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ment en rien d'affaires; éloignez et rebutez même tous ceux qui voudroient vous y attirer pour quelque chose. Attachez-vous fortement à mériter l'amitié et la confiance du Roi > c'est d'abord votre devoir d'état, et c'est le seul intérêt que vous pouvez et devez avoir.

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Voilà le rôle, au bout du compte, ma chère Sœur, que chaque femme sage doit faire dans son ménage (1),, »

A ces conseils de 1775, si parfaitement sensés et si affectueux, Joseph II en ajouta de plus développés, qu'il laissa, en 1777, entre les mains de sa sœur, et dont il avait gardé copie sous le titre de Réflexions données à la Reine de France. Comme sa lettre, cet écrit fait autant d'honneur à son droit sens qu'à sa vive affection fraternelle. Je ne parle pas de la forme, qui a toujours la même rudesse et brutalité de paysan du Danube. Passant en revue tous les devoirs que doit remplir Marie-Antoinette, et comme femme et comme Reine placée à la tête de son sexe auquel elle doit le bon exemple, il insiste particulièrement sur sa tenue publique et privée, sur sa conduite envers son mari, sur sa présence aux bals de l'Opéra.

« Daignez, lui dit-il, penser un moment aux inconvénients que vous avez déjà rencontrés au bal de l'Opéra et aux aventures que vous m'en avez racontées vous-même. Là-dessus, je ne puis vous cacher que c'est de tous les plaisirs indubitablement le plus inconvenable de toute façon, surtout de la façon que vous y allez, car Monsieur, qui vous accompagne, n'est rien. Qu'y vou

(1) Marie-Antoinette, Joseph II et Léopold II, nouveau recueil publié par M. ALFRED D'ARNETH. J'ai emprunté avec d'autant moins de scrupule à cet écrivain un extrait de la présente lettre et des précédentes, qu'il m'a fait l'honneur de m'y encourager, en publiant intégralement dans son récent volume vingt pièces déjà parues dans mes trois premiers, et que sans doute il avait trouvées bonnes. Je lui emprunterai de même, entre autres documents, pour les donner intégralement, en mon tome cinquième, les instructions que Joseph II laissa à sa sœur en 1777, à son départ de France. L'étendue de cette pièce m'empêche d'en donner ici autre chose qu'un court passage.

lez-vous? être inconnue et jouer un personnage différent du vôtre? Croyez-vous que l'on ne vous connoît pas malgré cela? On (1) vous lâche des propos aucunement faits pour être entendus, mais qu'on dit exprès pour vous amuser et vous faire croire que l'on les a tenus bien innocemment, mais qui peuvent faire effet. Ou si l'on ne vous connoît pas effectivement, croyez-vous que le lendemain l'on ne le sait pas? Et vous-même avez grand soin de raconter les aventures du bal. Le lieu par lui-même est en trèsmauvaise réputation; qu'y cherchez-vous? Une conversation honnête? Vous ne pouvez l'avoir avec vos amies, le masque l'empêche. Danser? Non plus. Pourquoi donc des aventures, des polissonneries, vous mêler parmi le tas de libertins, de filles, d'étrangers, entendre ces propos, en tenir peut-être qui leur ressemblent? Quelle indécence!

» Je dois vous avouer que c'est le point sur lequel j'ai vu le plus se scandaliser tous ceux qui vous aiment et pensent honnêtement. Le Roi abandonné toute une nuit à Versailles, et vous, mêlée en société et confondue avec toute la canaille de Paris! Et y voyez-vous beaucoup de gens, en femmes ou en hommes, posés et de réputation? Enfin, ma chère sœur, .....c'est un point qui, si vous ouvriez les yeux, vous devroit choquer, car je dois lâcher le mot, il est indécent et peu fait pour donner au public de l'opinion ni de votre goût, discernement ni mesure (2).

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Et toutefois, par un étrange contraste, peu après que Joseph II venait de tracer de telles notes confidentielles, la grande Marie-Thérèse rendait compte, le 21 août, à Marie-Antoinette de l'enthousiasme que rapportait l'Empereur de sa première visite à la cour de France : « Il est bien content du Roi, surtout de sa chère et belle Reine, disait-elle; s'il trouvoit une femme pareille, il passeroit d'abord aux troisièmes noces (3). » Mais il l'eût voulue parfaite, - comme l'eussent si facilement rendue les tendresses et la direction d'un mari éclairé.

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(1) M. d'Arneth imprime ici et qu'on, d'après le brouillon ou la copie. (2) Page 11 et suivantes du nouveau Recueil Arneth.

(3) ARNETH, p. 217.

Ainsi, au milieu des rayons de lumière que répandent les documents nouveaux sur la première jeunesse, si pure, mais un peu abandonnée de Marie-Antoinette, sur le procès de révision qui s'agite de nos jours, il y a des ombres. Les indiscrètes révélations que Joseph II redoutait du vivant de sa sœur, la postérité les recueille. Le mot fàcheux qui lui a échappé dans sa lettre à Rosenberg, et qui l'accuse devant l'histoire, elle ne l'eût point dit le jour où, s'ouvrant à madame Campan et à son beau-père, elle voulait recevoir · leurs compliments sur ce «< qu'enfin elle étoit Reine de France et qu'elle espéroit avoir bientôt des enfants (1) » . Reine nominale sans être jusqu'en 1777 la femme du Roi, à côté d'une belle-sœur qui donnait des princes à la famille royale, elle portait alors au cœur la vague inquiétude et la douleur poignante d'une destinée non accomplie; il lui manquait cet intérêt domestique qui relève la dignité de la femme, la majesté de la Reine, qui lui fait prendre au sérieux son grand rôle social. Elle cherchait à s'étourdir. Mère, elle fut transfigurée; et c'est seulement alors qu'elle fut entièrement elle-même, qu'elle grandit de tout l'orgueil de sa situation nouvelle. A ce mot fàcheux sur le Roi, opposez tant d'autres bonnes paroles sur Louis XVI, opposez ce qu'elle écrivait à Rome en décembre 90, à la duchesse de Fitz-James:

« J'ai été si touchée ce matin, que j'ai oublié de vous parler d'une chose qui me tient pourtant fort à cœur. Vous savez que souvent je vous ai parlé du Roi et de ma peine de voir qu'on étoit si injuste pour lui. Tâchez donc, dans votre conversation, de bien prouver qu'il n'est pas si insouciant qu'on le dit, et qu'il est aussi malheureux qu'il peut l'être, car c'est bien vrai (2). »

(1) Mémoires de madame Campan, t. I, p. 186.

(2) Papiers de famille de M. le duc Édouard de Fitz-James.

V

Maintenant, finissons-en avec les restes du fagot d'épines, avec cette croisade « des moins chevaleresques », inique et inattendue; cette « guerre pointilleuse, méticuleuse, et, il faut le dire, ennuyeuse, comme l'appelle si justement M. de Lescure, de menus détails et de chiffres, qui donne à la critique les formes de la chicane. » On s'est beaucoup récrié par exemple sur des erreurs d'attributions de dates, vieux péchés couverts depuis longtemps par la confession des errata. J'ai déjà donné là-dessus des explications détaillées, trop détaillées, qui devraient suffire : un mot de plus cependant, puisqu'on met une si ardente insistance à revenir sur ces pauvretés. Il échappe impunément bien d'autres lapsus dans les lettres, quand elles ne sont point destinées à passer sous les yeux de lynx de la critique prévenue. Ainsi, voyez cette lettre sans date de la Reine à sa mère, touchant Madame Élisabeth, qui, au moment de sa séparation d'avec la fidèle compagne de ses premières années, sa sœur Clotilde, se prend tout à coup d'amertume et veut entrer en religion. Cette lettre tant discutée par M. de Sybel, portée au 16 août 1775 dans le recueil Hunolstein, et que, sur la foi d'une écriture ancienne datant la minute que je possède, j'avais cru pouvoir classer primitivement au mois d'avril 1778, eh bien! cette lettre est une preuve saillante entre mille de la difficulté de manier les problèmes de dates et d'éviter les faux pas dans le champ des conjectures. La date de main étrangère n'était qu'une conjecture en effet; mais comme la lettre contenait cette phrase : « Ma bonne maman connoît Élisabeth lui en a tout ce que par dit mon frère Joseph, » j'avais cru pouvoir en tirer cette

inférence que sa place était naturellement à une date postérieure au premier voyage de Joseph II, durant lequel ce prince s'était fort intéressé à la jeune sœur de Louis XVI. Erreur, attendu qu'on découvre sous une rature, dans le brouillon, à la suite de la phrase qu'on vient de lire, ces mots : « d'après Maximilien. » L'allusion au voyage antérieur de ce jeune archiduc était évidente et ouvrait la voie à une conjecture nouvelle. C'était le cas alors d'interroger attentivement le recueil Arneth. Je le fis, et je dus reconnaître par les lettres des 14 juillet et 15 septembre 1775 de ce recueil, qu'à cette époque Madame Élisabeth était entre la mère et la fille un sujet réitéré d'entretien. On en va juger.

Lettre du 14 juillet :

« Je suis enchantée de ma sœur Élisabeth, dit Marie-Antoinette; elle montre, à l'occasion du départ de sa sœur (1) et de plusieurs autres circonstances, une honnêteté et sensibilité charmante. Quand on sent si bien à onze ans, cela est bien précieux. Je la verrai davantage à présent qu'elle sera entre les mains de madame de Guéménée. La pauvre petite partira peut-être dans deux années; je suis fâchée qu'elle aille aussi loin que le Portugal. Ce sera un bonheur pour elle de partir si jeune, elle en sentira moins la différence des deux pays. Dieu veuille que la sensibilité ne la rende pas malheureuse. Pour ma sœur Clotilde, elle est ravie de partir. Il est vrai qu'elle compte aller tous les deux ans à Chambéry, et voir de temps à autre quelqu'un de la famille. Je n'imagine pas qu'elle ait très-grand succès à Turin; mais du reste on fera tout ce qu'on en voudra. Elle est bonne enfant, n'a pas beaucoup d'esprit et ne s'affectionne vivement pour rien (2). »

(1) Madame Clotilde, qui allait épouser le prince de Savoie.

(2) ARNETO, p. 155. Cette lettre n'est postérieure que d'un jour à celle où la Reine parle si lestement de son mari au comte de Rosenberg. On voit qu'elle avait deux plumes.

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