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L'aumônier fut conduit ensuite, avec les deux Sœurs, dans la maison d'arrêt.

Il déclare « qu'il adore en ceci les décrets cachés de la Providence qui, voulant sans doute, dans sa miséricorde, qu'il reçût cette humiliation, a permis que des hommes, aussi sages et aussi éclairés que le maire et les officiers municipaux, aient manqué de prendre les moyens simples et faciles qu'ils avaient de satisfaire à la loi sans occasionner les accidents déplorables, dont sans doute ils gémissent eux-mêmes »>.

Les officiers municipaux, d'après l'aumônier, connaissaient les hospitalisés ; ils pouvaient parvenir à son appartement, sans parcourir, comme ils le firent, toute cette vaste maison, et il se serait retiré à l'insu des pauvres.

La municipalité, toujours d'après M. Grandou, aurait pu, en voyant le trouble que provoquait son entrée à l'Hôpital, demander à l'aumônier d'y mettre fin et de rétablir lui-même le calme. Seulement, la préoccupation de ces magistrats « ne leur permit pas même de voir que des gens de leur suite le traitaient d'une manière que la Déclaration des Droits de l'Homme réprouve dans tous les cas, puisque, d'un côté, toute rigueur qui n'est pas nécessaire pour contenir un accusé est un crime grave, et que, de l'autre, tout accusé est censé innocent jusqu'au moment de sa conviction, et, à cet égard, il se réserve d'agir par toutes les voies que la loi peut lui permettre ». L'aumônier se félicite de ne pas s'être jeté dans la mêlée, parce que, s'il l'eût fait, on n'eût pas manqué de dire que c'était pour l'exciter (1),

Le 16 mars, François Austruy, né à Montamel, demeurant à l'Hôpital général, fut interrogé par Antoine Judicis.

Ses réponses aux questions posées sont absolument incohérentes. D'après ses déclarations, il ne se rappelle pas si les officiers municipaux vinrent à l'Hôpital le 12 mars ; il n'assistait pas à des bagarres quelconques, ce jour-là; il n'a pas voulu porter secours à son aumônier; il ne savait même pas qu'on voulût chasser l'aumônier de l'Hôpital. Il finit pas interroger lui-même le président du Tribunal. Il lui demanda s'il était vrai que M. Grandou n'était plus à l'Hôpital. Vers la fin de l'interrogatoire, Austruy ne répondit plus que « par des monosyllabes insignifiants aux questions qu'on lui posa encore; il avoua être habituellement malade et « que sa maladie était dans toute sa tête » (2).

(1) Tribunal Criminel, 1792 a, no 23. (2) Ibid, nos 6, 7, 17.

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Le 16 et le 17 mars furent entendus divers témoins, assignés par l'huissier François Berines, au nom de M. Albouys, remplaçant Cayla, directeur du Jury (1).

Un témoin dont il a été déjà question, Gabriel Malbert, attesta que, le 12 mars, se promenant sur les fossés avec son frère Pierre Malbert, et avec le fils de la veuve Lézeret, décédée, épouse en secondes noces de l'huissier Pélissié, il vit passer des officiers municipaux et le maire Sallèles, accompagnés de quatre commissaires de la Société des Défenseurs de la Liberté, Dissès, Labarthe, Rigal, tailleur, et Delsol, propriétaire à Crayssac.

Par curiosité, lui et d'autres promeneurs suivirent ces messieurs. « Ce sentiment de curiosité ne fut même pas le seul, dit-il, qui leur fit faire cette démarche ; prévoyant que cette descente pouvait occasionner du train, ils furent bien aises d'y aller pour que l'autorité eût la force à ses côtés. >>

Le 16 mars, il y eut encore l'interrogatoire d'un autre témoin, Dissès, âgé de 45 ans, natif de Cahors, représentant les Défenseurs de la Liberté à l'expulsion de M. Grandou.

Cet individu était allé, le 12 mars, à la maison commune, pour échanger un assignat de 5 livres contre des billets de confiance, lorsqu'il fut sollicité par la municipalité de se rendre à l'Hôpital.

Le 17 mars, un autre représentant de la Société des Défenseurs de la Liberté, le tailleur Durand Rigal, âgé de 46 ans, de Cahors, fut entendu par le juge Albouys.

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Le dimanche précédent, la Société populaire dont il est membre, poussée par son zèle pour l'observation des lois, députa quatre commissaires << vers Messieurs les Officiers municipaux pour demander que Grandou, aumônier interdit de ses fonctions par l'évêque, fût contraint par la puissance civile à obéir à ses supérieurs ecclésiastiques et fût obligé de se retirer à l'Hôpital ».

Les quatre représentants de la Société se rendirent à la maison commune le soir même du dimanche, 11 mars, et firent part à la municipalité du vœu de leur club. Le maire leur demanda de revenir à 10 heures, le lendemain matin.

A l'heure dite, le 12, ils étaient de nouveau à la mairie. Il fut alors convenu qu'avec le maire, Vendol et Grand, ils iraient à l'évêché.

Une fois en présence de M. Danglars, évêque constitutionnel, ils

(1) Ibid, nos 9, 10, 11, 12, 13.

apprirent l'interdit lancé contre M. Grandou et les efforts que le prélat aurait faits pour ramener ce prêtre au devoir du serment.

L'évêque avait ordonné que l'exécution de son interdit demeurât suspendue jusqu'à nouvel ordre; ce fut seulement lorsque M. Grandou manifesta une opposition absolue au serment, que le prélat demanda l'application rigoureuse de la peine portée contre lui. ·

A 2 heures, les magistrats et les représentants du club allèrent à l'hôpital pour en chasser l'aumônier. Ce fut << en souriant » que M. Grandou écouta le maire lui parler de l'interdit de l'évêque, d'après le témoignage de Rigal.

« L'exécution de cet interdit, dit le maire à l'aumônier, par la bonté de M. l'évêque, est demeurée suspendue, mais je vous déclare que ce sursis est levé, qu'il ne vous reste plus de ressource que dans la prestation du serment civique. Mais M. Grandou déclara qu'il ne pouvait pas prêter le serment. Le maire lui dit alors: vérité, mon pauvre abbé, vous n'y voyez pas clair. » «Monsieur, répondit M. Grandou, si j'avais vos deux yeux j'y verrais encore moins. >> << Tout ceci doit finir, répliqua le maire; prenez vos effets et votre bonnet de nuit, et partez tout à l'heure. »

Le même jour, le 17, on reçut le témoignage de Jean-Louis Pujols, maître traiteur, garde du collège Pellegri, âgé de 52 ans.

Il était allé à la mairie pour affaires et il y vit un pauvre de l'hôpital que conduisaient certaines personnes. Celles-ci disaient le << train » qu'il y avait à l'hôpital.

A la même date du 17 mars, eut lieu encore la déposition d'Antoine Carla, secrétaire de la commune, âgé de 25 ans.

Il était avec les officiers municipaux quand ils se rendirent à l'hôpital. Il entendit des femmes leur dire « Vous allez bien faire la prise de quelques aristocrates. >>

Après Carla, toujours le 17, comparut le témoin Pierre Malbert, aubergiste de Cahors, âgé de 42 ans environ.

Les dépositions des témoins furent interrompues le dimanche, 18, mais elles reprirent le lundi. Un membre du club fut tout d'abord entendu, Michel Delsol, propriétaire à Mercuès, mais ayant demeuré à Crayssac, âgé de 40 ans environ. Tout lui paraissait tranquille, à l'hôpital, dans les cours, quand il entendit crier une femme «< visiblement folle », à la vue des officiers municipaux : « Où allez-vous, f.....b......? Et toi, Sallèles, f....b....., où est-ce que tu tires? Que voulez-vous, que demandez-vous, qui cherchez-vous ? » Le maire dit simplement à ceux qui le suivaient que cette femme était folle.

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Le « maître en chirurgie >> de Cahors, Jean-Pierre Roques, âgé de 41 ans, déposa ensuite. Le maire aurait dit à M. Grandou, à l'hôpital « qu'il avait tort de ne pas reconnaître l'autorité de son évêque, à laquelle la municipalité ne faisait que prêter le secours du bras séculier; que sa conduite prenait ses sources dans des principes aristocratiques et qu'il pouvait aller les mettre en pratique ailleurs ».

Quand les Sœurs arrivèrent, Roques eut le pressentiment qu'il allait y avoir quelque chose.

La Supérieure, en passant devant lui, aurait dit : « Si on emme-nait l'aumônier on pourrait tout emmener ». « On ne veut pas vous emmener, vous, dit alors Roques à la Supérieure ; on ne veut pas vous ôter votre liberté, ni vous gêner dans votre opinion. L'aumônier n'est que pour l'hôpital et vous pourrez entendre la messe de qui bon vous semblera. >>

La Sœur qui était avec la Supérieure ne répondit rien, mais la Supérieure, regardant le témoin d'un air mécontent, lui dit sur un ton vif : « Je vous dis que si on l'emmène, on peut tout emmener. »

Le maître tailleur Henri Barthes, de Cahors, fut encore entendu après le chirurgien Roques. D'après ce témoin, les pauvres de l'hôpital, en poussant de grands cris, disaient qu'ils voulaient M. l'abbé et n'en voulaient pas d'autre (1).

Le 20 mars, le Directeur du jury dressa l'acte d'accusation contre l'abbé Grandou et l'habitué de l'hôpital Austruy (2).

Le 15 mai, le tribunal criminel du département, siégeant à Cahors, sous la présidence de Judicis, acquitta Austruy (3). Il reconnut qu'en frappant le maire il avait agi sans discernement.

Le délit dont étaient prévenues la sœur Supérieure et sa compagne ne fut pas reconnu « de nature à mériter peine afflictive et infamante »><; les deux Filles de la Charité furent mises en liberté dès le 20 mars et ne comparurent pas devant le tribunal criminel (4).

Le jugement du tribunal ne renferme aucune sentence touchant l'aumônier Grandou. Nous ne savons pas, par ailleurs, qu'il ait été condamné par la suite. Il dut être mis en liberté, mais nous n'en avons aucune preuve.

(1) Tribunal Criminel, 1792 a, no 9.

(2) Ibid, no 8.

(3) Ibid, 1792, fos 27 à 29. Le Tribunal correctionnel se composait le 15 mai 1792 de Judicis, président; François Verninac, juge du tribunal du district de Martel; Jean Brugoux, juge du tribunal du district de Figeac; Antoine Cambres, juge du tribunal de district de Gourdou. Ces membres du Tribunal criminel signèrent la minute du jugement de ce jour.

(4) Archives du Lot, Tribunal Criminel, 1792 a, fos 27, 28 (vol. XIII).

CHAPITRE III

Violences contre les prêtres réfractaires

La constitution civile du clergé fut la cause de nombreux malheurs pour la France.

Le clergé se divisa au sujet de l'attitude à prendre à l'égard d'une loi qui, sans le Pape, organisait le culte. Les prêtres qui acceptèrent la loi du 12 juillet-24 août 1790 prirent le nom de constitutionnels, et ceux qui la refusèrent furent les réfractaires.

L'Eglise constitutionnelle fut défendue par l'Etat jusqu'à la proclamation de la séparation de l'Eglise et de l'Etat.

Les prêtres réfractaires, au contraire, furent combattus par les hommes de la Révolution et tout Gouvernement révolutionnaire.

La guerre faite aux prêtres réfractaires

après la fuite du Roi à Varennes (20 juin 1791)

La fuite du Roi à Varennes est un événement bien connu. Après la mort de Mirabeau, le roi Louis XVI, se sentant seul à Paris, s'enfuit pour se rendre à l'armée de Metz dont le dévouement à sa cause était certain. Mais, à Varennes, il fut reconnu et aussitôt il fut ramené à Paris.

A partir de ce moment, il y eut dans toute la France de nombreuses violences contre les prêtres qui avaient refusé de prêter le serment de fidélité à la Constitution et qui rejetaient la loi du 12 juillet-24 août 1790.

Cette guerre aux prêtres réfractaires a son explication.

Le roi Louis XVI avait refusé de faire les Pâques auprès d'un prêtre assermenté. Le 28 avril 1791, il avait voulu faire la communion pascale, à Saint-Cloud, des mains d'un réfractaire. Cette attitude avait établi un abîme entre lui et la Révolution. Il fut accusé de vouloir détruire la religion nationale.

Les révolutionnaires affectèrent de croire qu'il y avait un accord entre les réfractaires et lui, pour une action contre la Révolution elle-même. Ils attribuèrent des intentions séditieuses à la plupart des insermentés ou des rétractés. La colère fut extrême contre eux.

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