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habiles, les soldes, les approvisionnemens, les subsistances de chaque jour, tout demande ici que l'action soit concertée; c'est pourquoi votre commission vous proposera de fixer le nombre de ceux qui se rendront au poste du danger, d'en laisser le choix aux citoyens réunis, et de remettre la surveillance intérieure à ceux qui attendront que leur tour de remplacer leurs frères d'armes soit arrivé. Tous doivent être avertis et préparès; mais nul ne pensera qu'il faille abandonner toutes les occupations qui maintiennent la vie sociale pour se porter confusément aux lieux de l'attaque : huit jours d'une semblable existence seraient la mort du corps politique.

› Les difficultés de l'armement nous ont aussi arrêtés; mais, indépendamment de la fabrication journalière de nos manufactures et des achats multipliés que vous devez ordonner, lorsque nous avons envisagé pour quelle cause les armes nationales devaient être employées, nous n'avons pas douté un instant qu'elles ne fussent confiées temporairement, suivant votre vœu, à ceux que leurs concitoyens choisiraient pour les défendre. La loi, messieurs, ne doit pas calculer d'après des suppositions improbables ou criminelles; et lorsque vous aurez proclamé le péril de la patrie, l'intérêt ne sera pas qu'un citoyen isolé reste armé chez lui, mais que les défenseurs de tous puissent la défendre.

› Il me reste une observation importante à vous faire : c'est qu'il ne faut pas juger un état de choses passager et extraordinaire, tel que celui dont je parle, d'après un état permanent de tranquillité; et si jamais cette manière de voir peut être dangereuse, c'est lorsqu'on essaie une Constitution, lorsque toutes les passions font effort pour dissoudre un gouvernement qui les comprime, et pour lui en substituer un autre; c'est lorsque l'inertie des uns, la corrosive activité des autres ont détruit tous les ressorts, et que la rébellion se lève: alors le salut du peuple est la loi suprême; il est la raison suffisante des mesures du législateur; c'est par elle surtout que je justifierais la peine de mort que nous vous proposerons de décréter contre toute personne revêtue d'un signe de révolte, l'ordre à tout citoyen de l'arrêter

ou de la dénoncer, et l'attribution de la poursuite aux tribunaux ordinaires. Messieurs, dans ces momens terribles il faut opter entre la paix de sang qu'offre le despote qui tient ses chaînes prêtes, et l'ordre de la loi, qui n'est rigoureuse un instant que pour mieux nous sauver.

› En terminant ici cette courte exposition des motifs du décret que je vais vous présenter, il m'est doux de penser que ces jours de deuil et d'énergie peuvent encore s'éloigner de nous. Non, ni la coalition des tyrans, ni ces méprisables intrigues d'un jour avec lesquelles on veut nous diviser, ne me paraissent telles que la nation doive se lever pour les dissiper, si nous n'oublions pas ce qu'est le despotisme et la liberté, si nous nous pressons autour des principes de notre Constitution, si nous nous rappelons les époques glorieuses de sa fondation, si nous ne perdons pas de vue que dans dix mois nous aurons à remettre intact et sans altération à nos successeurs le dépôt des droits qui nous a été confié; oui, messieurs, alors nous irons en avant ; car nous sentirons qu'il n'y a pas d'instant à perdre; nous apprécierons à leur valeur ces plans de politique obscure qui en dernier résultat donnent toujours la misère du grand nombre et l'orgueil de quelques-uns; notre mépris fera justice de ces injures mendiées contre le corps législatif, et qui n'ont d'autre effet que d'attester la basse cupidité ou l'odieuse immoralité de leurs signataires. Eh! ce n'est point avec de tels moyens que chez les Français éclairés on ébranle un système dont les racines éternelles, attachées à la nature, croissent et vivent avec elles. Mais il est important, il est instant de rassurer le peuple: placés par lui sur la hauteur, c'est à notre contenance qu'il juge de sa propre position : n'omettons aucune précaution; soyons calmes et serrés, et notre tranquillité sera le gage et le fondement de la tranquillité des citoyens! > (Applaudissemens.)

Le rapporteur fit lecture d'un projet de décret qui, en réservant au corps législatif le droit de déclarer la patrie en danger, réglait les formes de cette proclamation et les devoirs des citoyens dans les cas où elle serait faite. L'assemblée en ajournala discussion

à quelques jours, et décréta l'envoi du rapport aux quatre-vingttrois départemens.

La séance fut terminée par la lecture de la lettre suivante :

Lettre du général La Fayette à l'assemblée nationale. - Du 30 juin 1792.

⚫ Messieurs, en retournant au poste où de braves soldats se dévouent à mourir pour la Constitution, mais ne doivent et ne veulent prodiguer leur sang que pour elle, j'emporte un regret vif et profond de ne pouvoir apprendre à l'armée que l'assemblée nationale a déjà daigné statuer sur ma pétition.

› Le cri de tous les bons citoyens du royaume, que quelques clameurs factieuses s'efforcent en vain d'étouffer, avertit journellement les représentans élus du peuple et son représentant héréditaire que tant qu'il existera près d'eux une secte qui entrave toutes les autorités, menace leur indépendance, et qui, après avoir provoqué la guerre, s'efforce, en dénaturant notre cause, de lui ôter des défenseurs; tant qu'on aura à rougir de l'impunité d'un crime de lèse-nation, qui a excité les justes et pressantes alarmes de tous les Français et l'indignation universelle, notre liberté, nos lois, notre honneur sont en péril?

› Telles sont, messieurs, les vérités que les ames libres et généreuses ne craignent pas de répéter: révoltées contre les factieux de tout genre, indignées contre les lâches qui s'aviliraient au point d'attendre une intervention étrangère, pénétrées du principe que je m'honore d'avoir le premier professé en France, que toute puissance illégitime est oppression, et qu'alors la résistance devient un devoir, elles ont besoin de déposer leurs craintes dans le sein du corps législatif; elles espèrent que les soins des représentans du peuple vont les en délivrer.

«

Quant à moi, messieurs, qui ne changeai jamais ni de principes, ni de sentimens, ni de langage, j'ai pensé que l'assemblée nationale, ayant égard à l'urgence et au danger des circonstances,

permettrait que je joignisse la nouvelle expression de mes regrets et de mes vœux à l'hommage de mon profond respect.

‹ Signé LA FAYette. ›

De violens murmurent accueillirent cette lecture. « Je m'étonne, s'écria Isnard, que l'assemblée n'ait pas envoyé de sa barre à Orléans ce soldat factieux.

CLUB DES JACOBINS.

Les présidens du club, en mai et en juin, furent MM. Lecointre, Merlin, Chabot et Hérault-Séchelles.

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Séance du 1er juin. Chépy fils, de retour d'une mission diplomatique, fait part à la société de l'état de l'armée. Demerix, vivandier dans l'armée de La Fayette, et caporal renvoyé du 45° régiment, expose les abus et les négligences qui, dans cette armée, tendent à affaiblir l'énergie de la discipline militaire : « On y tolère les jeux de hasard, les femmes de mauvaise vie, et les parties de boisson à des heures indues. >- Réal invite les membres de la société qui ont des fonds à placer à les hypothéquer sur le terrain des Jacobins. Guirault, acquéreur de ce local, n'a pu, dans le temps prescrit, remplir ses engagemens, et le procureur-syndic, Roederer, vient d'écrire au procureur de la commune qu'il eût à mettre ce bien national à la folle enchère il n'y a donc pas de temps à perdre pour ôter des mains ministérielles ce moyen de dissolution de la société. Déjà 700,000 f. ont été fournis. (Journal du Club, n. CCVI.)

:

3 juin.-Lacroix lit un discours sur la cause des maux présens de l'empire et sur les moyens d'y remédier. Il voudrait, 1° le renouvellement des corps électoraux; 2° l'isolement dé l'autrichienne, la destitution de tous les généraux suspects, et une lëvée de cent cinquante bataillons de mille hommes chacun ; 3° la vente des biens des émigrés, l'établissement d'une contribution progressive sur les riches, et la fonte de toutes les cloches; 4° la formation d'un conseil militaire près des armées pour concerter

le plan de campagne; les généraux n'auraient plus qu'à le faire réussir. La plupart de ces propositions sont combattues par Chabot. (Journal du Club, n. CCVII.)

4 juin.

Discussion relative à ce qui s'est passé à l'assemblée nationale au sujet du comité autrichien et de la faction d'Orléans.

Un citoyen du faubourg Saint-Antoine. « Je suis un homme qui, quoiqu'en veste, trouverait sur-le-champ dix-huit cents hommes; j'ai demandé la parole pour répondre au nom de ceux qui ont été insultés par des personnes qui ont pu croire qu'à l'assemblée nationale les tribunes ne se fussent pas renfermées dans les bornes du respect qui lui est dû, sans des gens apostés, et pour dire à M. Louvet qui semble croire à de tels soupçons, que nous savons nous contenir nous-mêmes; car j'étais aussi dans les tribunes, moi; j'observais, et j'avais passé la nuit à examiner tout ce qui se passait; je passerai encore tout le temps nécessaire à déjouer nos ennemis. - Dimanche je dois présenter moi-même une pétition à l'assemblée nationale; et si je ne trouve aucun membre de cette société qui veuille m'accompagner, je lirai moi-même ma pétition : je veux faire sentir à l'assemblée nationale toute la faiblesse qu'elle a laissé percer à l'égard de M. Ribes, et nous verrons si c'est le crime qui ose nous insulter.

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» Je vous dirai, messieurs, que vous vous occupez trop de personnalités. Toujours l'on vous voit agités pour des querelles particulières, pour des débats d'amour-propre, tandis que la patrie devrait appeler tous vos soins. Des Jacobins doivent-ils s'abaisser à jouer le rôle de lutteurs? Car si nous sommes sans culottes, nous ne sommes pas sans sentimens ; et s'il y avait seulement quarante citoyens de ma trempe, je ne doute pas qu'il n'y eût plus de vigueur parmi les patriotes. Je n'ai pas de génie, mais je suis un homme qui saisirait une question mieux peutêtre que qui que ce soit. M. Guadet m'a paru pitoyable : il aurait mieux fait de ne pas sortir de sa place que de venir nous énoncer une opinion insignifiante sur l'écart scandaleux de M. Ribes. L'on n'a mis des citoyens armés dans les tribunes que pour empêcher le peuple de témoigner sa juste indignation; car

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