un mai que les épauletiers de la garde nationale (style du temps) avaient planté devant la porte du même général.

Le général, au reste, n'avait pas été temoin de cette insulte adressée à sa personne; il était parti un instant avant pour refourner à son armée.

Au reste les hommes prévoyans parmi les patriotes redoutaient un mouvement. Ils sentaient qu'un seul échec, en ce moment, équivaudrait pour eux à la perte d'une bataille ; et dans le cas d'une collision, les chances étaient douteuses. En effet, il ne faut pas oublier qu'il y avait en ce moment à Paris, à la disposition de la cour, les gardes suisses, et trois régimens de ligne ; d'ailleurs une partie de la garde nationale était fort mal disposée, et le reste fort peu sûr. Au reste les patriotes ne dissimulaient pas leurs craintes aux Jacobins.

Ce mêre dimanche, Merlin disait à la tribune de ce club: « Je ne crois pas inutile de prévenir la société qu'on met tout en œuvre pour exciter une insurrection partielle, pour occasioner un mouvement, afin de pouvoir emmener le roi et sa famille dans l'armée de La Fayette. Peut-être ce soir, pour frapper le peuple par le point le plus sensible, peut-être M. Pétion va-t-il être suspendu de ses fonctions de maire par le département. Dans ce moment important, je dois à mes concitoyens de leur dire que, fort de sa vertu et de la justice de sa cause, M. Pétion en sortira triomphant; mais qu'il faut qu'ils se contiennent dans le plus grand calme et la plus grande tranquillité afin de mieux aviser aux moyens les plus propres à écraser la faction à la tête de laquelle se trouve La Fayette. (Journal des débats des Jacobins, n. CCXXIV, séance du 1er juillet.)

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Aussi on lisait, sur les murs, l'affiche suivante :

Avis du maire de Paris à ses concitoyens.

Paris, ce 1er juillet 1792, l'an 4 de la liberté.

« CITOYENS! l'orage se prépare, soyez plus calmes que jamais. Le trouble perdrait la chose publique, la tranquillité la sauvera.

› On cherchera à fatiguer votre patience, à exciter votre indignation; ayez le courage de résister froidement à toutes ces pro

vocations.

» Déjà c'est un bruit public que nous n'arriverons pas au 10 de ce mois sans être témoins des plus grands malheurs; démentez ce bruit, déconcertez les projets de vos ennemis.

› Le moment est arrivé où les intrigans vont paraître à découvert, où l'on distinguera les vrais amis des faux adorateurs de la Constitution.

› Les calomnies passeront, la vérité restera. Les magistrats du peuple veillent.

Signé, PÉTION.

› Des soldats de la Constitution viennent à Paris, pour célébrer la fête de la liberté avec les vainqueurs de la Bastille.

› Les bons citoyens, qui seront jaloux de loger un frère, un ami, peuvent se faire inscrire au parquet du procureur de la

commune. »

La journée cependant ne se passa pas sans quelques désordres où se manifestait toute l'exaspération des opinions. Nous lisons dans le Patriote Français: Le soir, de belles patrouilles du brave bataillon des filles Saint-Thomas prenaient l'air au Palais-Royal, et se donnaient le divertissement de diviser les groupes dé sansculottes qui avaient l'audace de blâmer la conduite du grand général. Une foule de ci-devant gardes du roi, d'escrocs modérés, d'agioteurs fayetistes et de prostituées feuillantines, applaudissaient les belles patrouilles du brave bataillon et criaient: Vive le grand général! Les sans-culottes n'applaudissaient pas, et criaient : Vive la Nation! Pour leur apprendre à ne pas pousser ce cri séditieux, les belles patrouilles en ont arrêté quelques-uns, et les ont conduits au nouveau comité central séant aux Tuileries. Qu'on dise après cela qu'il est nécessaire que les départemens envoient à Paris un renfort de patriotisme! »

Le Patriote Français fait ici allusion aux fédérés des départemens, dont on désirait la présence pour la célébration de l'anniversaire du 14 juillet. On savait que la cour mettait à la réu

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