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LIVRE II

AU TEMPS DE LA TERREUR

CHAPITRE I

Le régime de la Terreur dans le Lot

Toutes les personnes arrêtées en avril 1793 ne demeurèrent pas en prison. Beaucoup d'entre elles furent remises à leurs municipalités et placées sous leur surveillance.

Pour les prêtres réfractaires, soixante-sept furent conduits à Bordeaux. Tous n'y restèrent pas. Trente-sept durent revenir à Cahors en raison de leur âge et de leurs infirmités qui les exemptaient de la déportation.

Les prêtres assermentés eux-mêmes furent jugés très dangereux. A Gourdon, l'administrateur Hérétieu, délégué par le département, voulait les faire emprisonner aussi bien que les insermentés.

1° Son œuvre.

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La Convention envoya dans le Lot le représentant du peuple, Taillefer, originaire de Domme, pour organiser la Terreur.

Le conventionnel en mission commença par épurer les autorités. Il destitua tout fonctionnaire soupçonné de tiédeur pour le régime. Il fit arrêter et jeter en prison Combe-Dounous, président du directoire du Lot, Hyppolite Baudus, juge.

Il révoqua l'administrateur Lavernhe, les juges de paix Dumas, Caviole, etc...

Par arrêté du 3 septembre 1793, il institua un Comité de surveillance composé de seize membres. D'autres comités du même genre furent établis dans les communes importantes.

Il constitua une armée révolutionnaire qu'il mit sous le commandement de Lagasquie, de Marcilhac, pour aller dans les districts à la recherche des suspects.

Le représentant fut accusé de favoriser les anciens Girondins. Des montagnards le dénoncèrent pour avoir des ménagements à l'égard de deux prêtres qui avaient renoncé à leur état, Brunies et Peyrat. Il fut rappelé en novembre 1793 par la Convention et remplacé par Paganel.

Une des dernières mesures de Taillefer avait été la destitution des membres du Tribunal du district de Cahors.

2° Griefs contre le représentant. -- Une députation du Comité de surveillance de Montauban fut envoyée auprès de la Convention pour demander le rappel de Taillefer. Elle fut admise à la barre de l'Assemblée le 15 brumaire an II-5 novembre 1793.

Les délégués montalbanais articulèrent plusieurs griefs contre le représentant en mission, mais ils furent aussitôt réfutés.

Taillefer était considéré comme coupable d'avoir donné sa confiance aux adversaires du régime, feuillants et fédéralistes acharnés qu'il aurait dû destituer (1).

La députation de Montauban demanda aussi à l'Assemblée la réclusion des administrateurs du Lot qu'elle accusait de complicité avec les fédéralistes (2).

Delbrel cadet, membre du comité de surveillance de Montauban, faisait partie de cette délégation envoyée à Paris.

Presque en même temps, le 18 brumaire an II, la Société des Amis de la Liberté et de l'Egalité accusa Taillefer d'avoir été tantôt patriote, tantôt feuillant, à la Législative, et tantôt montagnard, tantôt Brissotin, à la Convention « selon que les autres avaient le dessus ». Quand il crut que la Montagne était perdue, il aurait déchiré sa carte de Jacobin (3).

Cette Société populaire l'aurait accusé à la Convention d'avoir mis un cruel, à la tête de l'armée révolutionnaire qu'il créa pour apaiser les troubles du Lot et de la Lozère. Ce « cruel » était Viton.

Beaucoup plus tard, le 24 fructidor an III, 10 septembre 1795, un certain Faydebrune, de Cahors, dénonça le même représentant au Comité de Législation de la Convention. La dénonciation portait

(1) Le Moniteur, tome XIX, page 73.
(2) Ibid., tome XVIII, page 350.
(3) Ibid., tome XVIII, page 381.

cependant sur des faits odieux qui se produisirent à la fin de septembre 1793 (1).

Ces faits furent bien connus de toute la région et ils ne durent pas être ignorés de l'Assemblée. Ils durent même influer sur la décision qui fut prise de rappeler le Conventionnel en mission dans le Lot. Taillefer était allé avec les membres du Comité révolutionnaire de Cahors et plusieurs administrateurs du Lot, quelques jours avant le 28 septembre, à la maison de réclusion du Bon-Pasteur où le dénonciateur était détenu. Il avait visité un à un les prisonniers et avait toléré qu'en sa présence ils fussent persécutés, accablés d'insultes et de menaces.

Faydebrune dénonça Taillefer pour avoir noté, dans cette première visite, ceux des détenus qu'il se proposait de faire figurer sur la guillotine, pour une mascarade, et qu'il voulait livrer à la fureur du peuple.

Il le dénonça encore pour avoir envoyé, le 28 septembre, ou souffert qu'on envoyât un certain Lantuéjouls, tout à fait immoral, à la maison d'arrêt du Bon-Pasteur, avec deux tailleurs, des uniformes de gardes nationaux et de soldats de l'armée révolutionnaire, « pour en extraire les victimes qui étaient destinées à figurer sur la guillotine ».

Il signala que le représentant avait permis la profanation de l'uniforme de la garde nationale et de l'armée « en le surchargeant de galons en papier et d'écriteaux propres à exciter l'égarement et la fureur du peuple, et en le faisant prendre et porter aux prisonniers ».

De plus, Taillefer avait rassemblé, à la date de ce 28 septembre, sur la place publique de Cahors (la place actuelle du marché), 6.000 hommes environ, armés de fusils, de sabres et de piques. It y avait fait dresser la guillotine « avec un théâtre adjacent », bien qu'il n'y eût pas ce jour-là d'exécution capitale à assurer. Il fit promener sur cette place les prisonniers qu'il avait choisis au Bon-Pasteur, revêtus de l'uniforme, les exposant « aux huées, aux outrages et aux menaces d'une bande de cannibales qu'on avait gorgés de vins ».

« Je le dénonce, continuait ce témoin dans sa lettre contre le << représentant, pour avoir été présent à cette horrible scène, monté << sur un cheval poil rouge et escorté de ses agents et de plusieurs « membres des autorités constituées, pour avoir fait faire aux

(1) Archives nationales, D. 111, 356, 357.

« détenus le tour de la guillotine, et pour les avoir ensuite fait mon<< ter deux à deux sur l'échafaud, les 4 plus âgés des détenus portant << un cierge à la main, - pour avoir envoyé sur la guillotine plu<< sieurs de ces gens qui nous arrachèrent la cocarde, en nous disant << que nous étions indignes de la porter, pour avoir forcé à dan<< ser sur la guillotine le ci-devant grand archidiacre de la Cathé<drale (M. de Bécave) avec la ci-devant supérieure du monastère << de la Daurade, pour avoir souffert durant cette scène de scan<dale qu'un charpentier appelé Courbet, fit monter et descendre << le couteau de la guillotine en criant à haute voix : Allons, « foutre (sic), que l'on me les fasse passer, ce sera bientôt fait, << tandis que 4 individus, qui se tenaient autour de la guillotine, << criaient à tue-tête: A la guillotine, A la guillotine! - pour << n'avoir donné l'ordre d'arrêter Courbet que quand le peuple eut << témoigné son horreur et son indignation contre une scène aussi << atroce. Courbet ne quitta la guillotine que pour aller se ranger à « côté de Taillefer où il resta quelque temps.

< ...Je le dénonce pour avoir apostrophé les détenus ainsi costu<< més, en leur criant à haute voix : Qu'on reconduise ces malheu« reux scélérats dans leurs cachots, qu'ils se rappellent qu'on leur « pardonne; qu'à la moindre plainte, la guillotine sera leur par<tage, pour avoir fait reconduire en prison la plupart des déte«nus sur des charriots portant un écriteau où on lisait: Ménage<rie royale, ou toutes sortes de bêtes. Je le dénonce enfin pour << avoir terminé cette scène scandaleuse par un repas somptueux << et avoir outragé la pudeur de plusieurs jeunes femmes qu'il fit << sortir de prison pour servir d'ornement à son souper, et qu'il y fit << ramener avec de nouveaux outrages, parce qu'elles refusèrent de << partager sa couche. Je n'ai point été témoin de ces derniers faits, < mais ils sont publics et notoires.

<< Au surplus, qu'on nous délivre du terrorisme qui ne cesse de « peser sur nos têtes et ma dénonciation, qui n'a d'autre but que << l'honneur de la Convention, sera appuyée par mille dénonciations << semblables. »

Le représentant en mission sut se défendre. Le 21 brumaire an II, 11 novembre 1793, il écrivit à l'Assemblée :

« J'étais éloigné de prévoir les persécutions qui viennent de <m'être suscitées; ce n'est pas au moment où j'étais occupé de << détruire les ennemis de la République que je devais m'attendre à << repousser les calomnies des miens. Voici l'exposé de ma conduite...

« Je suis arrivé dans le Lot dans les premiers jours de septem« bre. A la réserve d'un petit noyau de patriotes, j'ai trouvé tout << en ce pays girondin, prêtrisé ou indifférent ; j'ai tout dégiron« dinisé, tout défanatisé, tout aiguillonné. Ce département va à « merveille. La levée a été superbe, l'armée révolutionnaire y a fait « des prodiges, ainsi que dans l'Aveyron et la Lozère. Les habitants << du Lot ont partagé le pain dont ils manquaient avec leurs frères << du Cantal et de l'Aveyron. Les Sociétés populaires sont au << maximum d'énergie. Les autorités constituées ont été épurées, << des ads, des tribunaux, des mtes entières renouvelés; pas un « chef-lieu de canton un peu considérable ne manque de Comité de « surveillance. Je me suis entouré de sans-culottes et je n'ai vécu « qu'avec eux. Partout les aristocrates sont en réclusion, partout la « prêtraille est en réclusion. Les Girondins sont en réclusion, les << accapareurs sont en réclusion; les égoïstes, les richards, les < sangsues du peuple ont dégorgé leurs piastres et compté leur << patriotisme en argent. Les muscadins ont été requis de porter le << mousquet. Les calices, les ciboires, les patènes, les écuelles et les < fourchettes ont coulé dans les caisses des districts. Les peuples du << Cantal, du Lot et de l'Aveyron me bénissent, les aristocrates me << donnent au diable...

« Quant à ces prétendues délégations données à des fédéralistes, « accordées de ma part, je suis fort mal instruit des actions qu'on << m'impute...

<< Voulant tout faire par moi-même..., je n'entendais pas être une << machine à signature...

<< Récapitulons ce que j'ai fait. Le voici : il se formait une petite Vendée dans le district de Gourdon; je l'ai écrasée, j'en ai saisi << tous les chefs et en ai transporté trente charretées en la maison « de réclusion...

<< A Montauban, j'ai fait désarmer un régiment de cavalerie, <composé de déserteurs et d'officiers pillards et inciviques... La << Lozère et l'Aveyron ont été près de nous donner une seconde < Vendée, plus combinée et plus terrible que la première. Eh bien ! << j'ai improvisé des armées, des munitions, des subsistances, des « commissaires, des comités, j'ai tout fait ou défait; je me suis << trouvé à Toulouse, à Villefranche, à Cahors, à Rodez presque à la << fois, écrivant le jour, haranguant le soir et courant la nuit ; en « huit jours, tout a été dissipé, épuré, reconstruit, ravivé (1). »

(1) Le Moniteur, tome XVIII, p. 350, 366, 381; Actes du Comité de Salut public, tome VIII, pp. 346-352.

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