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Pour la dénonciation, il se servit du procès-verbal de l'émeute, que lui avait remis la municipalité.

Les deux juges de paix ayant entendu M. Grand, firent venir l'abbé Grandou, la supérieure de l'Hôpital, la sœur maîtresse et François Austruy, qu'ils interrogèrent successivement.

Les faits reprochés aux accusés parurent graves et de nature à mériter << des peines afflictives et infamantes ». Les juges de paix établirent donc un mandat d'arrêt contre les quatre co-accusés et les firent conduire à la prison du district de Cahors.

L'abbé Julien Grandou, la Supérieure Annette Lanizeule et la sœur Marianne Donay furent prévenus d'être les « auteurs et instigateurs de l'émeute» et François Austruy d'avoir attenté à la vie du maire, dans cette insurrection (1).

Le 14 mars, les deux Filles de la Charité étaient interrogées, dans l'auditoire du Tribunal du district de Cahors, par Barthélemy Albouys, qui faisait fonctions de directeur du Jury.

La Supérieure fut introduite la première, conduite par Jacques Prunet, gardien de la maison d'arrêt.

Dans la Congrégation, la Supérieure s'appelait Sœur Anne, et, dans le monde, Anne Lanizeule. Elle était à Cahors depuis 28 ans et âgée de 56 ans. Elle avait essuyé une fort grave maladie, six mois auparavant, et n'en était pas entièrement remise; de temps en temps, elle avait des accès de fièvre. Aux fêtes de la Noël 1791, elle avait reçu le saint viatique et même l'extrême-onction.

D'après ses déclarations devant le juge, Sœur Anne profitait des répits que lui laissait la maladie « pour donner quelques coups d'œil de surveillance à l'Hôpital, dont le soin lui avait été confié ». Le 12 mars, elle était allée au four pour donner ses ordres. Il était quatre heures du soir. Les pauvres vinrent lui dire que les officiers municipaux étaient chez l'aumônier. Elle se rendit aussitôt à l'appartement de M. Grandou et y trouva M. Sallèles, maire, << avec d'autres messieurs ».

Elle demanda à Sallèles ce qu'il désirait et celui-ci lui répondit qu'il était venu donner congé à l'aumônier pour en placer un autre, que cela ne la regardait pas et qu'elle n'avait qu'à se retirer.

« Pénétrée de respect pour l'autorité constituée, d'après sa décla«<ration, elle obéit au maire et s'en revint au four. De là, elle enten« dit du train. Elle voulut accourir pour tâcher d'en imposer par << sa présence, et de ramener le calme, mais la faiblesse de ses

(1) Tribunal Criminel, 1692, nos 15, 22, 23.

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jambes, effet de sa maladie, l'obligea de s'arrêter après quelques << pas et de s'asseoir. Ayant ensuite entendu des voix inconnues qui << criaient où est la Supérieure ? elle se leva et, aussitôt qu'elle vit « près d'elle des gens étrangers à l'Hôpital, qui réitéraient la même question, elle dit : « Messieurs, c'est moi ». Messieurs, c'est moi». Alors, ces Messieurs << la prirent et la conduisirent à la maison commune, avec Sœur << Marianne et Grandou. Elle et Sœur Marianne furent logées chez « le concierge et Grandou fut mis dans un cachot. Le lendemain, <«<elle fut, dans l'après-midi, interrogée, et, le soir, à la nuit, elle <«< fut conduite, avec sa Sœur, dans la maison d'arrêt où elle est << actuellement. »> (1).

Après la Sœur Supérieure, Soeur Marianne comparut devant Albouys.

Son nom de famille était Marianne Donay; son nom de religieuse, Sœur Marianne. Elle était à Cahors depuis 23 ans et avait 56 ans.

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<< Le 12 du courant, d'après sa déposition, après les 3 heures et demie, elle était occupée à mouiller la soupe dans la salle des hommes malades, lorsqu'elle vit venir une fille de l'Hôpital, tout essoufflée, criant: Ah! mon Dieu, nous sommes perdues! Voici le club, on veut tuer M. l'abbé ! »

Avec le maire et les officiers municipaux, il y avait, en effet, quatre membres de la Société des Défenseurs de la Liberté qui, au dire du témoin Malbert, étaient venus assister à l'expulsion de l'aumônier.

L'humble religieuse prit une écuelle, la porta à un enfant malade, à la boutique de la filature, et, de là, se rendit du côté de M. Grandou. Elle demanda ce qui se passait et les pauvres, d'un air effrayé, lui répondirent M. Sallèles est là !

Mais elle leur dit qu'ils pouvaient rester tranquilles, qu'ils n'avaient rien à craindre de la part de cet honnête homme.

«

<< Cependant, les pauvres continuèrent de pleurer et de pousser « des cris de désolation, à ce que déclara encore Sœur Marianne, et « elle revint à la salle des malades, disant à tous ceux qu'elle ren«< contrait sur ses pas d'être tranquilles. Arrivée dans cette salle, <«<elle entendit encore du bruit. Elle sortit et entendit dire que Sal<«<lèles était blessé. Aussitôt elle accourut vers Sallèles, qui avait << effectivement une excoriation à la jambe et une égratignure au

(1) Ibid, no 16.

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visage. Elle et Sœur Angélique pansaient la plaie de Sallèles lorsqu'un Monsieur, qu'elle reconnut pour être chirurgien, parut et << continua le pansement. Elle voulait donner à ce chirurgien du fil << pour le bandage; à ce moment, elle fut saisie par un officier portant un uniforme blanc et des épaulettes. Les enfants de l'Hôpital continuaient de crier et de pleurer. Elle les exhorta à s'apaiser, mais suivit ses conducteurs dans la maison commune ; elle fut interrogée le lendemain, et, le soir, conduite avec sa Supérieure dans la maison d'arrêt, où elle est détenue. » (1).

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Le 15 mars, le juge Barthélemy Albouys convoqua l'abbé Julien Grandou, dětenu déjà depuis deux jours.

L'aumônier était né à Martel et habitait Cahors seulement depuis trois ans, en qualité de chapelain desservant l'Hôpital général.

Depuis quelque temps, d'après les déclarations de M. Grand ou, courait le bruit qu'il devait être sommé d'abandonner le service de l'Hôpital. Pénétré de respect pour la puissance civile, il était déterminé à se retirer aussitôt que les magistrats le lui ordonneraient. Il reçut copie d'un acte où Jean Danglars lui déclarait qu'il l'interdisait de ses fonctions. Avant de recevoir cet acte il évitait de manifester ses opinions religieuses dont il n'est intérieurement comptable qu'à Dieu et à sa conscience. Mais, à la vue de l'acte de M. Danglars, il répondit avec modération et il exposa ses principes, de la manière qu'il crut compatible avec le respect dû à la loi. Le douze du courant, vers les 3 h. 30 de l'après-midi, étant dans la cour de sa maison, il vit venir une troupe de 15 à 20 hommes qui s'avancèrent vers le lieu où il était. Il ouvrit la porte et il introduisit ces Messieurs dans sa maison. M. Sallèles lui dit en patois et d'un ton tranquille et amical : « Nous venons voir si vous persistez dans votre refus de prêter votre serment. » Il répondit que oui, qu'il n'avait pas pris imprudemment sa dernière résolution, et qu'il n'abandonnerait jamais une détermination prise en si grande connaissance de cause. « Vous savez, dit alors M. Sallèles, que vous êtes interdit, non seulement pour la ville, mais pour tout le département. » Il lui répliqua aussitôt, d'un air fort calme : « Pour ce qui est de l'interdit, je sais à quoi m'en tenir, mais je vois bien que ce n'est pas ce dont il s'agit à présent et qu'il faut que je décampe d'ici. » Puis, adressant en français la parole aux autres, il leur dit : « Messieurs, me voilà

(1) Ibid, no 18.

soumis. >> — « Prenez donc votre bonnet de nuit, dit alors Sallèles, et allez coucher dehors. Je vous défends de plus mettre les pieds dans l'Hôpital et de plus y faire aucune fonction. » Il le pria de vouloir bien agréer qu'il emportât ses effets, et il se proposait de sortir de suite, parce qu'il sentait bien que ce n'était point là le cas de répondre, comme à M. Danglars, par des citations de canons.

Le maire lui dit alors qu'il pourrait revenir le lendemain pour chercher ses effets et que, si un jour ne lui suffisait pas, il pourrait en employer deux ou trois, ou davantage. Il remit des cages à un enfant, appelé Vic, qui était sur la cour, et que sa servante appela de la fenêtre. Il dit à la Sœur Supérieure, qui apparut : « Pour le coup, ma sœur, je vous quitte. »

Au moment où l'émeute éclata, il accourut vers les émeutiers. Les gens qui étaient à la suite des officiers municipaux lui assénèrent des coups de poing et des coups de canne, en lui criant : « Ah! c'est toi, b..... Ah! c'est toi, malheureux, qui as fait tout ceci. »>

Il allait toujours, sous les coups de poing et sous les coups de canne, lorsqu'il vit Sallèles colleté par un misérable qui était épileptique.

M. Grandou ne savait plus, à ce moment-là de l'insurrection, ce qu'il était. Il ne pouvait qu'être fort effrayé ; il fut frappé violemment par les gens qui composaient la suite de la municipalité et parmi lesquels se trouvaient certains membres du club des Défenseurs de la Liberté.

Il se crut perdu lorsque le maire fut aux prises avec le fou Austruy.

Il lui parut que ce jour-là était le dernier de sa vie, surtout lorsqu'il fut conduit à la maison commune.

Chemin faisant, toujours frappé, toujours poussé, il donna de la tête contre un mur, et laissa tomber son chapeau et sa calotte.

Un inconnu lui remit le chapeau et lui dit : « Ramassez la calotte, qui est à quelques pas. »>

Arrivé à la maison commune, <«< il fut conduit d'abord dans le consistoire, où il reçut bien des avanies, notamment de MM. Grombault et Oulié père, citoyens de cette ville, qui lui dirent bien des paroles dures, et qui, cependant, revenant bientôt à leur caractère, lui firent quelques honnêtetés ».

De la salle des séances de l'Hôtel de Ville, il fut conduit, avec François Austruy et un autre détenu, Le Moyne, dans « un cachot », où il resta jusqu'au lendemain au soir, vers les sept heures.

Environ une demi-heure après, quelqu'un ouvrit le guichet, et,

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comme il s'approcha, il vit un certain Combarieu, qui lui dit : « Te voilà, Jean, f..... » << Est-ce vous, Monsieur Combarieu, répondit-il, et pourquoi me maltraitez-vous ainsi?» « Oui, f......, répondit Combarieu; s'il n'y a pas de bourreau pour te pendre, j'en servirai. » <«< Et moi, dit-il, si je trouve l'occasion de vous servir, je la saisirai. »

Combarieu s'en alla, continuant toujours ses gros mots. Quelque temps après, l'aumônier entendit quelqu'un qui criait à gorge déployée: Monsieur Grandou, Monsieur, vous êtes un f.... gas. Regardant par le guichet, il fut fort étonné de voir là M. Lavit, apothicaire. « Est-ce vous, Monsieur Lavit, lui dit-il. » Qui f....., répondit Lavit, vous êtes un f..... gas et vous mourrez. » « Et vous aussi », lui dit l'autre. << Mais vous mourrez plus tôt que moi », lui dit Lavit. << Vous n'en savez rien, dit l'aumônier, nescitis diem neque horam. » — « Vous mourrez dans trois jours, dit Lavit, si vous ne vous en sortez par grâce; en tout cas, ce sera moi qui, si je vous trouve dehors, vous tuerai moi-même. » moi, Monsieur Lavit, je vous aimerai toujours; bonsoir, Monsieur Lavit, répliqua M. Grandou. >>>

-

- «Et

Il entendit ensuite une voix qui, de la fenêtre, criait : « Au moins, qu'on ne lui porte rien. » Un autre répondit de la cour: « Non, rien que du pain et de l'eau, à ce bougre (sic). »

Cependant, il attendit qu'on lui portât ce pain et cette eau. Il ne vit rien de toute la nuit qu'il passa dans le cachot, « tantôt debout devant le guichet, et tantôt assis sur des bûches, n'ayant pas même de la paille pour se coucher ».

Le lendemain, vers les onze heures, il fut traduit devant Ramel et Olivier, juges de paix, qui procédèrent à son interrogatoire et le traitèrent << fort humainement et fort honnêtement ».

Ces deux Messieurs lui firent lecture du procès-verbal rédigé par la municipalité, dont il ne voulut pas accepter le contenu et dont les exagérations provenaient, selon lui, de l'état de trouble où étaient les magistrats municipaux quand ils le rédigèrent.

Sa déclaration devant le juge Albouys est particulièrement intéressante, en ce qui concerne la confiance qu'il dit avoir dans les officiers municipaux. « Pleinement convaincu de la probité de ces magistrats, par la connaissance particulière qu'il a de leur personne, autant et plus encore par la présomption que forment en leur faveur les suffrages du peuple, M. Grandou se persuade qu'ils s'empresseront de lui rendre justice, en réduisant leurs premières observations à des vérités dont ils aient la pleine certitude. »>

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