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CHAPITRE III

Affaires de recel de prêtres réfractaires devant les tribunaux

Un décret du 26 février 1793 punissait « de six ans de force » quiconque donnait refuge à une personne sujette à la déportation ou à l'émigration. Le décret du 30 vendémiaire an II édictait la déportation contre toute personne qui donnait asile à un prêtre réfractaire. Celui du 22 germinal-1" prairial (11-20 avril 1794) était plus terrible encore. Le nouvel édit frappa de mort celui qui recevait un ecclésiastique.

Le décret relatif aux receleurs d'ecclésiastiques sujets à la déportation était ainsi conçu :

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<< Article premier. A compter de la promulgation du décret du 30 vendémiaire, concernant les ecclésiastiques sujets à la déportation, et en exécution de l'article 17 de ce décret, celui qui aura recélé un ecclésiastique sujet à la déportation ou réclusion, ou ayant encouru la peine de mort, sera puni de la déportation.

« 2. A compter de la publication du présent décret, le receleur d'ecclésiastiques soumis aux peines énoncées en l'article 1o sera regardé et puni comme leur complice.

« 3.

Le présent décret sera publié par la voie du Bulletin de correspondance. »

Dans notre région, aucune personne ne fut condamnée à mort pour avoir reçu chez elle un prêtre réfractaire. La peine édictée par une loi aussi féroce ne devait pas empêcher les familles de recevoir des prêtres poursuivis par les lois. Mais les magistrats prirent soin de ne pas constater suffisamment le délit.

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Recel de prêtres insermentés à St-Vincent-Rive-d'Olt

L'affaire de St-Vincent datait d'une époque antérieure aux deux lois relatives au recel des prêtres que nous venons de rappeler.

Les femmes Marie Baduel, veuve Grézels, et sa fille Marguerite Grézels, poursuivies pour avoir recélé les prêtres Bessières et Blanić, furent interrogées, le 30 août 1793, par le juge de paix du canton de Luzech, François Derrupé.

Le même jour, un mandat d'arrêt fut dressé contre « ces femmes coupables» et elles furent conduites à la maison de détention du tribunal du district de Cahors.

A la maison d'arrêt, les 1 et 2 septembre, ces femmes furent interrogées par Hippolyte Baudus, directeur du Jury du tribunal du district.

Le 11, plusieurs témoins firent leurs dépositions, et, le 13, PierreJoseph Calmels, juge suppléant du tribunal du district, faisant provisoirement les fonctions de directeur du jury, qui la veille avait établi un acte sévère d'accusation, prit une ordonnance pour faire transférer les inculpées « détenues en la maison d'arrêt du district de Cahors en la maison de justice du tribunal du district ».

Cette ordonnance fut, le 14, portée à la connaissance des municipalités de Cahors et de St-Vincent par Pierre Bédué, huissier au tribunal de district, envoyé par le directeur du jury.

Le 20 septembre, eut lieu, dans l'auditoire du tribunal criminel, l'interrogatoire des deux femmes Baduel et Grézels par Jacques-Joseph Malet, juge du tribunal du district de Montauban, délégué par le président du tribunal criminel.

Marie Baduel, veuve de Pierre Grézels, àgée de 54 ans, domiciliée à Cournou, commune de St-Vincent, se présenta la première. D'après ses propres déclarations, elle avait reçu le 21 juin 1793 un prêtre, nommé Baptiste Blanié, curé de Pomarède, et elle l'avait gardé jusqu'au 23 août. Ce prêtre avait été arrêté par des membres de la garde nationale de St-Vincent.

Un autre prêtre, du nom de Bessières, avait établi domicile chez elle, du 10 août 1793 au 23 du même mois, date à laquelle il avait été arrêté avec Blanié.

En se présentant, Blanié s'était dit quelque peu malade. Il avait sollicité un séjour de quelque temps pour lui permettre de se remettre un peu.

Le juge Malet demanda à la femme Baduel si elle savait que Blanié était un prêtre réfractaire, mais elle refusa de répondre ; elle ne voulut pas non plus dire si les deux ecclésiastiques s'étaient présentés chez elle la nuit, bien que la question lui en fût posée.

L'inculpée prétendit avoir connu le prêtre Bessières quand il était venu à St-Vincent servir la paroisse à titre de vicaire, quinze jours ou trois semaines avant qu'il entrât chez elle. Elle se rappelait même que cet ecclésiastique avait servi St-Vincent avant cette époque, pendant deux mois ou deux mois et demi.

Durant son séjour chez la femme Baduel, Bessières avait célébré quelquefois la messe et Blanié la lui servait. Celui-ci l'avait dite aussi en plusieurs circonstances, mais personne ne la lui avait

servie.

L'inculpée ne voulut pas dire si quelqu'un venait du dehors pour entendre les messes dites par les deux prêtres. En ce qui la concernait, elle avoua simplement que, montant au pigeonnier, elle avait vu l'un d'eux célébrer la messe. Ses enfants avaient évité, comme elle, d'entendre les messes que pouvaient dire ces prêtres.

Sur la demande du juge, la femme Baduel donna quelques détails sur la manière dont l'autel, où célébraient les deux prêtres, avait été formé dans le pigeonnier. Il avait été dressé « avec des planches, un barril et un petit banc ». Elle n'avait fourni à proprement parler ni le banc ni le barril: eux-mêmes les avaient pris << sans qu'elle s'en aperçût ».

Elle refusa de dire si elle avait fourni le linge qui leur était nécessaire pour dire la messe, et « d'où ils avaient tiré les ornements nécessaires à leurs offices ».

Pour la nourriture utile aux deux ecclésiastiques, elle leur avait simplement vendu du pain et du vin comme l'usage est de le faire à des passants.

Sur le point de savoir si elle connaissait la défense portée par la loi de recéler des prêtres réfractaires, la même femme déclara qu'elle l'ignorait totalement. Elle ne savait même pas que les deux prêtres fussent réfractaires ou sujets à la déportation et il lui aurait été difficile de le savoir, « puisqu'elle avait été malade pendant longtemps ce qui l'avait obligée à garder la maison ».

Marguerite Grézels, fille de la précédente, habitant avec sa mère à Cournou, àgée de 23 ans, déclara, dans ses réponses aux questions qui lui furent posées, avoir vu deux prêtres dans sa maison. Blanié était venu la nuit, se disant malade.

L'inculpée connaissait ce prêtre comme curé de Pomarède, et elle avait entendu dire qu'il avait prêté le serment exigé par la loi.

Pour Bessières, elle l'avait vu dire la messe durant deux mois environ à l'église de St-Vincent; quand il vint à Cournou, il n'avait cessé de célébrer publiquement que depuis quinze jours ou trois semaines.

« A la maison », déposa cette jeune personne, on fournissait aux deux prêtres le pain, le vin, la soupe ». Après que Bessières fut « arrivé, ils dirent tous deux la messe, quelquefois, dans le pigeonnier.

Mais elle ne voulut pas dire si sa mère lui fournissait le linge « pour faire les offices ». Elle n'avait jamais su « d'où ils sortaient les ornements leur servant à dire la messe ».

Le 16 octobre, à 8 heures du matin, plusieurs témoins comparurent devant le président Judicis, du tribunal criminel. Ils avaient été convoqués par Sers, faisant fonctions provisoires d'accusateur public.

Les témoins étaient Jean-Paul Guilhou, tonnelier; Pierre Delfau cadet, marchand de St-Vincent; Antoine Bessières, forgeron; Pierre Apchié, cultivateur; Baptiste Cambrou, aîné; Barthélémy Cambrou, cadet, marchand; Vincent David, propriétaire; Jean Lacombe, cadet; Vincent Granier, fils cadet, tonnelier.

L'acte d'accusation et le jugement porté contre Marie Baduel et Marguerite Grézels sont du même jour, du 16 octobre.

L'acte d'accusation du directeur du jury du tribunal du district de Cahors, lu au tribunal criminel du département, établissait les points principaux de l'affaire, concernant le recel de prêtres insermentés.

Le 30 août précédent, François Marcenac, huissier du canton de Luzech, avait porté à ces femmes un mandat d'arrêt délivré par le juge de paix Derrupé. Elles avaient été aussitôt conduites à la maison d'arrêt.

Après leur interrogatoire qui s'était fait immédiatement, le procureur général syndic et le procureur de la commune de St-Vincent avaient dénoncé le délit commis à l'accusateur public. Le directeur du jury avait procédé à l'examen des pièces et avait estimé que le délit était de nature à mériter « une peine afflictive ou infa

mante ».

<< Il résulte de l'examen des pièces de la procédure, et notam<< ment des procès-verbaux de la commune de St-Vincent et du << directoire du département, porte l'acte d'accusation, que les nom<< més Blanié et Bessière, prêtres réfractaires et insermentés, ont << été accueillis dans une maison de St-Vincent, où ils ont été, pen<< dant quelque temps, cachés ; que Baduel et Grézels mère et fille, « sont prévenues d'avoir donné asile, dans leur maison, à ces deux « prêtres... ; qu'elles ont déclaré au directeur du jury qu'à la vérité, << elles avaient reçu dans leur maison Blanié et Bessière, que Blanié <y a resté depuis le 21 juin jusqu'au jour où il fut arrêté, ce qui << fait un espace de deux mois deux jours, et que Bessière y a resté << depuis le 12 août jusqu'à son arrestation, ce qui fait onze jours;

<< que les deux prêtres étaient pourvus d'un calice et d'ornements « pour dire la messe, qu'ils avaient dressé un autel dans leur << chambre, qu'ils y disaient la messe, que Baduel et Grézels, mère et << fille, entendaient seules, sans aucun concours d'autres personnes, << qu'elles ne connaissaient aucune loi qui leur défendit de donner << asile aux prêtres insermentés, que, si elles en avaient eu connais<< sance, elles n'en auraient pas reçu... »

Après avoir entendu l'accusateur public, le tribunal condamna les deux femmes Baduel et Grézels, à six ans de réclusion dans une maison de force, conformément à l'article 9 du titre I de la première partie du code pénal et à l'article 4 de la loi du 26 février 1793. L'article 9 disait :

<< Dans le cas où la loi prononce la peine de fer pour un certain .<< nombre d'années, si c'est une femme ou une fille qui est convain« cue de s'être rendue coupable des dits crimes, ladite femme ou << fille sera condamnée pour le même nombre d'années à la peine << de réclusion dans la maison de force. »

L'article 4:

<< Toute personne qui aura recélé ou caché, moyennant salaire << ou gratuitement, une autre personne assujettie aux lois de l'émi<<gration ou de la déportation, sera punie de six ans de force. »

Les deux femmes furent encore condamnées, en vertu du jugement du tribunal criminel, à être conduites sur la place publique de Cahors, à y être attachées à un poteau placé sur un échafaud et à y demeurer exposées aux regards du peuple pendant six heures (1).

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Recel d'un réfractaire à Beauregard

Le 20 octobre 1793, un officier municipal de Beauregard, Antoine Carrié, porta plainte auprès du juge de paix Debons, de Limogne, contre une certaine Marie Marty, « au sujet de faire ouïr des témoins », pour savoir s'il était vrai que, le 22 mars dernier, il avait été trouvé un prêtre caché chez elle.

Déjà, le 18 août, le juge de paix Debons avait lui-même écrit aux

(1) Arch. du Lot, Tribunal criminel, vol. 15, folios 133-135; série L, soussérie 26, Justice, Tribunal criminel, 1793 e, nos 8 à 19.

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