Page images
PDF
EPUB

JUILLET 1792.

MINISTRES.

[ocr errors]

Duranton, ministre de la justice, donna sa démission le 3.- Dejoly le remplace le 4. - Le 10, le ministère donne sa démission en masse. Le 21, Champion est nommé ministre de l'intérieur, et Dubouchage, de la marine. - Le 23, Dabaucourt est ministre de la guerre. - Le 30, Leroux-de-laVille est ministre des contributions publiques.

Le 1er août Bigot Sainte-Croix est nommé ministre des affaires étrangères.

Coup d'œil sur les événemens du mois.

Nous n'aurons encore à observer qu'une continuité; mais nous apercevrons qu'elle va être rompue, et que le noeud d'une légalité impuissante va céder à quelqu'une de ces grandes émotions populaires, à quelqu'une de ces crises passionnées et désespérées qui brisent avec le passé, et sauvent l'avenir.

En juillet, les formes constitutionnelles sont encore respectées; mais on voit qu'elles ne peuvent rien pour le salut de la nation; leur lenteur, leur mollesse, leur stérilité, ne répondent nullement aux exigences rapides et multipliées du moment solennel qui s'approche, cù un peuple, sans armes et sans armée, sans généraux, sans direction certaine, sans foi dans des chefs traîtres ou inintelligens, va subir le jugement de Dieu et soutenir contre l'Europe armée et l'insurrection intérieure, le germe de la civilisation future du monde. Les événemens se pressent; les obstacles s'accumulent; toutes les forces hostiles du dehors et du dedans se massent et se dressent à la fois contre l'esprit révolutionnaire; les désertions et les échecs se multiplient; et toutes ces choses arrivent à l'improviste et comme pour accabler la France dans le sein de la fausse sécurité où le pouvoir l'endormait. Alors, elle n'a plus le temps de suffire à ses ennemis ; c'est miracle qu'elle puisse échapper à leurs coups; mais, à ce mo

ment, comme un homme attaqué en guet-apens par mille assaillans à la fois, nous la verrons frapper en désespérée, et frapper sans cesse jusqu'à ce que tout se taise autour d'elle, jusqu'à ce que le silence succède aux cris, l'obéissance à la rébellion, la

terreur aux menaces.

Il suffit de se rappeler ce que nous avons raconté précédem- / ment, pour savoir qu'au commencement de ce mois, partout on conspire contre les sentimens et les volontés nationales.

Pendant que la noblesse s'assemble et forme un corps d'armée sur les terres de l'empire, pendant qu'elle organise des insurrections à l'intérieur ainsi que nous verrons celle de Jalès, les prêtres réfractaires travaillent l'esprit de leurs fidèles. Par l'ordre du pontife romain, les conservateurs de la morale de fraternité étaient devenus les défenseurs de l'ancien régime et les prédicateurs de l'inégalité; et déjà leurs efforts provoquaient dans les départemens de l'ouest et du midi, une hostilité sourde mais redoutable.

Certes, aux yeux de l'observateur de sang-froid, aux yeux d'un observateur de nos jours, les efforts de la noblesse et du clergé paraissent plutôt dignes de pitié que de colère. On n'aperçoit, aujourd'hui, que leur faiblesse et leur insuffisance visà-vis des grandes passions qu'ils prétendaient dompter. Mais, en 1792, on mesurait le danger de leurs tentatives à la crainte qu'elles inspiraient, et à la difficulté que l'on avait eue, pour ne point succomber à leurs prétentions dans les trois années précédentes. Jamais on ne peut avoir pitié que de la faiblesse, pardonner qu'après la victoire, Or, pour connaître la faiblesse de ses adversaires, il fallait que la France les eût combattus.

En outre, alors que la guerre étrangère était commencée, que l'on entrait en lutte avec les armées aguerries de l'Autriche, déjà fameuses par leurs victoires en Orient; alors que l'on apprenait la venue de ces troupes prussiennes, disciplinées par le grand Frédéric, le héros des Encyclopédistes; alors que la Russie armait, que toute l'Europe continentale se coalisait, et que, de tous côtés, on voyait des frontières ennemies et des fronts menaçans; 16

T. XV.

alors, on sentait le besoin de se serrer, et de s'unir dans un même et énergique effort. Chaque tentative hostile d'un fils de la France, chaque démarche de la noblesse, chaque prédication du clergé, ôtait un soldat à la cause de la patrie; aussi tout acte d'opposition était un attentat à la nationalité et soulevait le peuple d'indignation; car c'était une question de vie et de mort qui allait se débattre.

Et sous quels auspices fâcheux commençait cette guerre hasärdeuse?

Louis XVI, par ses actes, par des tentatives et des plaintes publiques, n'avait cessé de témoigner de ses pensées contre-révolutionnaires; Louis XVI était un roi prisonnier, qui voulait être libre pour agir en roi. Or, au dire des princes coalisés et des émigrés, tout ce rassemblement militaire qui se formait sur les frontières n'avait qu'un but, c'était de lui rendre sa puissance ét sa dignité détruites et tant regrettées. Pouvait-on croire que le roi qui, maintes fois avait tenté en secret ce que les étrangers se proposaient hautement, vît leurs projets avec colère? Les ennemis de la France n'étaient-ils pas en réalité ses alliés? Et, cependant, par la volonté de la Constitution, c'était ce prince qui nommait les ministres et gouvernait l'administration de la guerre.

Ces rapprochemens ne pouvaient échapper aux patriotes. I leur semblait en effet impossible de soutenir le poids de la coalition, en conservant pour chef des armées de terre et de mer, un roi qui désirait leur défaite, et pour confident de leurs projets de campagne, un roi qui correspondait avec les ennemis.

La position était devenue telle qu'il n'y avait pas de milieu raisonnable entre les partisans de la monarchie absolue et ses adversaires. Les défenseurs de la monarchie constitutionnelle ne pouvaient plus être considérés que comme des fous indignes d'attention, ou des traîtres. Ainsi fut-il en effet; et nous savons, aujourd'hui, que nulle des accusations des patriotes, que nulle des inspirations du sentiment national n'étaient fausses; le roi

correspondait avec l'étranger; il était le centre d'une conspiration incessante contre la tendance nationale.

Nous avons vu, le mois dernier, paraître les premiers signes de l'alarme publique. Depuis la déclaration de guerre, elle se manifestait partout; dans les journaux, dans les conversations, dans les sections. La pétition du 20 juin la fit éclater; et les oppositions que celle-ci provoqua de la part des constitutionnels précipitèrent l'explosion; l'assemblée législative, et la garde nationale ne purent plus hésiter.

La démarche de La Fayette fut flétrie du nom de trahison. Pouvait-on imaginer en effet, qu'un homme, après avoir joué un si grand rôle et approché de si près la cour, fût encore dupe de ses protestations? On l'accusait de vouloir tirer le roi de Paris, pour le mettre à la tête de son armée, et jouer, lui-même, le rôle dont Monck avait donné l'exemple en Angleterre. Les plus ardens l'accusaient de d'entretenir des intellignces avec l'étranger. De ces imputations, la première est vraie dans la plus grande partie, ainsi que nous l'avons vu, ainsi que nous le verrons; la seconde était une erreur; cependant si La Fayette n'avait pas recueilli la prison en fuyant sur les terres de l'empire, il nous serait aujourd'hui impossible à nous-mêmes de prononcer sur cette question.

[ocr errors]

Cette démarche fut comme un mot d'ordre pour tout ce qu'il y avait de constitutionnels dans les emplois publics. Ils se mirent tous à agir dans le même sens, et ils furent frappés du même anathème. Nous verrons le département suspendre Pétion, maire de Paris et Manuel, procureur syndic de la commune; le roi confirmera l'arrêt. L'assemblée législative sera obligée de le casser. Nous verrons les juges de paix de Paris lancer des mandats d'arrêt contre les sectionnaires qui osaient parler trop librement des dangers de la situation, et menacer trente des membres les plus énergiques de la législative. L'assemblée sera encore obligée de prendre parti contre les juges nommés par les électeurs constitutionnels. Enfin nous la verrons dissoudre l'état-major de la garde nationale, et le département se démettre. Cette terreur monarchique et constitutionnelle eût irrité passagèrement seulement les révo

lutionnaires, si elle n'eût animé que quelques gens en place, quelques bourgeois parvenus, quelques nobles constituans. La colère se fût appaisée aussitôt sa cause détruite, et les actes de la législative eussent suffi pour y mettre fin. Mais le sentiment monarchique se manifestait avec tous les semblans d'une opinion énergique, et d'un parti nombreux et redoutable. Tous les jours, dans tous les départemens on signait des pétitions dans ce sens ; et la force du bruit en imposait sur le nombre. D'un autre côté, les patriotes ne se faisaient faute d'user du même moyen; toutes les séances de l'assemblée commençaient par la lecture d'écrits de ce genre, dont les uns demandaient qu'on sévît contre les factieux, et dont les autres réclamaient la punition des traîtres et des conspirateurs. Depuis le 20 juin, cette guerre, à laquelle des magistrats, des individus, des sections, des villes prenaient part, devenait, de jour en jour, plus animée. Elle doit, suivant nous, être considérée en même temps comme un des symptômes les plus saillans, et une des causes les plus actives de l'irritation croissante de la population.

Cependant les hommes qui marchaient ensemble pour désarmer la monarchie, sous le nom de républicains, ou simplement sous celui de patriotes, étaient loin d'être unis entre eux. On voyait rapidement grandir les dissensions qui les partagaient en Montagnards et en Girondins. Le club des Jacobins préludait aux disputes qui devaient ensanglanter 1793.

La première occasion qui mit, nous ne saurions trop le répéter, en évidence un dissentiment profond dans les doctrines, fut la déclaration de la guerre. Les patriotes, et Robespierre entre autres, voulaient qu'on l'attendît. Ils la considéraient sans doute comme inévitable; mais ils voulaient gagner du temps, afin d'assurer d'autant plus l'intérieur, et de former une armée. C'était, selon eux, une profonde imprudence que d'affronter l'ennemi avec une armée inférieure en nombre, désorganisée, sans esprit de corps et sans munitions, avec des places désarmées; il semblait qu'ils voulussent éviter d'en être réduits aux violentes mesures qui leur furent commandées par la nécessité du salut pu

« PreviousContinue »