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D'après l'accusateur public, le vicaire Demotha, nanti des clefs de la sacristie, avait dit la messe de paroisse, qui était la première, sans la permission du curé intrus Blanc. C'était le 27 novembre 1791. Il avait fait, ce dimanche-là, son prône habituel et personne ne pouvait soupçonner ce qui allait se produire. Mais, la messe terminée, sans prévenir personne, il fit fermer l'église. A ceux qu'il rencontrait, il donnait simplement comme motif de la fermeture de l'église qu'il avait paru dans la commune « certains personnages suspects ».

Un de ces personnages était sans nul doute le constitutionnel Jean Blanc, qui venait d'être élu à la cure de Frayssinhes.

Au prône de la messe de paroisse, il n'avait nullement parlé du curé qui devait prendre possession de la paroisse. Cependant, il s'était étendu longuement « sur de prétendus faux prophètes qui, n'entrant pas par la vraie porte, étaient des loups ravisseurs ». Ces propos s'appliquaient évidemment au constitutionnel Blanc, bien qu'il ne le nommât pas.

Un rapport des membres du tribunal nous renseigne sur ce qui se passa par la suite:

« Ce même jour, dit ce rapport, Blanc, voulant chanter les vêpres << à l'heure accoutumée, en fut empêché, parce que le maire Laribes, ayant reçu du constitutionnel la clef de l'armoire de la sacristie <«< où il avait déposé les cierges qu'il avait apportés, ne put la trou(( ver au moment des vêpres.

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«Mais Blanc étant allé pourvoir à son ameublement, le curé Lar<«<ribe et son vicaire dirent les vêpres comme de coutume; ce qui << prouve la connivence entre le ci-devant curé et le vicaire, avec le << maire.

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« Le 4 du courant, Demotha dit aussi la messe de paroisse et << Blanc ne put dire la sienne qu'après lui.

<< Blanc, comme il entrait à l'église avec les officiers municipaux « pour vérifier certains effets de la sacristie, lui et les officiers municipaux trouvèrent le ci-devant curé Larribe au confessionnal, assiégé d'un nombre de femmes.

Blanc dit les vêpres à l'heure accoutumée, auxquelles il y eut « peu de personnes, et, aussitôt après, on sonna les cloches comme « si on n'avait pas dit les vêpres, et l'ex-curé et l'ex-vicaire chantè« rent vêpres comme s'il n'y avait pas eu de curé établi par la << loi... >>

Le rapport dit encore :

« Le ci-devant curé a dévasté le presbytère et ses appartements « au point qu'il a fait enlever le portail de la basse-cour qui empê«< chait de pénétrer dans la demeure presbytérale, dans la grange « et le jardin adjacent ; il fit enlever une cloison en bois de menui«serie à l'intérieur, d'entre le salon et la cuisine..., de telle sorte <«< que Blanc ne peut être en sûreté ni pour sa personne, ni pour ses << effets.

« Un individu lui avait voituré ses effets de Saint-Céré à Frays<< sinhes; il ne put se retirer avant la nuit et laissa sa charrette <«< dans la basse-cour du presbytère, mais, pendant la nuit, des «< émissaires, sans doute du ci-devant curé, prirent cette charrette, «la renversèrent et l'entraînèrent, quand quelqu'un de ceux qui <«< étaient venus aider Blanc à garder le mobilier, tira un coup de << fusil et il y fut riposté par autres deux coups de la part de ceux qui étaient dans la basse-cour (1). »

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Il y avait là, au point de vue juridique, disaient les membres du tribunal, en vertu des dispositions en vigueur, des procédés qui méritaient une sanction.

L'accusateur public avait requis du tribunal une information contre les deux réfractaires « auteurs des crimes mentionnés ». Le tribunal versa au dossier une copie de l'information faite, le 19 décembre 1791, à Martel, en présence du juge Chaumeil.

Les faits reprochés aux deux réfractaires de Frayssinhes ne furent pas communiqués à la haute-cour qui siégeait à Orléans.

Le curé remplacé, Larribe, eut le sort de beaucoup d'autres réfractaires. Il fut obligé de quitter son église. Il se cacha un certain temps. dans quelque village de Frayssinhes, ou quelque hameau d'une paroisse environnante, en attendant d'être arrêté et mis en réclusion à Cahors (2).

IV

Le remplacement de l'aumônier Grandou

Le prêtre Grandou, aumônier de l'Hôpital général Saint-Jacques, à Cahors, ayant refusé de prêter le serment exigé par la loi du 27

(1) Archives Nationales, D. III, 133.

(2) Revue Religieuse de Cahors, t. XVII, articles de M. L. Viguié.

novembre-26 décembre 1790, et par celle du 15-17 avril 1791, dut quitter son poste. Le 8 octobre 1791, l'évêque constitutionnel Jean Danglars le suspendait de ses fonctions, voulant mettre à sa place un prêtre en règle avec les lois du serment.

1 UN HUISSIER INTIME A L'ECCLÉSIASTIQUE, L'ORDONNANCE ÉPISCOPALE. Le 15 octobre, l'huissier royal, Antoine Bosredon, de Cahors, signifia à l'abbé Grandou l'ordonnance du 8, au nom de M. Jean Danglars. Il fit « commandement à Grandou, sans délai, d'y obéir, de s'y conformer de tout son contenu »>.

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L'aumônier de l'Hôpital, en recevant cet exploit d'huissier, fit, en présence de M. Bosredon, une profession explicite de foi et montra l'étendue de ses pouvoirs comme l'origine de ses fonctions. Il répondit qu'il était à la tête d'un troupeau qui, dans son entier comme dans chacun de ses membres, fait profession de la religion catholique, apostolique et romaine, qu'il réclame à hauts cris le haut exercice de son culte, que la loi lui accorde, et que, comme prêtre lui-même, par un serment solennel au pied des autels, il s'est engagé à obéissance, fidélité envers son évêque légitime et ses successeurs, institués reçus et approuvés de l'Eglise universelle par son chef visible, médiatement ou immédiatement... ».

Il eut recours à la haute autorité des conciles pour protester contre l'ordonnance de M. Danglars, à savoir du premier concile de Nicée, du second et du huitième concile de Constantinople et de plusieurs autres conciles qu'il croyait superflu de mentionner (1).

2° EXPULSION DE L'AUMÔNIER. Le 16 mars 1792, devant Barthélemy Albouys, juge du tribunal du district de Cahors, remplaçant le Directeur du jury d'accusation Cayla, empêché, comparaissait Gabriel Malbert, de Cahors, âgé de 46 ans, pour témoigner dans l'affaire de l'expulsion de l'aumônier. Ses premières déclarations portèrent sur les motions votées par la Société des Défenseurs de la Liberté, tendant à faire chasser M. Grandou de l'Hôpital.

Le témoin Malbert assistait seulement aux séances du club. « Par défaut de moyens », ce témoin n'avait pas pu en devenir membre ; il y était seulement affilié.

A plusieurs séances, il avait été question de la non-prestation de serment de cet aumônier. Chaque fois, les membres du club exigeaient que M. Grandou « fût tenu de quitter son emploi ».

(1) Archives du Lot, Tribunal Criminel du Lot, 1792 a, no 19, M. Grandou cite spécialement le canon 4, du 1er Concile de Nicée, le canon 6o, du 2 Concile de Constantinople, et les canons 4 et 25 du 8 Concile de Constantinople.

L'expulsion réclamée si impérieusement par cette Société eut lieu le lundi, 12 mars 1792. Elle fut l'occasion d'événements graves.

Vers les 3 heures et demie de l'après-midi du 12, le maire, Jean Sallèles, les officiers municipaux Antoine Souquet, Jean-Baptiste Vendol, et le procureur de la commune, Pierre Grand, accompagnés d'Antoine Carla, secrétaire-greffier, se rendirent à l'Hôpital général. Ils allèrent frapper à la demeure de l'aumônier, M. Grandou, pour lui rappeler l'interdit lancé contre lui par l'évêque du département et qui lui avait été signifié le 15 octobre précédent.

Ils lui proposèrent encore une fois, cependant, de prêter son serment, comme le droit lui en était reconnu par la loi du 17 avril 1791 (1). Mais l'aumônier rejeta semblable proposition et répondit énergiquement qu'il ne le prêterait jamais. Il avoua ne pas reconnaître l'interdit jeté contre lui par un évêque dont il n'acceptait pas l'autorité, et proclama qu'il irait toujours son train ». Devant ce refus, le maire et les officiers municipaux interdirent à M. Grandou « de ne plus s'immiscer dans les fonctions d'aumônier du dit Hôpital ».

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A ce moment-là, un signe aurait été fait de la fenêtre par l'aumônier et aussitôt la Supérieure des Sœurs de la Charité se serait présentée et aurait demandé aux membres de la municipalité dans quel but ils se trouvaient là. Ceux-ci lui auraient répondu « que cela ne la regardait pas ». M. Grandou ne cacha pas à la Supérieure qu'on venait le chasser de l'Hôpital.

Au même instant, on entendit un vacarme épouvantable autour de l'appartement de l'aumônier. Des hommes et des femmes criaient « qu'il fallait égorger la municipalité, que les officiers municipaux étaient des gueux, des damnés, puisqu'ils voulaient leur enlever l'aumônier ».

La municipalité accusa M. Grandou d'être l'instigateur de tout ce tumulte et le fit arrêter.

Pendant que deux hommes conduisaient l'aumônier à la maison commune, un individu, François Austruy, s'efforça de le délivrer, mais il en fut empêché par le maire, qui, dans cette occasion, fut blessé au-dessus de la joue gauche.

Austruy fut lui-même saisi et conduit, avec Grandou, à l'Hôtel de Ville.

Le maire, revenu à l'Hôpital, parvint à faire rentrer dans leur

(1) La loi du 15-17 avril obligeait au serment les chapelains desservant les hôpitaux. Ceux qui ne le prêtaient pas étaient remplacés de plein droit.

chambre « les insurgés ». Mais comme des cris furent encore poussés, on accusa la Sour Supérieure et une autre Sœur de la Charité de les avoir provoqués, et on les fit arrêter, elles aussi.

Le calme ayant été enfin rétabli à l'Hôpital, le maire fit fermer les portes de la demeure de l'aumônier et en prit trois clefs.

Maire et officiers municipaux, avec le procureur de la commune, tous ceints de l'écharpe tricolore, passèrent ensuite dans les salles de l'Hôpital pour exhorter les pauvres au calme. Mais ceux-ci ne manquèrent pas de réclamer vivement l'aumônier et les deux religieuses,<«< sans quoi il y aurait du train ». Les magistrats les exhortèrent encore une fois à se montrer bien paisibles, leur assurant que rien ne leur manquerait, et qu'on « allait pourvoir tant à leur spirituel qu'à leur temporel ».

Aussitôt après, les officiers municipaux se rendirent à l'appartement des Sœurs pour les engager à veiller sur tous ces malheureux. Mais les religieuses se mirent à exiger d'eux le retour de la Supérieure et de la Sœur maîtresse.

La gendarmerie à cheval, requise par la municipalité, fit des patrouilles aux environs de l'Hôpital, faisant circuler les manifestants qui pouvaient s'y trouver; elle empêchait tout hospitalisé de sortir de la maison.

Un piquet de garde nationale vint au secours de la municipalité, sous le commandement de Delpech, chef du second bataillon. Des sentinelles purent ainsi être placées à toutes les portes extérieures de l'Hôpital.

Le lendemain, le maire fit prévenir M. Danglars, président du Bureau d'administration de l'Hôpital Général; Pontié, administrateur; Lassagne, trésorier, et Amadieu, syndic, de se réunir le jour même à la maison commune. A cette séance, il fut décidé de convoquer pour le jour suivant le Bureau d'administration de l'Hôpital. Il fallait, en effet, pourvoir au plus tôt au remplacement de l'aumônier et à l'administration temporelle du service intérieur, et prendre toutes mesures utiles pour le bien des pauvres (1)..

3° EMPRISONNEMENT DE L'AUMÔNIER, DE DEUX FILLES DE LA CHArité et de FRANÇOIS AUSTRUY. Le 13 mars, au lendemain des événements de l'expulsion, le procureur de la commune, Pierre Grand, dénonça aux juges de paix, Pierre Ramel et Jean-Baptiste Olivier, les prétendus instigateurs des troubles de l'Hôpital.

(1) Archives du Lot, Tribunal Criminel, 1792 a, no 21.

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