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CHAPITRE II

De la condition faite aux prêtres réfractaires

A partir des premières lois de proscription, de nombreux prêtres réfractaires vécurent cachés dans le pays.

Parmi ceux qui avaient émigré au lendemain de la promulgation de la loi du 26 août 1792, plusieurs rentrèrent subrepticement d'exil sous des déguisements divers. Ils se tinrent cachés, eux surtout, pour ne pas être condamnés à mort.

Lorsque les églises furent fermées et le culte interdit aux prêtres fidèles, tous ceux qui vivaient cachés durent plus que jamais se montrer particulièrement prudents. Ils ne purent quitter leur cachette qu'avec des précautions infinies. Ils ne sortirent que la nuit des lieux écartés où ils avaient trouvé un refuge.

Les prêtres réfractaires arrêtés en Quercy, tels que Jammes, Faulat, de Méalet, Bergon, et condamnés à mort par le tribunal criminel du Lot, vivaient cachés dans le département avant leur arrestation.

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1° Idée d'ensemble. D'une manière générale, la flamme de la vie chrétienne put être entretenue dans les paroisses grâce au ministère exercé secrètement par les prêtres réfractaires qui vécurent cachés dans le pays.

Ces prêtres eurent le mérite de relever les âmes abattues, de soutenir les âmes découragées, au milieu des dangers innombrables du moment. Leur labeur apostolique permit aux esprits et aux cœurs de demeurer chrétiens, malgré les difficultés qui se présentaient pour la persévérance dans la foi.

Ils offrirent le Saint-Sacrifice dans les retraites les plus cachées. Ils portèrent les secours et les consolations de la religion sous les déguisements les plus variés. Ils administrèrent le baptême dans les chambres obscures des maisons; ils communièrent souvent pour la première fois, les enfants et les adultes, la nuit, dans des granges, au fond de quelque cave ou dans les combles des vieilles demeures.

Les réunions cultuelles avaient lieu surtout le dimanche. Le réfractaire se rendait aux rendez-vous dont le lieu avait été déterminé d'avance.

Mais la guerre au dimanche se fit d'une manière inexorable. Les jacobins locaux déclarèrent volontiers suspects ceux qui, ce jour-là, prenaient simplement des habits plus propres et ne travaillaient pas.

Ils surveillaient de leur mieux les directions que prenaient ces habitants mieux vêtus que d'ordinaire.

Ne fallait-il pas découvrir l'endroit mystérieux où devait se célébrer la messe de l'insermenté ?

Mais les paysans, nobles ou bourgeois, demeurés profondément pratiquants, opposèrent la force d'inertie à toutes les tracasseries dont ils pouvaient être l'objet.

Les prêtres qui exerçaient les diverses fonctions de leur ministère étaient considérés par les révolutionnaires comme les plus dangereux ennemis de la République. Ceux qu'on pouvait saisir sur le fait, dans quelques cachettes, sous un déguisement quelconque, étaient aussitôt arrêtés et acheminés rapidement vers l'échafaud.

Le zèle des Jacobins empêcha des prêtres réfractaires d'administrer les sacrements ou de célébrer les saints mystères. Mais les municipalités qui le leur facilitèrent ou du moins n'y mirent pas sérieusement obstacle, semblent avoir été assez nombreuses. Des officiers municipaux et des maires fermèrent souvent les yeux pour n'avoir pas à sévir.

Si les autorités locales eussent voulu connaître les endroits isolés fréquentés par les prêtres cachés, à supposer qu'elles ne les connussent pas, elles l'auraient pu, si peu qu'elles y eussent mis de la bonne volonté. Mais elles ne voulurent pas, dans un grand nombre de cas, signaler à la gendarmerie et à la garde nationale les prêtres qui parvenaient à baptiser ou à marier, à dire la

messe.

Les saints mystères se célébraient avec des calices en plomb ou même en verre, sur des tables qui servaient d'autels.

Encore de nos jours, on désigne parfois les maisons et les familles qui donnèrent asile à des prêtres cachés pour la célébration de leur messe.

2° Faits nombreux. On peut signaler des faits nombreux d'exercice clandestin des fonctions pastorales.

Région de Cahors. Dans une ville comme Cahors, la messe se célébrait dans des chambres ou recoins de greniers, transformés en chapelles.

Dans les campagnes environnant Cahors, au milieu des ténèbres de la nuit, avant le lever du jour, les fidèles se réunissaient d'ordinaire sous l'auvent d'une grange et y entendaient la messe du prêtre réfractaire qui avait établi son domicile dans la commune ou les environs. L'ecclésiastique y venait, mais au péril de ses jours.

Qui dira jamais la forte émotion qui était éprouvée par les assistants à un sacrifice rituel qui avait lieu dans des conditions semblables?

Un prêtre réfractaire disait la messe et confessait, à Quercy, commune du Montat, dans la maison d'un nommé Carle, que fréquentaient plusieurs demoiselles. La nouvelle en parvenait, le 29 septembre 1793, au Comité de surveillance de Cahors (1).

A Laramière, au village de Labrie, Pierre-Jean Mafré, prêtie insermenté, originaire de Ségonzac (Aveyron), faisait les fonctions « de missionnaire ».

Il avait trouvé un refuge dans la maison des trois femmes Thouron, qui étaient trois sœurs (2).

A Escamps, la maison natale du prêtre émigré Sarny était le lieu où se réunissaient des prêtres insermentés de la région.

La sainte messe y était célébrée, les confessions entendues et les sacrements administrés.

Le lazariste Perboyre était venu jusque dans cette paroisse pour exercer ses fonctions sacerdotales. Il avait conféré le baptême el donné la bénédiction nuptiale dans cette maison Sarny.

« J'ai l'honneur de certifier, attestera en juillet 1831, M. Per« boyre, ex-supérieur du Petit-Séminaire de Montauban, que « M. Sarny, ancien maire d'Escamps..., m'a donné plusieurs fois « asile dans sa maison pour y exercer les fonctions du saint minis«tère dans les temps les plus critiques de la Révolution; il m'a << donné toute sorte de secours, non seulement à moi, mais encore « à tous les prêtres qui s'adressaient à lui. Il nous conduisait par<< tout où le besoin des fidèles nous appelait, et il nous rendait tous << les services possibles gratuitement. Sa maison était l'endroit où << les fidèles se rendaient pour entendre la sainte messe, pour s'y <confesser et recevoir les sacrements. J'ai administré plusieurs fois << le baptême, fait plusieurs mariages, etc., etc. Il doit avoir dans ses < papiers les certificats des baptêmes, mariages, etc. (3). »

(1) Arch. du Lot, L. 389; Bulletin de la Soc, des Eludes, 1910, p. 13. (2) Ibid., L. 307, pp. 5, 6.

(3) J. Gary, op. cit., pp. 73, 74.

A St-Cirq-Lapopie, le même iazariste sortait, la nuit, de sa retraite du roc de Maroulet et partait dans une direction ou dans une autre, suivant les besoins des chrétiens de cette contrée.

Le pêcheur Rouffiès était averti par les familles qui avaient besoin du ministère du prêtre, et Perboyre se rendait avec lui, malgré tous les périls dont ils étaient enveloppés, là où les secours de son apostolat étaient demandés.

Pendant une de ces nuits, l'ecclésiastique alla en bateau au port de St-Cirq, pour baptiser le père de l'ancien notaire, Alain Dols, de Tour-de-Faure. L'enfant fut descendu par une fenêtre dans une corbeille supendue à une corde. Le prêtre le baptisa, puis il regagna son roc du Maroulet.

Perboyre célébrait la nuit, dans de nombreuses circonstances, le sacrifice de la messe au château de Porte-Roques, où il se rendait en bateau, couvert d'un vieux manteau rouge, afin de détourner plus facilement de sa personne les soupçons des révolutionnaires. Une famille très chrétienne, nommée Payssot, avertie à temps, l'accueillait pieusement et tenait toujours tout préparé pour le Saint Sacrifice (1).

Au village de Granel, à Cambayrac, depuis 1792 vivait retiré Jean-Baptiste Bessières, l'ancien professeur du collège royal de Cahors (2).

Tant que le culte put être célébré, ce prêtre remplit les fonctions de vicaire dans cette paroisse, mais, lorsque les églises furent fermées, il se cacha au fond des bois, dans les retraites les plus obscures, s'exposant à la mort pour porter les secours de la religion aux àmes qui avaient besoin de son ministère.

Son neveu Jean veillait sur lui, en ayant son fusil armé. Quand il faisait une course, à Lauzerte ou ailleurs, il était toujours accompagné de ce neveu.

Un jour où il était allé voir un moribond à Garrigou, village voisin de Granel, il contracta une hernie en sautant par la fenêtre, se voyant attendu à la sortie de la maison par la garde nationale.

(1) L'ancienne propriétaire du château de Porte-Roques, Mme Veuve Cam bres, née Lucie Izard, conservait encore chez elle, aux environs de 1890, une chasuble double, noire d'un côté et de toutes couleurs de l'autre, un corporal et un verre à pied qui tenait lieu de calice, ayant servi au pieux religieux. Cette personne donna ces reliques aux prêtres de la congrégation de la mission à laquelle appartenait Perboyre. Le propriétaire actuel en est l'architecte départemental, M. Bergougnoux (Toulouse), de Cahors.

(2) Bessières était né à Cambayrac en 1759. Son père avait eu 8 enfants. II fit ses études au grand séminaire de Cahors. Ordonné prêtre, il fut nommé vicaire de St-Henri et professeur en même temps au collège de la ville. A Cambayrac, ce prêtre était chez son frère Jean-Pierre, marié.

Ce prêtre se cachait parfois avec Blanié, curé de St-Vincent-Rived'Olt; leur cachette se trouvait dans le pigeonnier des demoiselles Lacoste, à St-Vincent (1).

Région de Moissac. - L'église de Bourg-de-Viza fut fermée au culte pendant un espace d'un peu plus de deux ans, durant l'incarcération du curé constitutionnel Jean-Baptiste-Michel-Bertrand Delas.

Durant cette période, des cérémonies du culte furent faites cependant dans cette paroisse.

Les baptêmes et les mariages y furent toujours célébrés sans interruption aucune, même au temps le plus terrible de la persécution.

Dans les archives municipales de cette commune, on lit cette formule invariable des actes des mariages civils de 1793 à 1798 : « et les époux voulant pieusement et chrétiennement y ajouter les formalités de l'Eglise ».

Les baptêmes y furent tous célébrés. Après 1801, en effet, les actes religieux de l'église de Bourg-de-Viza ne portent la mention d'aucun baptême d'adulte. Mariages et baptêmes avaient dû être célébrés par quelque prêtre caché (2).

Région de Figeac. Lacarrière, natif de Boisset près Maurs, curé de Montredon, qui, au lieu d'émigrer, erra d'un village à l'autre, disait la messe dans une cave, au hameau de Painpeur, à Bagnac (3).

Lorsque le prêtre réfractaire faisait totalement défaut, des laïques organisaient, dans des chapelles improvisées, des réunions pieuses. Sur les limites de la commune de Marcilhac, à Saint-Chels, une chapelle fut bâtie par un jeune homme. L'oratoire s'appelait la ferrayrie.

Ce jeune catholique convoquait, le dimanche, à cette chapelle, les personnes de la localité et des environs. Il parlait lui-même à ces braves gens.

Il leur dit, entre autres choses, vers le 20 prairial, an II (8 juin 1794), que Dieu lui apparaissait et lui avait dit que dans un an, la messe se redirait dans les églises rendues au culte.

Le voyant disait vrai, puisque le 11 prairial an III (29 mai 1795),

(1) Revue religieuse de Cahors, tome XIV, pp. 392, 427.

(2) Bulletin archéol. de Tarn-et-Garonne, 1904, pp. 159, 160. Le Bourg-Devizac, par Laffont.

(3) J. Gary, op. cit., p. 329.

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