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raifon, de l'expérience, de l'autorité dęs fiècles. On a pratiqué au milieu des violences, une opinion qui, établie fur l'ignorance, a fubitement pris le caractère de l'enthoufiafme. Rien n'a refifté à ce torrent de fanatifie le fer, ou la clef des prifons à la main, il a pourfuivi, calomnié, décrié toutes les idées modérées. Bientôt nous avons vu ce fceptre de l'opinion paffer aux hommes grolliers & ignorans, inftruits par des déclamateurs, & pervertis par des Folliculaires. Il n'y a plus, absolument plus d'opinion publique en France. A cet empire fuprênie & vénérable qu'exer-. cent fur l'intelligence & fur les fentimens, la raifon épurée des Philofophes, les leçons de l'hiftoire, les méditations des Hommes de génie, & le poids des âges réunis, a fuccédé l'imbécille tyrannie de je ne fais quel galimathias révolutionnaire, & d'un catéchifme d'adages, prétendus populaires. Ce jargon, moitié infpiré, moitié hypocrite, après avoir fait la fortune de fes Auteurs, eft devenu la langue des Clubs, des Tribuns, des Journaux, des Sections, & de tous les Rhéteurs. Avec cet inftrument, ils ont terraffé les Sages Anciens & Modernes, les Légiflateurs de tout pays, & les opinions circonfpectes. Montefquieu feroit hué maintenant par les galeries de J'Affemblée nationale & dans les Diftricts de Paris: une Affiche du coin, & le

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phe d'un fot, prévalent fur l'Esprit des Loix. Onn'avoit pas encorevu un premier exemple de cette domination irréfiftible des efprits bornés, enflammés par des efprits faux, & fubjuguant par le nombre des clameurs, ou par des fuperftitions politiques, l'enfeignement du génie, & les réflexions de la fageffe.

Rien n'eft donc plus inutile que d'attaquer cette fiévre avec des feuilles de papier. On ne convertit, on n'adoucit perfonne: les enthoufiaftes s'irritent comme les Hydrophobes, lorfqu'on leur préfente le remède. Si les lumières avoient quelque prife fur l'exaltation, elles échoueroient devant la vanité, l'hypocrifie & l'intérêt, car il est moins aifé de furmonter les prétentions que les erreurs. La Révolution eft devenue pour une infinité d'Acteurs, un théâtre de bel efprit: ils ont fait de la Conftitution & de la liberté un exercice Académique tel homme a facrifié fes devoirs, fa confcience même, au defir de faire applaudir fon éloquence, ou fa métaphyfique; & comme la route des exagérations eft celle des fuccès, la tourbe des demi talens s'y eft précipitée: la vanité, l'y retient; la vanité, bien différente de l'émulation, ne fe doute pas combien il faut peu d'efprit pour forcer les limites de la vérité; elle ne foupçonne pas même la patiente & craintive application, qui nous

apprend à en circonfcrire l'ufage. Glorieux de leurs écarts, enchantés de leur déraifon, imaginant avoir pofé les bornes de l'efprit humain, & conquis l'Univers à leurs penfées d'emprunt, parce qu'ils ont reçu P'hommage de quelques fous; ces Sectaires qui fe croient des hommes d'Etat, rallient autour de leurs Statues tous les préjugés populaires; & ils employent la main de leurs idolâtres à opprimer quiconque ofe penfer, & leur refufer un culte.

Qui fe flattera de conquérir par le raifonnement ou par les faits, tant d'amourpropres triomphans? Qui amenera des hypocrites à facrifier à la vérité qu'ils apperçoivent comme nous, leur admiration de commande & leur enthoufiafme de théâtre? A-t-on jamais vu des Chefs de: parti, ou des Doctrinaires ambitieux rétracter des erreurs qui leur font utiles? Le monde eft-il changé, depuis que Rouffeau écrivoit qu'il n'y a pas un-feul Philofophe, qui ne préférât le mensonge qu'il a trouvé, à la vérité découverte par un autre? Aurez-vous plus d'empire fur les. nombreuses créatures que nos Architectes de ruines ont affervi à leur caufe? Enumerez, fi vous le pouvez, cette multitude de places, d'Officiers publics, d'Employés nouveaux de toute espèce, par la création journalière defquels, on a renchéri fur la prodigalité de l'ancien régime, & occupé,

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plus d'individus à l'adminiftration de la France, qu'il n'en faudroit pour gouverner trois Monarchies ?

Si les paffions, fi des intérêts puiffans, repouffent toute lumière, toute réfipifcence, dans la ligue des Révolutionnaires qui fiégent aux premiers rangs, efpérera-t-on d'aborder avec plus de fuccès la multitude, le Peuple même qui n'eft point populace, qui retenu par la nature de l'ancien Gouvernement, dans la plus épaiffe ignorance des vérités politiques, a embraflé avec tranfport les premiers paradoxes que fes guides lui ont préfentés; qu'on a vu fubitement paffer de fa précédente léthargie, à cette corruption d'efprit qui nous énorgueiilit des premiers pas de notre intelligence, & nous fait méprifer toute inftruction; auquel on a infpiré, à-la-fois, la préfomption de fes lumières, & la haine de toute opinion qui contrarie l'amour effréné de l'indépendance, & l'amour effréné de la domination populaire ?

Ses précepteurs les Folliculaires, fes Dictateurs les factieux, l'ont convaincu qu'il devoit, qu'il pouvoit fe gouverner lui même, & que toute autre autorité étoit néceffairement malféante & illégitime. Cet axiôme prouve fort bien le deffein qu'ont les Démagogues de gouverner fous le nom du Peuple : par-tout & dans tous les temps, ils fe fervirent de cet artifice;

mais comment une Nation, fans expérience de ces tromperies, démêlera-t-elle ce groffier ftratagême ? Le premier qui entreprendra de le lui expliquer, fe a dévoué à fa fureur, & elle éteindra le flambeau qui pourroit l'éclairer, dans le fang de celui qui aura eu la témérité de l'allumer.

Si vous lui rappellez ce que l'Hiftoire des Républiques lui apprendroit à chaque page, que le sûr moyen de perdre la liberté eft de trop étendre le pouvoir du Peuple; que fa véritable force, la feule qu'il puiffe employer fans danger pour lui-même & pour l'Etat, fe trouve dans la faculté de conferver fes droits, & non dans celle de dominer les Loix & d'affervir les autorités publiques; fi vous perdez le temps à eflayer de lui faire comprendre qu'il a fes pallions, ainfi que les Defpotes; que s'il s'en feit en maffe, il renverse l'Etat; que s'il en prête l'appui à des Dénagogues, il crée des ufurpateurs, ou la tyrannie des factions; qu'il importe, par conféquent, à la paix, a la sûreté, à l'ordre, à la liberté publique & individuelle, de le préserver de fi grands malheurs ; que les paffions ont en politique les mêmes effets qu'en mo rale, & qu'il faut les traiter en politique comme en morale, c'eft-à-dire les contrebalancer les unes par les autres, pour en affoiblir l'énergie que la nature a fait illimitée; qu'on ne parvient à ce but, qu'en

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