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« Delpy... Les prétendus crimes de Delpy se réduisent donc à des < propos inventés....

<< On lui reproche enfin d'avoir continué des registres de baptême << depuis que la loi l'en a dépouillé, mais, à l'époque de la loi, les << registres passèrent aux mains du nouveau fonctionnaire et il n'en << entrava pas les opérations; il a seulement pris note à l'église de << la régénération des enfants qu'on lui a présentés (1). »

L'accusateur public près le tribunal criminel du Lot, Deloncle, à Cahors, dressa contre cet ecclésiastique l'acte suivant d'accusation : 1° d'être allé, le 18 novembre 1792, à la maison commune de Gramat, à la tête d'une foule, pour se faire remettre de force des ornements destinés à deux ci-devant chapelles; 2° en second lieu, d'avoir troublé l'assemblée primaire de Gramat pour l'élection du juge de paix, le 4 décembre 1792; sur une motion faite par lui, l'assemblée fut dissoute ; 3° d'avoir dit, le 16 pluviôse, étant à souper chez Bessières de Gramat, à Lacroix de Latronquière, qu'il avait un parti plus fort que le sien; 4° d'avoir tenu le propos suivant à Aymard: « Si la Convention supprimait les traitements ecclésiastiques, il serait le premier à prêcher la contre-révolution > ; 5° d'avoir empêché par ses menaces la municipalité de Gramat d'exécuter ses fonctions de police, de l'avoir forcée de se ranger à son en la menaçant de la faire saccager par 2.000 brigands » (2). Quand il fut interrogé au tribunal criminel du Lot, Delpy désavoua, comme bien l'on pense, les inculpations portées contre lui.

Il en attribua « l'invention à des trames ourdies par ses ennemis ».

Il se dit persécuté par les ennemis de la Révolution; sa conduite politique et morale était celle d'un vrai patriote.

On devait le mettre au nombre des patriotes républicains persécutés par les aristocrates (3).

Mais sa cause n'était jamais jugée. Le tribunal criminel du Lot ne se prononçait pas. Voilà pourquoi, Delpy, en son nom et au nom de ses codétenus, Pecheyran et autres, qui se trouvaient dans la maison d'arrêt et de justice de Cahors, adressa la lettre suivante, le 29 messidor an II (17 juillet 1794), au tribunal criminel du département (4):

(1) Arch. nat. Wia 50, dossier 3.262.

(2) Ibid., D. III, 132 et Wis 50, dossier 3.262.

(3) Ibid., Wia 50, dossier 3.262.

(4) Le tribunal criminel était ainsi composé pendant le trimestre de messidor an II: Antoine Judicis, président; Jean-Vincens Lacoste, juge de Gourdon; Léon Lamothes, juge de Martel; Jean Brugous, juge de Figeac.

« Citoyens, Lorsque des scélérats aiguisaient le fer dont ils << devaient poignarder la patrie, et renouveler l'effrayant tableau « des crimes de la tyrannie, l'honnête homme gémissait dans le << silence, en attendant la main bienfaisante qui devait le rendre à << ses devoirs et à la liberté. S'il osait élever sa voix pendant le ter<< rorisme et appeler sur lui la justice nationale, c'est alors que des << monstres nourris dans le crime et craignant de le priver d'une << existence qui leur était odieuse, étouffaient ses justes réclama<< tions et resserraient ses fers. Aujourd'hui, une entière consola<< tion est rendue à l'innocence et le patriote opprimé voit enfin << tomber les verrous qui l'arrachaient à la société. C'est dans le « sein d'un tribunal juste et équitable que nous venons aujourd'hui << faire entendre nos cris de douleur. Depuis des années entières, << nous gémissons presque tous dans les fers. Nous vous deman<< dons enfin justice, et la justice la plus sévère, et vous prions, au << nom de l'humanité, de jeter un coup d'œil sur vos collègues du « Nord. Par décret du 8 frimaire, le tribunal criminel de ce dépar<< tement est autorisé à juger tous les individus arrêtés en vertu des << lois des 7 et 17 septembre, quels que soient les délits qu'on leur impute en posant la question intentionnelle... >

«

Le 19 frimaire an III (9 décembre 1794), le tribunal du département délibéra sur cette pétition. Il déclara que le tribunal n'étant nanti d'aucune des accusations portées contre Delpy et ses codétenus, se trouvait sans aucune compétence à leur sujet.

Il reconnaissait cependant que, vu l'état bien connu de ces détenus, l'humanité exigeait qu'ils fussent jugés promptement.

A cet effet, il importait que leur pétition fût connue du Comité de législation. Il prit donc un arrêté pour ordonner que cette pétition fût adressée à Paris, ainsi que le réquisitoire de l'accusateur public près le tribunal criminel.

Dans son réquisitoire, Deloncle disait :

<< Comme la Convention nationale vient par un décret du 7 fri<< maire dernier d'autoriser le tribunal criminel du département du « Nord à juger tous les individus arrêtés en exécution des lois des << 7 et 17 septembre 1793, de quelques crimes ou délits dont ils << soient prévenus ou trouvés coupables, l'accusateur public croit << qu'il convient d'adresser au Comité de législation (la procédure) << des détenus et d'inviter ce Comité à examiner s'il serait plus << utile ou plus avantageux de faire juger ces prévenus par le tribu<nal criminel du département ainsi que tous ceux qui sont détenus « dans le département pour des délits semblables. »

L'accusateur public envoya au Comité de législation, entre autres pièces, un mémoire de Delpy sur sa propre cause, analogue à celui qu'il avait écrit pour le Comité de Salut public.

Tout au début de son mémoire, le curé s'emploie à réfuter le témoignage de son premier dénonciateur, Delbut, qui avait rapporté au comité de Gramat un propos qu'il lui aurait tenu.

<< Pour ce propos, écrit le prêtre, imaginé par l'aristocratie, l'ac<< cusé gémit depuis neuf mois dans les fers, sans pouvoir obtenir << justice. Delbut n'a pas entendu ce propos. C'est un ouï dire et << est-ce d'un ouï dire que doit ressortir l'intime conviction? Un << patriote généralement reconnu, un citoyen qui, depuis la Révolu<tion, ne peut avoir commis d'autre crime que sa tâche originelle, << ce citoyen regretté, pleuré de tous les amis de la liberté, réclamé << par toutes les sociétés de son pays; ce citoyen doit-il être noirci < par la déposition de Delbut, au moins soupçonné d'exagération. » Le prêtre constitutionnel avoua ensuite avoir, en effet, voulu faire rapporter des mesures prises par la municipalité de Gramat, mais les raisons qui l'avaient fait agir ainsi n'avaient, selon lui, rien de répréhensible. Les faits étaient les suivants :

<< Le 2 mai 1793, Antoine Delmas, originaire de Gramat, se jeta, << par les nœuds du mariage, entre les bras d'une fille qu'il fré<< quentait depuis longtemps; après avoir obéi à la loi civile, Del<< mas se rendit à la ci-devant église pour y recevoir la bénédiction << nuptiale. Cette démarche le fit huer et pourquoi ? Parce qu'il << avait eu recours à un curé constitutionnel ! Pour priver Delmas, > le soir de ses noces, de sa chère moitié, on le requiert de monter << la garde. Gramat était pourtant tranquille, et c'est peut-être le « seul canton du département qui, par les soins de l'accusé ne << pourra fournir dans l'histoire aucun signe de catastrophe. Del<< mas, ne voyant dans sa réquisition qu'une farce réelle, désobéit ; <on l'emprisonne et, de plus, le nouveau marié est condamné à « une amende de 5 livres... A cette nouvelle, Delpy « plein d'hu« manité » dresse une pétition qu'il conserve encore..., pour faire << améliorer le sort des captifs. L'accusé réussit parfaitement, mais << le maire ou trois ou quatre autres, outrés de voir échapper leur « victime, verbalisent contre Delpy. Celui-ci ajoute : « L'accusé, « par humanité, par devoir comme notable, passerait-il aujourd'hui << pour avoir troublé cette autorité constituée dont il était en quel<< que façon un membre comme notable? L'accusé ne pouvait-il < pas manifester son opinion ?... L'accusé, comme notable, proteste << contre les erreurs de la municipalité. L'accusé serait-il coupable « de l'avoir fait ? Eh bien il se fait gloire d'avoir ainsi agi. >

Le curé Delpy prétend n'avoir pas parlé de susciter le rassemblement de 2.000 hommes et, sur ce point tout spécialement, il traite Delbut de << faux dénonciateur ».

Il considère sa déposition à ce sujet comme « un chaos de haine et de percussions ».

Il cherche à prouver que le témoignage allégué d'Aymard n'est pas valable, car il fut destitué de ses fonctions de maire par le représentant Taillefer et conduit ensuite dans une maison de réclusion à Cahors pour cause d'abus d'autorité et d'incivisme »; il fut décrété de prise au corps le 15 août 1790 pour être accusé de « crime de faux ».

Le prêtre constitutionnel se dit ensuite calomnié par ceux qui lui prêtent le fameux propos contre-révolutionnaire, à savoir d'être prêt à organiser lui-même une insurrection si la Convention ne payait plus les assermentés.

Son dénonciateur Bessières n'est, à ses yeux, que << l'agent du ci-devant seigneur de Gramat », qui ne pouvait être l'ami d'un curé constitutionnel et cet autre dénonciateur Lavaysse, gendre de Bessières, n'est qu'un « témoin vendu ».

Le mémoire de Delpy était accompagné d'une lettre de celui-ci adressée aux membres de la Convention. Après avoir exposé le prétendu délit pour lequel il avait été emprisonné, il disait :

<< Voilà mon crime: Voilà le délit que je soumets à votre juge<< ment. Voilà la fin de la calomnie contre moi par l'aristocratie de << Gramat. Eh bien ! je le jure, si mes ennemis peuvent m'imputer « un crime, c'est d'avoir fidèlement servi ma patrie, et je m'en « flatte. Terminez donc ma captivité; proclamez mon innocence opprimée; anéantissez le monument scandaleux d'iniquité et de << percussion. Brisez des fers que je porte depuis neuf mois. Ren<< dez-moi aux familles éplorées, à mes concitoyens chéris et les << amis du despotisme frémiront de voir une victime leur échap< per mais ceux de l'humanité applaudiront (1). »

«

Delpy et ses codétenus de Cahors ne furent jugés ni par le tribunal criminel du Lot ni par le tribunal révolutionnaire. Ils durent être l'objet d'une mesure de clémence et être mis en liberté.

(1) Arch, nat., D. III, 132,

CONCLUSION

Nous avons voulu, une fois de plus, approfondir le passé de la Révolution.

Comme pour nos travaux antérieurs, nous ne nous sommes mis à établir un récit qu'après avoir consulté les Archives nationales, les Archives du Lot et celles d'un certain nombre de communes.

Les Archives de l'important dépôt de Paris nous ont fourni une documentation très intéressante. Le fonds du Tribunal révolutionnaire, tout particulièrement, nous a fait connaître des détails curieux relativement à des condamnations à mort de Quercynois prononcées à Paris.

Mais nos Archives départementales, qui sont d'une richesse exceptionnelle pour la période révolutionnaire, nous ont révélé la plupart des données que nous avons utilisées dans les pages qui précèdent et que confirment les pièces de nos dépôts municipaux.

A s'en tenir au texte que nous avons pu constituer, il se déroula manifestement, sur cette terre de l'ancien Quercy, un drame bien poignant.

La lutte religieuse y fut très violente. Les populations ne gardèrent pas toujours leur calme accoutumé, ne voulant pas tolérer la suppression de leur culte traditionnel.

Elles n'acceptèrent pas que leurs curés fussent privés de toute liberté d'exercer les fonctions de leur ministère.

Sous la Terreur, nombreux furent les emprisonnements pour opinions religieuses et des têtes tombèrent à Cahors et à Paris.

Cette monographie régionale aura sans doute, au moins, le mérite de donner une idée suffisamment nette de ce que fut la Révolution au point de vue religieux, sur certains points du département. Elle pourra également, croyons-nous, apporter la preuve que la question religieuse, posée par la Constitution civile du clergé, compliqua singulièrement le problème révolutionnaire avec les crises aiguës qu'elle multiplia.

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