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vous offre un moyen propre à opérer la réunion des cours. Si les esprits se trouvent si divisés, n'en doutez pas, Messieurs, vous le devez aux prêtres réfractaires à la loi. Traîtres à leur patrie, ils cherchent toutes les voies pour pervertir les bons citoyens, les rendre méchants et cruels, afin de les faire servir à leurs abominables desseins... >>

La démarche de la Société populaire locale fut renouvelée le 22 mai (1).

Les membres des Sociétés populaires allèrent encore jusqu'à demander l'arrestation des réfractaires, qu'ils accusaient de troubler l'ordre.

A Gourdon, la Société des Amis de la Constitution, « affiliée à celle de Paris », adressa, le 28 juin 1791, une pétition au directoire du district, contre les réfractaires. Les clubistes de cette ville demandent à être autorisés à « arrêter et conduire en lieu sûr tous les prêtres réfractaires qui troubleront l'ordre public de quelque manière que ce soit ».

En même temps, ils demandaient l'arrestation de « toutes personnes suspectes du district, qui seront dénoncées mener une conduite anti-constitutionnelle ».

A l'égard des réfractaires et des suspects, ils tenaient à prendre toutes les précautions «<< que le bien public et le progrès de la Révolution (menacés avec une imprudence et une témérité inouïes), pourront exiger ».

Nous nous en tiendrons là. Si on voulait connaître l'action que les Sociétés populaires exercèrent contre les réfractaires, leurs interventions dans le domaine religieux et cultuel, il faudrait résumer de bien nombreuses pièces.

Dans beaucoup de localités Quercynoises, la majeure partie de la population ne vit pas de bon œil les mesures prises par les administrations, sur la demande des Sociétés populaires, contre les prêtres réfractaires. Il en fut ainsi à Montpezat, en particulier. La masse du peuple restait très attachée à la religion et aux prêtres fidèles (2).

(1) Archives du Lot, L. 121, no 20; L. 330, p. 102, 104 à 106, 125 à 129. (2) Firmin Galabert, Montpezat, p. 221. Le 24 juin 1791, les officiers municipaux assistèrent au premier rang, cierges en mains, à la messe qui fut célébrée en plein air à la Plaço inelle. Lors de la procession de la Fête-Dieu, l'aumônier Vernhié avait refusé, pour éviter une dénonciation, d'aller recevoir le Saint-Sacrement au milieu de la rue, suivant la coutume, et le peuple avait murmuré et pétitionné. Le 29 mai 1792, la municipalité décida de citer en police correctionnelle Bernard Rigal, laboureur qui avait, en vue d'empêcher la station des Rogations, enlevé la croix qui ornait l'avenue de son enclos.

Le 21 juin de la même année, la garde nationale, à la fête des Saintes Reliques, avait voulu relever l'éclat de la fête par sa présence.

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Dès les premiers jours de la Révolution, le Roi avait porté la cocarde nationale. Les couleurs en étaient les mêmes que celles du drapeau tricolore.

A Cahors, quiconque ne portait pas la cocarde tricolore dans certaines circonstances, était susceptible d'événements désagréables. Ainsi, le 2 avril 1792, un domestique fut arrêté et cité devant le juge de paix pour n'avoir pas voulu porter la cocarde. Il se vit condamner pour ce seul motif à huit jours de prison.

La Législative prit des dispositions pour obliger les citoyens à porter la cocarde nationale.

La loi des 4 et 5, 8 juillet 1792 en prescrivit le port d'une manière catégorique.

Malgré les mesures établies par l'Assemblée nationale, un prêtre réfractaire, déguisé, ne consentait pas à la porter. Pour ce fait et à cause de quelques paroles malheureuses, les membres d'un club du Bas-Quercy se précipitèrent sur lui et l'accablèrent d'outrages. Il s'agit de l'insermenté Delteil, du diocèse de Toulouse, qui s'était retiré au château du Boulvé, chez un certain de Loudes, en qualité d'homme d'affaires.

Le 15 août 1792, cet ecclésiastique s'était rendu au club qui tenait ses séances dans l'église même de Bélaye. Il ne portait pas la cocarde et son langage le fit reconnaître comme un prêtre inser

menté.

Les membres du club, présents à l'assemblée, venus de Mauroux, Sérignac, Grézels, le Boulvé, etc., exigèrent alors que Delteil chantât le Ça ira. Comme le prêtre ne voulut pas exécuter ce chant, ils projetèrent de le mettre à mort.

Ils le frappèrent d'abord à coups redoublés, déchirèrent ses vêtements, l'accablèrent d'injures et le traînèrent à travers la montagne voisine. Ils voulaient le jeter dans le Lot, du haut du rocher qui surplombe la rivière. Mais Delteil se défendit si bien qu'il put s'échapper des mains de ses ennemis. Seulement, croyant recourir à un bon moyen de salut, il se précipita lui-même dans la rivière.

Il allait malgré tout pouvoir se sauver, lorsqu'il fut assommé à coup de perche par un révolutionnaire, au moment où il avait

atteint l'autre rive et se reposait un peu pour reprendre quelques forces (1).

La sépulture de l'ecclésiastique eut lieu le lendemain, 16 août. Elle fut faite par le vicaire de Prayssac, Dubernard, prêtre assermenté qui rétracta son serment.

Le crime ne fut pas poursuivi de manière bien énergique ; les meurtriers furent acquittés (2).

Le crime de Bélaye demeurant impuni, des plaintes s'élevèrent de toutes parts. Le 10 février 1793, le procureur général-syndic du département s'en fit l'écho dans une lettre adressée au ministre de la Justice, Garat.

D'après le procureur général, les récriminations étaient particulièrement vives. Le peuple « clabaudrait beaucoup dans tout le district de Lauzerte au sujet d'une telle impunité. Sartre expliquait au ministre que l'accusateur public paraissait avoir exactement rempli son rôle qui était de transmettre à Paris le dossier de l'affaire.

Des poursuites seraient faites, mais, avant de les entreprendre, on désirait connaître l'avis que le ministre pourrait fournir après l'examen des pièces qui lui avaient été envoyées.

Le procureur général-syndic avouait cependant que le tribunal criminel du Lot n'était pas totalement exempt de soupçons pour sa conduite partiale de l'affaire (3).

Le 9 ventôse, an II, 27 février 1794, le tribunal criminel du département estima que le juge de paix du canton de Bélaye, Cazes, avait gravement prévariqué » dans ses fonctions, « soit en ne faisant pas exhumer le cadavre de Delteil pour mieux constater le corps du délit, soit en ne décernant les mandats d'emmener contre Raynaldi et Laperette, que le 23 novembre suivant, soit enfin en n'en décernant pas du tout contre les complices du meurtre qui lui étaient désignés par les déclarations des témoins (4)... » Le jugement est à retenir :

« Vu par le tribunal criminel du département, la déclaration à lui faite par l'accusateur public de la part du citoyen Cazes, juge

(1) Abbé Gary, Notice sur le clergé de Cahors, p. 57, 58.

(2) Les administrateurs du district de Lauzerte, Ducassé et Fournié, signalèrent au département, le 20 août 1792, des troubles à Bélaye. La municipalité de cette commune avait envoyé à leur sujet un verbal au district qui s'empressa de le transmettre à Cahors. Le directoire de Lauzerte demande à cette municipalité de dénoncer l'attentat au juge de paix du canton (L. 79, no 2). Il s'agit sans doute de l'attentat contre Delteil ou du moins de l'effervescence qui dut suivre cet événement tragique.

(3) Archives du Lot, L. 112, no 1, 10 février.

(4) Ibid., Tribunal criminel, volume XVI, folios 80, 81, an II.

de paix du canton de Bélaye, ensemble le verbal dressé par ledit Cazes, le 17 août 1792..., et enfin copie de la lettre écrite par le ministre de la justice à l'accusateur public, au mois de février 1793, en réponse au Mémoire que ce dernier lui avait fait passer... Après avoir entendu ledit Cazes sur les faits énoncés, en ladite déclaration; après avoir entendu l'accusateur public, le tribunal criminel, considérant dans le fait : 1° qu'il résulte du verbal dressé par Cazes, le 17 août 1792, des excès et meurtre commis sur la personne de l'abbé Delteil, le 13 du même mois, que le cadavre de ce dernier avait été inhumé à Prayssac; 2° qu'il résulte des déclarations des témoins que ledit Cazes reçut, le 28 du même mois, que Rainaldy, maire de Bélaye, provoqua le meurtre, que Sanhies, officier municipal de Ségos, encourageait ceux qui traînaient Delteil dans la côte de Bélaye, à le frapper et mutiler; qu'il résulte de ces mêmes déclarations que Lapèze aîné, De Belmas et Baureille, de Sérignac, et Jean-Pierre Vigouroux de Larroque, traînèrent Delteil depuis l'église de Bélaye jusqu'à la rivière, que Loussat (?), cadet de Floressas est un de ceux qui proposèrent à Laperette d'aller tuer Delteil quand il eut passé la rivière et qu'il lui bailla onze sols quand il l'eut effectivement tué, que Laperette consomma le meurtre, que Séminadisse cadet de Carnac, se jacta, après le meurtre consommé, qu'il n'y avait pas peu contribué.

« Considérant dans le droit : 1° que Cazes, instruit le 16 août 1792 du meurtre de l'abbé Delteil arrivé le 15 et que son cadavre avait été inhumé le 16 à Prayssac, devait se rendre audit lieu pour faire exhumer et visiter le cadavre afin de constater les traces et le corps du délit conformément aux articles 1, 2 et 3 du titre III de la loi concernant la police de sûreté du 29 septembre 1791; 2° que, d'après le résultat des témoins, il devait sur-le-champ faire arrêter les provocateurs, consommateurs et complices de ce meurtre conformément à l'article 5 du même titre, en décernant contre eux des mandats d'arrêt ; 3° considérant enfin que Cazes a gravement prévariqué...

« Sur ces motifs, le tribunal déclare lecture qu'il n'y a lieu quant à présent à délibérer sur la délation à lui faite par le citoyen, accusateur public, au nom du dit Cazes, sauf à l'accusateur public à agir contre lui conformément à l'article 4 du titre 4 de la loi du 29 septembre 1791, concernant la justice criminelle et l'institution des procès, sauf encore à prononcer contre lui les peines correctionnelles, le cas échéant, conformément à l'article 3 du même titre.

« Ordonne que le présent jugement şera mis à exécution à la

diligence de l'accusateur public... (Fait à Cahors, dans l'auditoire du tribunal criminel du département du Lot, le 9 jour, ventôse, an II. »

IV

Après le 10 août 1792

A partir du 10 août 1792, il n'y eut plus de monarchie en France.

Les prêtres réfractaires furent visés, immédiatement, par l'Assemblée Législative.

Leurs ennemis prétendirent que les insermentés avaient combattu le peuple dans la journée du 10 août. La surexcitation qu'ils créèrent dans Paris devait aboutir aux massacres de septembre où périrent deux prêtres du diocèse de Cahors, le P. Claude Caïx, dit Dumas, natif de Martel, ancien membre de la Compagnie de Jésus, et Pierre-François Vidal de Lapize, curé insermenté de Montfaucon, parent du chanoine du Vigan, Vidal de Lapize.

Le jour même du 10 août, la Législative ordonna que tous les décrets, arrêtés par le Veto, ou refus de sanction royale, fussent immédiatement exécutés. Elle décida, en outre, que désormais, le Roi ne pourrait plus user de son droit de Veto. Ainsi le décret du 27 mai 1792, relatif à la déportation des réfractaires, pourrait être mis à exécution.

Le 14 août, un décret de l'Assemblée modifia la formule de serment. Une modification s'imposait, en effet. Puisque la royauté était désormais abolie en France, on ne pouvait plus exiger des prêtres et des fonctionnaires la promesse de fidélité au Roi.

Un nouveau serment où il ne serait fait nullement mention du roi fut requis.

Les termes auxquels s'arrêta la Législative furent les suivants : « Je jure de maintenir de tout mon pouvoir la Liberté et l'Egalité, ou de mourir en les défendant. »

Le nouveau serment fut exigé de tous les fonctionnaires ou pensionnaires de l'Etat. La plupart des prêtres furent tenus de le prêter puisqu'ils recevaient une pension ou bien remplissaient des fonctions publiques dans les rangs du clergé constitutionnel.

Comme la nouvelle formule ne renfermait aucun mot d'adhésion à la Constitution civile du clergé, plusieurs prêtres du diocèse de Cahors prêtèrent le serment de Liberté et d'Egalité, à l'exem

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